Casanova, sublime histrion
Par le genre littéraire frère de notre bizarre marquis de Sade, du fureteur Restif de la Bretonne, Giovanni Giacomo Casanova de Seingalt les surpasse sans doute dans le brio du dire et l’intelligence du regarder. Si d’ailleurs les susdits compères ne sont, mises à part quelques saisissantes fulgurations, guère que de laborieux bavards, Casanova pour sa part n’est jamais ennuyeux et bien au contraire se montre toujours un endiablé conteur.
Italien comme ses prénoms et nom le suggèrent, il écrivit pourtant en français ses célèbres Mémoires, étonnante mais combien amusante évocation de ce que pouvait être la vie d’un grand aventurier vagabondant à travers l’Europe du XVIIIe siècle. Fils de comédiens, il naît à Venise en 1725. Successivement ecclésiastique – il reçut les ordres mineurs – militaire, violoniste, intrigant de cour, emprisonné, évadé, magicien, agent secret de l’Inquisition, diplomate, mais en toutes circonstances grand amateur de femmes, il vole de lieu en lieu, toujours égal à lui-même tel qu’il se définit : Cultiver le plaisir des sens fut toujours ma principale affaire. Je n’en eus jamais de plus importante. Me sentant né pour le beau sexe, je l’ai toujours aimé et m’en suis fait aimer tant que j’ai pu. J’ai aussi aimé la bonne chère avec transport, j’ai toujours été passionné par tous les objets qui ont excité ma curiosité.
De façon étrange, ce coureur de jupons de tous âges, les plus tendres inclus, termina sa carrière mouvementée comme bibliothécaire du comte Waldstein au château de Dux, en Bohême. Il y mourut à soixante-quinze ans, fort pieusement paraît-il, ayant passé une quinzaine d’années reclus en ces lieux peu folichons, rangé des voitures et rangeant de vieux livres. Peut-être pour se désennuyer, il rédigea alors ses Mémoires, revivant ainsi, plume à la main, sa pétillante existence.
C’est l’amorce de ce déconcertant mais long épisode final que M. Attilio Maggiulli, créateur en 1974 de la Comédie italienne à Paris, a choisi d’évoquer pour fêter ses trente ans de féerique Commedia dell’Arte, en écrivant et montant son Casanova, sublime histrion. On y voit Casanova, incarné par la chère Hélène Lestrade, accompagné d’un compère italien, tentant d’enjôler à coup de baratins et de tours de magie son hôte le comte Waldstein. On joue aussi gros jeu au château avec encore un autre invité du comte, un vieux nonce apostolique égrillard mais qui passe pour préférer les garçons aux filles et surtout n’hésite pas à miser pour sa part tout l’argent des Indulgences dont il est porteur.
On joue de plus en plus gros, les enchères montent et, pour finir, Casanova, malgré son culot, perd une somme énorme, dont il n’a évidemment pas le premier sou devant soi. Suite de quoi Waldstein lui administre un colossal savon quant à son impudence et sa légèreté et, pour finir, remet sa dette de jeu à un Casanova qui n’en avait jamais tant entendu, à condition qu’il devienne à vie son bibliothécaire. Et voilà que l’on enferme le Casanova tout penaud dans une grande cage, bien dorée certes mais cage quand même.
Comme de coutume à la Comédie italienne, le spectacle est un enchantement, fait du brio de Mme Lestrade composant un Casanova plus roué que nature, de la splendeur raffinée des costumes, de la mise en scène de M. Maggiulli, pareille à un ballet si bien réglé que chaque mouvement des acteurs semble pourtant spontané. Quel métier !
Le texte malheureusement n’est point à la hauteur du reste. Assez plat, il est en outre dépourvu de la moindre trouvaille comique dont M. Maggiulli est accoutumé d’enrichir ses adaptations de Goldoni. Du genre de ce que l’on entendait par exemple dans son Arlequin et Colombine à l’école de l’amour :
Le Matamore
J’ai détruit toute la flotte ennemie à coups de hache !
Le Chef de troupe
Non mon ami. Vous exagérez, vous en faites trop. Allez, reprenez.
Le Matamore
J’ai détruit la moitié de la flotte ennemie à coups de hachette!…
Vous voyez ce que je veux dire : ce sont de ces petites choses propres à conforter les âmes bien nées, mais que vous n’entendrez pas cette année sur la scène de la Comédie italienne. C’est dommage.