Les Joyeuses Commères de Windsor et Le Roi Lear

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°562 Février 2001Par : SHAKESPEARERédacteur : Philippe OBLIN (46)

Nos rap­ports de Français avec Shake­speare peu­vent être malaisés. Sans par­ler de son anglais du XVIe siè­cle, ses tra­duc­tions sont rarement sat­is­faisantes. Ouvrez, par exem­ple, ses œuvres com­plètes dans l’édition de la Pléi­ade. Il y est, sauf excep­tions, traduit par des écrivains qui ne sont point gens de théâtre : François-Vic­tor Hugo le plus sou­vent, Gide à l’occasion.

Certes fidèles, elles se révè­lent pour­tant d’une affligeante pesan­teur et à coup sûr injouables en l’état, faute de véri­ta­ble expéri­ence per­son­nelle de la scène de la part des tra­duc­teurs. Gide, très lié avec Jacques Copeau, lui avait sans doute apporté ses con­seils de cri­tique lit­téraire lors de la créa­tion du Vieux- Colom­bier, mais n’était tout de même jamais mon­té sur les planches.

De sur­croît, beau­coup de répliques sont incom­préhen­si­bles. De petites notes, en fin de vol­ume, appren­nent au lecteur, assez avide de con­nais­sances pour s’y référ­er au risque de s’embrouiller dans ses pages, qu’il s’agit d’un jeu de mots intraduis­i­ble, ou encore d’une allu­sion à quelque obscure actu­al­ité éliz­abéthaine dont l’identification est sujette à con­tro­ver­s­es chez les érudits.

Tout cela ne fait pas du théâtre, et c’est pour­tant de théâtre qu’il est ques­tion. Et de quel théâtre !

À ce pro­pos, nous avons, cet été à La Baule, vu Les Joyeuses Com­mères de Wind­sor, dans une adap­ta­tion et mise en scène de Marie-Sil­via Manuel. Je dis bien adap­ta­tion, sans que ce terme évoque pour moi rien de dés­in­volte à l’égard du grand Will. Si, dans un mot à mot, il reste, pour un pub­lic de langue française, dif­fi­cile à suiv­re, surtout à l’aube d’un XXIe siè­cle s’annonçant de petite cul­ture, il est en revanche par­faite­ment adapt­able à ce même pub­lic, sans trahi­son pour autant.

Certes, cela ne va pas sans une “ perte d’information ”, comme dirait un cybernéti­cien, dans le domaine poé­tique, mais ses textes en sont si rich­es qu’il en reste assez pour faire du moin­dre de ses spec­ta­cles une fête de l’esprit, pourvu qu’il soit bien interprété.

Mme Manuel – qui jouait en out­re Anne Page – y avait pourvu, aidée par la pétu­lance d’Annie Cordy en Mrs Quick­ly, et par d’heureuses trou­vailles en fait de cos­tumes : l’idée, par exem­ple, de vêtir le bour­geois Page d’un kilt et d’une veste de tweed dans quoi il piquait ses colères. Le tout endi­a­blé, vire­voltant et, pour tout dire, plaisant à souhait, bien que plutôt éloigné d’une tra­duc­tion de pion consciencieux.

Shake­speare encore, mais dans un tout autre reg­istre, tant il en est riche : Le Roi Lear, un soir à la Car­toucherie – Théâtre de la Tem­pête. La tra­duc­tion, récente, de Luc de Gous­tine, pas­sait la rampe sans encom­bre. Vic­tor Gar­riv­i­er nous cam­pait un Lear som­brant dans la folie, et con­scient d’y som­br­er. Il fai­sait mieux que camper : il était Lear. Avec joie, on retrou­vait en Kent le cher Jean- Pol Dubois qui nous avait don­né un bref, mais com­bi­en nuancé, Archevêque de Can­ter­bury dans l’Hen­ry V du Fes­ti­val d’Avignon. Un enchante­ment aus­si d’entendre Alain Dukam et sa petite boîte à musique en Fou aux yeux éton­nés et à l’accent naïf, venu tout droit des Isles.

Il y avait de bonnes idées de mise en scène, d’autres moins, ou les bonnes par­fois répétées avec une insis­tance pro­pre à les ren­dre pesantes. Quand éclate le grand ver­tige de la tem­pête sur la lande (Souf­flez, vents, à vous déchir­er les joues…), un élé­ment du décor s’avançait presque jusqu’au prosce­ni­um, puis rec­u­lait vers les fonds. La pre­mière fois, c’était hal­lu­ci­nant comme le délire des élé­ments déchaînés ; la dix­ième, un tan­ti­net puéril, et surtout lassant.

Mais les cos­tumes ! Peut-être met­teur en scène (Philippe Adrien) et cos­tu­mière (Cidalia da Cos­ta) avaient-ils voulu, par de savants mélanges, nous sig­ni­fi­er l’intemporalité de la sit­u­a­tion. Ce n’était pas, à mes yeux, une rai­son pour vêtir les filles de Lear façon éliz­abéthaine, mais coller en même temps des rou­fla­que­ttes à Cornouailles, Bour­gogne et France, après les avoir fringués en bour­geois de Labiche, tan­dis que Glouces­ter ressem­blait à un père noble d’Émile Augi­er et la sol­datesque à des Waf­fen SS armés de mitraillettes.

Les met­teurs en scène ont par­fois des idées sur­prenantes. Pour­tant, le souf­fle immense du texte et la qual­ité des inter­prètes bal­ayaient pour notre bon­heur ces fâcheuses niaiseries.

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