La Querelle de l’école des femmes et La Femme du boulanger

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°534 Avril 1998Rédacteur : Philippe OBLIN (46)

De nos jours, la flex­i­bil­ité des liens du mariage tend à réduire le nom­bre des cocus explicites. On peut y voir une manière de pro­grès, et un “acquis de la moder­nité”, comme diraient les per­son­nes de qual­ité. Mais on peut aus­si déplor­er cette avancée sociale, en ce qu’elle prive les dra­maturges con­tem­po­rains d’un thème longtemps tenu pour inépuisable.

En cette année 1998, le cocuage est pour­tant à l’hon­neur sur les planch­es parisi­ennes. La Car­toucherie de Vin­cennes nous donne La Querelle de l’é­cole des femmes, en jouant d’af­filée L’É­cole des femmes , La Cri­tique de l’é­cole des femmes et L’Im­promp­tu de Ver­sailles, cette dernière pièce con­tenant de larges allu­sions aux dif­fi­cultés que les deux pre­mières causèrent à Molière.

De son côté, la Comédie des Champs-Élysées vient de mon­ter la ver­sion pour le théâtre de La Femme du boulanger, de Pag­nol. Le GPX y con­vie d’ailleurs ses adhérents.

Si j’ai vu le pre­mier spec­ta­cle, j’ai dû me con­tenter de relire le texte de Pag­nol. On ne peut pas être partout à la fois.

Certes, Arnolphe n’est point cocu, puisqu’il n’est pas encore mar­ié. Il compte seule­ment ter­min­er la chose dans demain, mais elle se ter­mine autrement qu’il voulait. Anterôs en tout cas, ce petit dieu grec de l’amour non partagé — que les Grecs n’avaient pas, sem­ble-t-il, réservé aux seuls cocus — s’acharne sur lui au degré d’en faire un guig­nol pitoyable.

Il est, à la Car­toucherie, incar­né sans fausse note par Serge Mag­giani. Et on peut, enfin, voir une exquise Agnès en la per­son­ne de Carine Noury. Enfin, parce que ces Agnès-là ne sont guère fréquentes. Je me sou­viens de l’une d’elles, inter­prétée au Français par Nathalie Bécue, mal dis­tribuée car son physique ingrat la con­traig­nait à jouer une Agnès à demi demeurée, dont on se demandait com­ment le pétu­lant Horace avait pu s’en­tich­er ; d’une autre, dans un spec­ta­cle mis en scène et joué par Mar­cel Maréchal, sans doute mignonne à souhait, mais si fluette qu’on ne l’en­tendait pas.

Et quelle spon­tanéité et jeune insou­ciance dans le jeu d’Hort­ense-Stéphane Com­by ! Une fête pour l’œil et l’oreille.

Tout cela dans un décor de Nico­las Sire, d’une par­faite sim­plic­ité, où une lampe allumée der­rière une fenêtre petite et haute suf­fit à la touche de mys­tère et de poésie dont le théâtre ne saurait se pass­er. Arnolphe fait rire, parce que le méti­er de Molière était de faire rire, mais dans ce tri­om­phe de la jeunesse incon­sciente sur l’im­bé­cil­lité d’un adulte.

Quelle mâle gai­eté, si triste et si profonde
Que lorsqu’on vient d’en lire, on devrait en pleurer.

Pag­nol savait bien, lui aus­si, de quoi est bâtie la vie des hommes : quelques joies très vite effacées par d’i­nou­bli­ables cha­grins. Il ajoutait cepen­dant : Il n’est pas néces­saire de le dire aux enfants.

Ten­ant le pub­lic pour un grand enfant, il se garde bien de lui révéler ce secret, et La Femme du boulanger se ter­mine de touchante manière. L’in­fidèle revient après sa brève aven­ture, penaude mais si gen­ti­ment accueil­lie par son boulanger de mari. Il lui a fait rôtir un poulet. Elle le mange, d’abord du bout des lèvres, puis de bon appétit parce que, après tout, elle est jeune, et qu’elle a faim. Désori­en­tée, elle avoue : Une bon­té comme la tienne, c’est pire que des coups de bâton. Pour s’en­ten­dre répon­dre : Que veux-tu, la bon­té, c’est dif­fi­cile à cacher. Alors, excuse-moi. Je ne le fais pas exprès. Pardonne-moi.

Du pur Pag­nol et, en enten­dant cela, on n’a plus du tout envie de rire de ce cocuage provençal, pour­tant si joyeuse­ment con­té. J’e­spère que M. Gal­abru le dit bien, sans “en faire trop”. Cela lui arrive, malheureusement.

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