Casanova, sublime histrion

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°602 Février 2005Par : adaptation et mise en scène d’Attilio Maggiulli d’après les Mémoires de CasanovaRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Par le genre lit­téraire frère de notre bizarre mar­quis de Sade, du fure­teur Res­tif de la Bre­tonne, Gio­van­ni Gia­co­mo Casano­va de Sein­galt les sur­passe sans doute dans le brio du dire et l’intelligence du regarder. Si d’ailleurs les sus­dits com­pères ne sont, mis­es à part quelques sai­sis­santes ful­gu­ra­tions, guère que de laborieux bavards, Casano­va pour sa part n’est jamais ennuyeux et bien au con­traire se mon­tre tou­jours un endi­a­blé conteur.

Ital­ien comme ses prénoms et nom le sug­gèrent, il écriv­it pour­tant en français ses célèbres Mémoires, éton­nante mais com­bi­en amu­sante évo­ca­tion de ce que pou­vait être la vie d’un grand aven­turi­er vagabon­dant à tra­vers l’Europe du XVI­I­Ie siè­cle. Fils de comé­di­ens, il naît à Venise en 1725. Suc­ces­sive­ment ecclési­as­tique – il reçut les ordres mineurs – mil­i­taire, vio­loniste, intri­g­ant de cour, empris­on­né, évadé, magi­cien, agent secret de l’Inquisition, diplo­mate, mais en toutes cir­con­stances grand ama­teur de femmes, il vole de lieu en lieu, tou­jours égal à lui-même tel qu’il se définit : Cul­tiv­er le plaisir des sens fut tou­jours ma prin­ci­pale affaire. Je n’en eus jamais de plus impor­tante. Me sen­tant né pour le beau sexe, je l’ai tou­jours aimé et m’en suis fait aimer tant que j’ai pu. J’ai aus­si aimé la bonne chère avec trans­port, j’ai tou­jours été pas­sion­né par tous les objets qui ont excité ma curiosité.

De façon étrange, ce coureur de jupons de tous âges, les plus ten­dres inclus, ter­mi­na sa car­rière mou­ve­men­tée comme bib­lio­thé­caire du comte Wald­stein au château de Dux, en Bohême. Il y mou­rut à soix­ante-quinze ans, fort pieuse­ment paraît-il, ayant passé une quin­zaine d’années reclus en ces lieux peu foli­chons, rangé des voitures et rangeant de vieux livres. Peut-être pour se désen­nuy­er, il rédi­gea alors ses Mémoires, revivant ain­si, plume à la main, sa pétil­lante existence.

C’est l’amorce de ce décon­cer­tant mais long épisode final que M. Attilio Mag­giul­li, créa­teur en 1974 de la Comédie ital­i­enne à Paris, a choisi d’évoquer pour fêter ses trente ans de féerique Com­me­dia dell’Arte, en écrivant et mon­tant son Casano­va, sub­lime histri­on. On y voit Casano­va, incar­né par la chère Hélène Lestrade, accom­pa­g­né d’un com­père ital­ien, ten­tant d’enjôler à coup de baratins et de tours de magie son hôte le comte Wald­stein. On joue aus­si gros jeu au château avec encore un autre invité du comte, un vieux nonce apos­tolique égril­lard mais qui passe pour préfér­er les garçons aux filles et surtout n’hésite pas à miser pour sa part tout l’argent des Indul­gences dont il est porteur.

On joue de plus en plus gros, les enchères mon­tent et, pour finir, Casano­va, mal­gré son culot, perd une somme énorme, dont il n’a évidem­ment pas le pre­mier sou devant soi. Suite de quoi Wald­stein lui admin­istre un colos­sal savon quant à son impu­dence et sa légèreté et, pour finir, remet sa dette de jeu à un Casano­va qui n’en avait jamais tant enten­du, à con­di­tion qu’il devi­enne à vie son bib­lio­thé­caire. Et voilà que l’on enferme le Casano­va tout penaud dans une grande cage, bien dorée certes mais cage quand même.

Comme de cou­tume à la Comédie ital­i­enne, le spec­ta­cle est un enchante­ment, fait du brio de Mme Lestrade com­posant un Casano­va plus roué que nature, de la splen­deur raf­finée des cos­tumes, de la mise en scène de M. Mag­giul­li, pareille à un bal­let si bien réglé que chaque mou­ve­ment des acteurs sem­ble pour­tant spon­tané. Quel métier !

Le texte mal­heureuse­ment n’est point à la hau­teur du reste. Assez plat, il est en out­re dépourvu de la moin­dre trou­vaille comique dont M. Mag­giul­li est accou­tumé d’enrichir ses adap­ta­tions de Goldoni. Du genre de ce que l’on entendait par exem­ple dans son Arle­quin et Colom­bine à l’école de l’amour :

Le Mata­more
J’ai détru­it toute la flotte enne­mie à coups de hache !
Le Chef de troupe
Non mon ami. Vous exagérez, vous en faites trop. Allez, reprenez.
Le Matamore
J’ai détru­it la moitié de la flotte enne­mie à coups de hachette!…

Vous voyez ce que je veux dire : ce sont de ces petites choses pro­pres à con­forter les âmes bien nées, mais que vous n’entendrez pas cette année sur la scène de la Comédie ital­i­enne. C’est dommage.

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