Les Fourberies de Scapin

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°537 Septembre 1998Rédacteur : Philippe OBLIN (46)

Les per­son­nes d’esprit se plaisent sou­vent à médire de la Comédie-Française. Il arrive que leurs plaintes soient fondées. C’est le cas en ce moment et on com­prend Mme Françoise Seign­er d’avoir quit­té cette com­pag­nie voici peu.

L’autre soir, attiré par la rumeur publique, j’allai à la salle Riche­lieu pour y voir jouer Les Fourberies de Scapin. Acte méri­toire car il n’est pas facile de louer ses places dans ce théâtre, où le télé­phone fonc­tionne mal – insuff­i­sance du nom­bre de lignes, m’a‑t-on expliqué – et le Mini­tel pas mieux.

La presta­tion de M. Philippe Tor­re­ton dans le rôle de Scapin est excel­lente. Son juvénile et dés­in­volte brio ne sauve cepen­dant pas le spec­ta­cle de la médi­ocrité résul­tant d’une affligeante mise en scène, signée de M. Jean-Louis Benoît.

Les Fourberies sont une farce. Boileau s’en offusquait.

Soit ! Par­don­nons à son côté pédant quin­teux. Mais si le théâtre de tréteaux appelle le mou­ve­ment, ce n’est pas une rai­son pour con­train­dre les comé­di­ens à courailler à tra­vers le plateau en se jetant par terre toutes les qua­tre répliques. Exis­tent d’autres moyens de faire rire, moins pitoy­ables que ces niaiseries.

En out­re, il sem­ble que M. J.-L. Benoît ne sache pas lire, ou du moins respecter, un texte. La scène où Zer­bi­nette racon­te à Géronte l’histoire de la galère en se tor­dant de rire, con­for­mé­ment au texte ponc­tué de “ ha ha ”, est trans­for­mée. Zer­bi­nette la racon­te en tour­bil­lon­nant autour de Géronte, mais en riant à peine.

C’est seule­ment au début qu’elle rit, par terre, à plat ven­tre. Le rire aux éclats sur scène requiert la maîtrise d’une tech­nique res­pi­ra­toire dif­fi­cile, en tout cas incom­pat­i­ble avec le décu­bi­tus ven­tral. De sorte que la mal­heureuse Zer­bi­nette est con­trainte de se met­tre de travi­o­le pour lancer ses quelques éclats de rire. Cet effort lui passe apparem­ment le goût de continuer.

Autre infidél­ité : vous savez qu’à la fin, Scapin – apporté sur une civière – “ se met vive­ment en pied ”, selon la pro­pre indi­ca­tion scénique de Molière, puis, entouré de tous, dit :Et moi, qu’on me porte au bout de la table, en atten­dant que je meure.

M. J.-P. Benoît en a décidé autrement. Scapin n’est pas arrivé sur une civière mais debout, soutenu seule­ment. Pour ter­min­er, tous s’en vont dîn­er en gam­badant, le lais­sant seul.

Les lumières s’éteignent à demi, il défait son faux panse­ment tan­dis que la musique joue un air triste, puis il se dirige lente­ment vers la porte en mur­mu­rant sa dernière réplique.

C’est, de soi, bien venu. Ce final mélan­col­ique n’a, mal­heureuse­ment, rien à voir avec le texte et l’ultime phrase, dite par un homme seul, ne sig­ni­fie plus rien.

Peut-être après tout ne suis-je qu’un mal­con­tent de nature. Le pub­lic, en tout cas, applaud­is­sait beau­coup. Il faut se fier à l’audimat, n’est-ce pas.

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