L’OPÉRA DE SARAH

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°643 Mars 2009Par : d’Alain Marcel et dans une mise en scène de l’auteur, avec Jérôme Pradon et Damien Roche au pianoRédacteur : Philippe Oblin (46)

Affiche théatre ; L'opéra de SarahPor­ter à la scène l’évocation d’une vie tumul­tueuse attire tou­jours les dra­ma­turges. A for­tio­ri s’il s’agit d’une comé­dienne de haut vol comme fut Sarah Bern­hardt qui, sa vie durant, défraya la chro­nique théâ­trale, comme la mon­daine d’ailleurs. Tous les ama­teurs de théâtre se sou­viennent de Sarah ou le cri de la lan­gouste, du Cana­dien John Mur­rel, où la grande Sarah dicte ses mémoires à son secré­taire Pitou, lequel « joue » pour elle les êtres qu’elle a connus, afin de lui faci­li­ter le retour des sou­ve­nirs. On sait que la pièce fut tra­duite et adap­tée par Éric-Emma­nuel Schmitt, inter­pré­tée voi­ci quelques années par Fan­ny Ardant et Robert Hirsch, avec un immense succès.

Aujourd’hui, c’est le comé­dien, met­teur en scène et auteur Alain Mar­cel qui reprend ce même sujet avec son Opé­ra de Sarah, de quatre-vingt-deux per­son­nages, y com­pris un nar­ra­teur. Ce qui est évi­dem­ment beau­coup mais l’idée du dra­ma­turge fut de confier tous ces rôles à un seul comé­dien. Une stu­pé­fiante gageure ! Il fal­lait en trou­ver un qui fût capable de tenir le pari, d’autant plus dif­fi­cile que le texte com­porte de nom­breuses par­ties chan­tées, sou­te­nues par un pia­no d’ailleurs omni­pré­sent. Or il l’a trou­vé, en la per­sonne de Jérôme Pra­don, un gar­çon menant une car­rière entre France, Angle­terre et Cana­da, plu­tôt orien­tée sur la comé­die musi­cale à l’anglo-saxonne, encore qu’il ait joué Racine ou Mari­vaux, entre autres, sur des scènes françaises.

Seul sur le pla­teau, le voi­là donc incar­nant tout à tour Sarah et tous ceux qui gra­vi­tèrent autour d’elle, de son enfance bre­tonne à sa seconde entrée à la Comé­die-Fran­çaise, sans que pour­tant jamais le spec­ta­teur ne s’y perde, au milieu de tant de monde. Période où cette femme éton­nante fit décou­vrir et affir­ma son talent de tra­gé­dienne, mais déve­lop­pa aus­si une habi­le­té à tirer par­ti de ses innom­brables frasques pour faire par­ler d’elle : c’est à pro­pos d’elle que Coc­teau for­gea le terme de « monstre sacré ». Mais nous voyons aus­si le revers de la médaille : elle fut en effet une ter­ri­fiante « dévi­deuse de fil à retordre » pour son entou­rage proche, tout par­ti­cu­liè­re­ment pour les direc­teurs et admi­nis­tra­teurs des théâtres où elle se pro­dui­sit, avant de deve­nir elle-même direc­trice. Cette démons­tra­tion d’agilité scé­nique est accom­pa­gnée au pia­no par Damien Roche, l’auteur de la par­ti­tion qui d’ailleurs n’est pas seule­ment pia­niste, mais per­cus­sion­niste, et cela s’entend ! Presque un peu trop dans les pre­mières minutes, où le pia­no tend à écra­ser la voix pas encore chauf­fée du comé­dien. Cette pro­vi­soire dif­fi­cul­té d’audition se trouve aggra­vée par le fait que le texte démarre sur des « répliques » échan­gées en bre­ton entre l’enfant Sarah et sa nour­rice. Avant que le « nar­ra­teur » ne tra­duise, on se demande ce qui se passe.

Le spec­tacle, inces­sam­ment paroxys­tique à l’image de la vie même de Sarah, dure envi­ron une heure qua­rante. C’est peut-être un peu long. Mal­gré d’habiles effets et chan­ge­ments d’éclairage, qui deviennent presque des chan­ge­ments de décor, mal­gré sur­tout les dons pro­di­gieux du comé­dien, on peut craindre que le spec­ta­teur n’éprouve à la longue un sen­ti­ment de répé­ti­tion des effets scé­niques. Comme si l’auteur, ayant eu la chance de trou­ver un inter­prète excep­tion­nel, avait, dans le sou­ci de bien ser­vir la mémoire de la tra­gé­dienne, quelque peu per­du le sens de la mesure dans la durée.

Pour la petite his­toire poly­tech­ni­cienne, je révé­le­rai que Jérôme Pra­don est le fils de notre cama­rade Claude Pra­don (56) et que je l’ai connu tout bébé, à Mada­gas­car, voi­là déjà un petit temps.

Poster un commentaire