L’Importance d’être Constant

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°609 Novembre 2005Par : Oscar WILDERédacteur : Philippe OBLIN (46)

Le méti­er de comé­di­en s’apprend, ou du moins le devrait-il. Voilà la rai­son pourquoi il con­vient de se méfi­er des “ comé­di­ens ama­teurs ” : per­son­ne ne leur a enseigné les ficelles du méti­er. On en vient même par­fois à se deman­der s’ils savent seule­ment qu’elles exis­tent, et que leur igno­rance peut se révéler fâcheuse. Sans doute bien des ama­teurs pos­sè­dent-ils des dons innés, qu’un min­i­mum de pra­tique du plateau leur per­met de dévelop­per, pour le plus grand agré­ment des spec­ta­teurs. Pour peu qu’ils aient en out­re le physique de l’emploi, ils se croient bons. Et ils le sont en effet, en répéti­tion ou même en représen­ta­tion intime, pareils à George Sand et ses amis sur le petit théâtre de Nohant, où la scène est plus grande que la salle, réduite à quelques fauteuils.

Ils se croient bons parce que, se con­for­mant aux dons que leur a con­férés la nature, ils sont en effet “ naturels ”. Mais le hic est que per­son­ne ne pos­sède, de nais­sance, le don de se faire enten­dre des spec­ta­teurs du dernier rang sans hurler, même dans une salle de taille moyenne. Or c’est bien ce que l’on attend, je serais ten­té de dire d’abord, d’un comé­di­en. Et comme il ne peut s’agir d’un don, c’est pré­cisé­ment cette pra­tique qui s’apprend. Elle passe, en pre­mier lieu, par la qual­ité de la dic­tion, mais une bonne dic­tion n’est pas tout. Il ne suf­fit point de s’abstenir de manger des syl­labes pour être com­pris, il faut en out­re maîtris­er la tech­nique de la res­pi­ra­tion ven­trale, celle du chat qui dort, pas celle du sportif. Et cette pra­tique n’est pas naturelle du tout. Seuls de laborieux exer­ci­ces peu­vent en faire une sec­onde nature, un réflexe à quoi l’on ne pense plus. Tous les gens de méti­er le savent bien. Les comé­di­ens ama­teurs l’ignorent trop souvent.

De sorte que s’ils sont naturels sur scène et y susurrent de leur voix naturelle des douceurs à leur dul­cinée, même les spec­ta­teurs du pre­mier rang ne les com­pren­dront pas. Être naturel et paraître naturel sont en la matière deux choses bien différentes.

Je me fai­sais ces réflex­ions l’autre soir en assis­tant à une représen­ta­tion, par une jeune troupe pour­tant bien sym­pa­thique, de L’Importance d’être Con­stant d’Oscar Wilde. Amu­sante satire de la gen­try anglaise vic­to­ri­enne, où l’on entend une lady à principes déclar­er à l’orphelin pré­ten­dant à la main de sa fille que “ per­dre un par­ent est un mal­heur, mais per­dre les deux devient de la nég­li­gence ”, elle se laisse voir avec plaisir.

Quoi qu’il en soit, le spec­ta­cle offrait bien des qual­ités : sobriété de bon aloi du décor, raf­fine­ment des cos­tumes, vic­to­riens à souhait, élé­gance et grâce des jeunes comé­di­ennes, aisance des garçons sachant en général que faire de leurs mains, ce qui n’est pas si facile, croyez-moi. On ne pou­vait en out­re que dire du bien de la mise en scène, par­faite­ment réglée, où les gestes et les déplace­ments, jamais inutiles, parais­saient couler de source.

La dic­tion aus­si sem­blait bonne, du moins lorsque l’on entendait ce qui se dis­ait sur scène. Cir­con­stance hélas excep­tion­nelle : même au sec­ond rang, où nous nous trou­vions, on ne perce­vait le plus sou­vent qu’une façon de mur­mure. D’évidence ces jeunes comé­di­ens, plus ou moins ama­teurs me sem­ble-t-il, n’avaient pas encore appris à respirer.

C’était grand dom­mage pour Oscar Wilde, dont on per­dait beau­coup de l’humour mélan­col­ique et fin. Cher Wilde, que l’on ne joue plus guère en France à présent, sans doute parce que les dizaines de per­son­nages de ses pièces les ont ren­dues hors de portée de bud­gets peu sub­ven­tion­nés. Peut-être aus­si parce qu’elles sont par­fois un tan­ti­net bavardes. Défaut hélas assez répan­du en ce stu­pide XIXe siè­cle qui fut le sien.

Le théâtre de cet Irlandais n’est d’ailleurs pas fait seule­ment de pièces amu­santes et gra­cieuses. On y trou­ve aus­si des drames noirs, tels cette Véra ou les nihilistes, sorte de Her­nani mât­iné de grand-guig­nol, où l’on voit une nihiliste au grand coeur, un tsarévitch ami du peu­ple, une grande abon­dance de con­spir­a­teurs, des min­istres cor­rom­pus, un tsar plus couard qu’un rat musqué finis­sant assas­s­iné. Un salmigondis à coup sûr injouable, quelque chose de pire encore que Les Mains sales du regret­té Sartre.

Ce que l’on sait moins peut-être, c’est que Wilde mani­ait par­faite­ment notre langue : son dernier drame, Salomé, fut en effet écrit en français, à Paris où il se réfu­gia après ses mal­heurs et son empris­on­nement à Read­ing. Cette Salomé qui servit d’argument à Richard Strauss (et à son libret­tiste von Hof­mannsthal) pour com­pos­er son turges­cent opéra du même nom. Il est d’ailleurs amu­sant de not­er que les Anglais, revenus de leurs préjugés homo­phobes et vic­to­riens et voulant faire du mau­dit un auteur bien de chez eux en pub­liant ses oeu­vres com­plètes, durent faire traduire Salomé.

Quel dom­mage donc que tant de tal­ent créa­teur, si var­ié, n’ait pas été mieux servi, faute de tech­nique vocale, le soir de cette Impor­tance d’être Con­stant !

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