Les Caprices de Marianne

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°646 Juin 2009Par : Musset, dans une mise en scène de Sébastien AzzopardiRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Affiche de théatre : Les caprices de MarianneC’est peut-être ce que l’on peut dire des Caprices de Marianne, mon­tés par la Com­pa­gnie Azzo­par­di au Théâtre du Lucer­naire. Dans ce même lieu, M. Azzo­par­di nous avait réjoui l’âme avec son Tour du monde en quatre-vingts jours. Nous l’avions évo­qué dans ces colonnes. Mais cette fois, il s’est confron­té avec l’une des pièces les plus dif­fi­ciles de Mus­set, et peut-être la plus déchirante.

Célio est amou­reux fou de Marianne, jeune épouse d’un juge – ou d’un podes­tat, selon les ver­sions d’avant et d’après cen­sure – colé­reux et sot, épouse jusqu’à pré­sent conve­nable et réser­vée. Elle repousse Célio, lui ren­voie ses lettres, n’apparaît pas der­rière sa fenêtre lorsqu’il lui donne une aubade. Toutes ces agi­ta­tions musi­cales ont mis le juge sur le qui-vive, au point qu’il se pré­pare à pos­ter en secret des spa­das­sins pour tuer qui­conque ose­rait atten­ter à l’honneur de sa femme.

Déses­pé­ré par l’attitude de Marianne, Célio s’en ouvre à son meilleur ami Octave, un gar­çon iro­nique et désa­bu­sé, faci­le­ment enivré des fée­ries napo­li­taines, mais dévoué et fidèle en ami­tié. Octave se trouve être cou­sin du juge. Il tâche­ra d’approcher Marianne et de plai­der la cause de Célio. Exas­pé­rée par la jalou­sie du juge, la jeune femme décide, par caprice, de s’accorder un che­va­lier ser­vant, peu importe lequel. Après quelques badi­nages et moque­ries, elle dit à Octave qu’elle accueille­ra qui il vou­dra lui envoyer et lui remet son ruban en signe de ral­lie­ment. Elle ne le dit pas, mais il éclate au regard que c’est Octave qu’elle attend. Ce der­nier pour­tant lui envoie Célio, espé­rant que les choses s’arrangeront : Pique ce ruban à ton bon­net, Célio, prend une gui­tare et ton épée ; notre cause est à moi­tié gagnée.

Or le juge a mon­té son guet-apens. Marianne s’en aper­çoit mais trop tard et, lorsque Célio arrive, elle s’écrie Fuyez, Octave ! Le pauvre Célio meurt poi­gnar­dé et se croyant tra­hi par son ami. Lorsque Marianne et Octave se recueillent devant le jeune corps éten­du à leurs pieds, Octave clame son déses­poir, son adieu aux fêtes de la vie, à l’amitié et à l’amour.

– En êtes-vous bien sûr, Octave ? Pour­quoi dites-vous adieu à l’amour ?
– Je ne vous aime pas Marianne ; c’est Célio qui vous aimait.

Trop sérieuse, trop tragique
Mus­set écri­vit cette pièce en 1833, peu avant ses aven­tures à Venise avec George Sand, qui l’y trom­pa avec éclat. On le voit là déjà plus que réser­vé à l’égard de la gent fémi­nine. C’est pour­quoi, sans doute, ses rôles fémi­nins sont sou­vent si dif­fi­ciles à jouer. En tout cas, que ce soit le fait de l’interprète – Mme Éli­sa Ser­gent si je ne trompe – ou de la mise en scène, cette Marianne est trop sérieuse, trop tra­gique. On n’y trouve pas cette immo­ra­li­té ingé­nue qui confère tant de charme aux jeunes héroïnes de Mus­set. Marianne est en effet très jeune : dix-huit ans. Octave s’en amuse, lors de leur pre­mière ren­contre : Vous avez donc encore cinq ou six ans pour être aimée, huit ou dix pour aimer vous-même, et le reste pour prier Dieu.

Au début de la pièce tout indique, si l’on veut bien y réflé­chir, que la Marianne de Mus­set, pas celle d’Azzopardi, joue encore « à la Madame ». Et quand elle tombe amou­reuse d’Octave, elle ne le dit pas car c’est presque sans s’en aper­ce­voir. Les deux gar­çons sont bons, évo­quant cha­cun l’une des deux faces de Mus­set : celle d’un ama­teur de femmes faciles et de bon vin, reve­nu de tout, pour Octave, d’un quê­teur d’amour abso­lu, éter­nel insa­tis­fait pour Célio. Et le juge nous a diver­tis, par ses mines impor­tantes et ses cla­que­ments de doigts : le ver­sant comique, tou­jours pré­sent dans le théâtre de Mus­set, ne l’oublions pas non plus.

À tout prendre, l’on sort pour­tant de la salle un peu déçu : on a assis­té à un drame noir, presque du genre « bou­le­vard du crime » quand on atten­dait notre Mus­set chantre gra­cieux des fée­ries noc­turnes et des amours juvé­niles, même quand elles s’achèvent dans la mort. Les quelques inter­mèdes musi­caux, d’ailleurs un peu lourds, ne rache­taient pas la noir­ceur de l’ambiance.

Et à pré­sent, amis lec­teurs, il me reste à prendre congé de vous : cette chro­nique sera la der­nière sous ma plume. La charge de la régu­la­ri­té, lan­ci­nante comme un métro­nome, com­men­çait de me peser. Voi­là treize ans que le cama­rade Gérard Pilé créa et me confia cette rubrique, juste avant son départ. Je ne me suis point trou­vé de suc­ces­seur. J’ai infor­mé la Rédac­tion de mon inten­tion en février der­nier. J’ignore si elle a eu plus de chance que moi dans cette recherche. Et puis, une telle chro­nique a‑t-elle bien sa place dans La Jaune et la Rouge ? Il m’est arri­vé de me le demander.

Phi­lippe Oblin (46)

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