Allons au théâtre : Le Jardin

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°621 Janvier 2007Par : Brigitte BucRédacteur : Philippe Oblin (46)

Si une pièce mérite le qual­i­fi­catif de « char­mante », c’est bien Le Jardin de Brigitte Buc, que nous avons vue l’autre jour aux Math­urins. Elle aurait d’ailleurs pu s’appeler « Le Square » si le titre n’eût été déjà pris par une œuvre de jeunesse de Mar­guerite Duras : l’action se déroule en effet dans un square parisien. Et, pour com­mencer, quoi de plus charmeur qu’un jardin ? À lui seul, le mot évoque la magie d’un espace irréel et clos, pro­tégé des vicis­si­tudes, d’un écrin réservé aux bon­heurs de l’enfance insou­ciante et heureuse. Mais par­ler d’action à pro­pos de ce Jardin est peut-être un trop grand mot pour évo­quer de sim­ples et attachantes con­ver­sa­tions sur un banc, entre Suzanne, une dame plus bien jeune qu’on dit se sen­tir mal dès qu’elle passe le périf, et elle proteste que, dans le temps, elle aimait pour­tant bien aller voir sa cou­sine à Courbevoie, Jeanne la mère céli­bataire tou­jours mal­con­tente de soi, des autres et de la vie en général, Antoine l’informaticien qui vient de laiss­er tomber son job bien rémunéré sim­ple­ment parce qu’il com­mençait à s’ennuyer devant un écran d’ordinateur, Philippe le jeune père de famille à épouse mod­èle et respon­s­abil­ités de cadre supérieur, du genre gold­en boy ou s’en don­nant du moins l’allure, la petite Vio­lette enfin, étu­di­ante un peu paumée de se sen­tir si loin de sa famille et de sa ville natale.

Et voilà que tout ce petit monde se ren­con­tre dans le square, au cours du temps qui passe noue et dénoue des ami­tiés, ou même un peu plus, à pro­pos de tout et de rien, une pendai­son de cré­mail­lère, un coup de main pour ajuster un ourlet de jupe, un pique-nique que l’on organ­ise au seuil de l’hiver afin de saluer le départ de la petite Vio­lette qui, en défini­tive, rejoint sa famille et sa province, où elle va tenir une crêperie avec un ami.

Un petit défaut peut-être dans la con­struc­tion de la pièce : mise à part la scène finale, celle du pique-nique où ils se retrou­vent tous, elle est faite de dia­logues à deux. Vio­lette et Suzanne et, après la sor­tie de scène de la pre­mière, survient aus­sitôt Jeanne, puis après la sor­tie de Suzanne appa­raît fort oppor­tuné­ment Antoine, et ain­si de suite. À la longue, cela sent un peu trop le procédé. Par la magie du texte cepen­dant, écrit dans la langue de tous les jours mais sans la moin­dre vul­gar­ité, par la sim­plic­ité de la mise en scène de J. Bouchard, le dépouille­ment du décor – un banc et une branche d’arbre – on se laisse atten­drir à con­tem­pler la vie sans his­toire, sans grandes his­toires en tout cas, de ces cinq Parisiens, défini­tifs ou pro­vi­soires, dont trois ont la trentaine, l’âge où l’on con­naît déjà la vie mais garde encore, au fond de soi, comme un reste d’adolescence, un sen­ti­ment de disponi­bil­ité, l’espoir que les jeux ne sont pas encore faits.

Il est d’ailleurs sin­guli­er de not­er com­bi­en ce temps de « pré­ma­tu­rité », serait-on ten­té de dire, intéresse les dra­maturges con­tem­po­rains : songez, pour ne citer qu’un exem­ple, à ce Petit Jeu sans con­séquence de J. Dell et G. Sib­leyras, qui nous enchan­ta voici trois ans, où un cou­ple bien uni s’amuse à annon­cer qu’il va se sépar­er… et, de fil en aigu­ille, finit bel et bien par la dis­lo­ca­tion, en une soirée.

Or il est peut-être un peu effrayant que tous ces per­son­nages gen­tils et attachants, même s’ils sont par­fois un peu râleurs, soient, à y bien réfléchir, de dan­gereux destruc­teurs de la vie en société, traî­nant après eux, sans s’en apercevoir et, qui pis est, sans que le spec­ta­teur s’en aperçoive, comme une aura de nihilisme. Parce qu’enfin, peut-on don­ner foi, et con­fi­er l’avenir d’une part, si min­ime soit-elle, de la vie col­lec­tive à un garçon comme Antoine qui, pour un caprice, arrête de faire ce qu’il sait faire, et partage avec une étu­di­ante une amusette dont il n’ignore pas qu’elle ne peut débouch­er sur rien ? Et que dire de Philippe le bien mar­ié qui tripote la baby-sit­ter de ses enfants, couche à l’impromptu avec Jeanne, tout bête­ment parce qu’ils avaient un peu trop bu un soir de pendai­son de cré­mail­lère, et pour finir, annonce à ses amis qu’il va chang­er de boulot : « Oui, j’en avais un peu marre, et eux aus­si, alors ça tombait bien… » ? Il n’empêche que, pour le moment, il n’a encore rien trou­vé, et ne sem­ble pas s’en être vrai­ment préoc­cupé. Et, de la part de la petite Vio­lette, est-ce bien raisonnable d’abandonner ses études pour aller faire cuire des crêpes, sim­ple­ment parce qu’elle s’ennuyait à Paris ?

S’ils sont, les uns et les autres, désar­mants d’insouciante gen­til­lesse, si vrais dans leur irre­spon­s­abil­ité rigolote, on ne peut mal­gré tout que s’inquiéter en songeant au temps où de tels trentagé­naires détien­dront, peu ou prou, des leviers de com­mande, la cinquan­taine venue.

Mme Buc en tout cas pose bien la ques­tion, sans avoir l’air d’y toucher.

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Le Jardin, de B. Buc, avec Annik Alane, Isabelle Géli­nas, Marc Fayet, Philippe de Ton­quédec et Cécile Reb­boah, au Théâtre des Math­urins, 36, rue des Math­urins, 75008 Paris. Tél. : 01.42.65.90.00.

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