L’enseignement technique : une voie de formation toujours en quête de reconnaissance

Dossier : La formationMagazine N°544 Avril 1999Par : Jacques BODINEAU Directeur de la formation, École normale supérieure de Cachan

Un état des lieux

Traiter de l’en­seigne­ment tech­nique implique d’en bien pré­cis­er le cadre et de définir les types d’enseignement.

Deux voies de formation

Après la Sec­onde Guerre mon­di­ale un cer­tain nom­bre d’in­tel­lectuels comme Wal­lon, Fourastié, Fried­man con­tribuèrent par leur prise de posi­tion à val­oris­er l’en­seigne­ment tech­nique et, ce faisant, à favoris­er son inté­gra­tion dans l’ap­pareil sco­laire. Le mou­ve­ment s’est opéré avec la réforme Berthoin de 1959 et l’in­sti­tu­tion d’un enseigne­ment général long, clas­sique, mod­erne et tech­nique et d’un enseigne­ment court, l’en­seigne­ment pro­fes­sion­nel cor­re­spon­dant aux anciens cen­tres d’ap­pren­tis­sage évolu­ant en col­lèges d’en­seigne­ment tech­nique (CET).

La ter­mi­nolo­gie offi­cielle con­firmera cette évo­lu­tion en dis­tin­guant les deux voies : un enseigne­ment tech­nique et un enseigne­ment pro­fes­sion­nel qui con­sti­tuèrent un ordre d’en­seigne­ment séparé, avec ses struc­tures pro­pres, des­tiné en pri­or­ité aux enfants des milieux ouvri­ers. Le lycée tech­nique se ver­ra pro­gres­sive­ment recon­nu comme étab­lisse­ment du sec­ond degré pour devenir lycée d’en­seigne­ment tech­nologique afin d’in­té­gr­er au début des années qua­tre-vingt-dix le cadre générique du LEGT (lycée d’en­seigne­ment général et technologique).

La réforme des lycées à par­tir de 1992 regroupe les bac­calau­réats tech­nologiques en qua­tre domaines : indus­triel (STI), ter­ti­aire (STT), médi­co-social et hôtel­lerie, aux­quels s’a­joutent encore une quin­zaine de brevets de tech­ni­ciens plus spé­cial­isés avec un effec­tif réduit (env­i­ron 10 000 élèves en ter­mi­nale). Ce qui car­ac­térise ces for­ma­tions au cours des trois dernières décen­nies, c’est la réduc­tion quan­ti­ta­tive de la part dévolue aux con­tenus pro­pre­ment tech­niques au prof­it d’un enseigne­ment plus sci­en­tifique — l’ex­em­ple des séries indus­trielles est car­ac­téris­tique avec une réduc­tion dras­tique des horaires d’ate­lier non com­pen­sée par un développe­ment des stages en entre­prise. En réal­ité ces bac­calau­réats sont devenus des propédeu­tiques pour la pour­suite mas­sive à Bac + 2 vers les class­es de STS et plus faible­ment d’I­UT où sera apporté le com­plé­ment professionnel.

Avec une autre logique, l’en­seigne­ment pro­fes­sion­nel a pro­gres­sive­ment trou­vé sa spé­ci­ficité. Les change­ments d’ap­pel­la­tion témoignent de la dif­fi­culté à con­serv­er le dou­ble ancrage : d’un côté une for­ma­tion sous statut sco­laire, de l’autre une rela­tion forte avec le monde du travail.

Les col­lèges d’en­seigne­ment tech­nique (CET) ont lais­sé la place aux lycées d’en­seigne­ment pro­fes­sion­nel (LEP) en 1976 dont la con­no­ta­tion sco­laire est gom­mée avec l’in­ti­t­ulé lycée pro­fes­sion­nel (LP) en 1986. Les for­ma­tions dis­pen­sées ont des con­tenus plus pra­tiques avec des références aux métiers ce qui implique la mise en œuvre de travaux pro­duc­tifs et des liens plus étroits avec l’en­vi­ron­nement professionnel.

Au cours de la décen­nie 1980, la crise économique et donc de l’emploi et les con­sid­érables muta­tions tech­nologiques ont provo­qué une crise pro­fonde qui fut en grande par­tie sur­mon­tée à la fin des années 1980. L’ac­tion menée fut con­duite con­join­te­ment dans trois direc­tions : un rap­proche­ment avec les milieux pro­fes­sion­nels qui se traduit par la mise en place de l’al­ter­nance sous statut sco­laire accom­pa­g­née d’une poli­tique des jume­lages écoles-entre­pris­es (réf. Cir­cu­laire du 1er octo­bre 1984), une actu­al­i­sa­tion des con­tenus de for­ma­tion et la créa­tion d’un bac­calau­réat pro­fes­sion­nel (1985) ouvrant un niveau de tech­ni­cien à des for­ma­tions pla­fon­nées jusqu’alors au niveau V, enfin un renou­velle­ment des équipements lourds grâce au plan machines-out­ils (1983–1985) relayé par le dis­posi­tif des con­trats de plan État-Régions. Cette muta­tion a néces­sité l’adap­ta­tion des enseignants aux nou­velles exi­gences pro­fes­sion­nelles. Le recrute­ment s’est élar­gi aux diplômés de l’en­seigne­ment tech­nique supérieur pour suc­céder aux anciens maîtres d’ate­lier, issus de l’en­tre­prise pour la plu­part, et plus aptes à faire face à la trans­ver­sal­ité des métiers qui impose de sub­stituer au binôme un homme/une machine, celui d’un système/une équipe.

La tra­duc­tion de ce mou­ve­ment est illus­trée par quelques chiffres. C’est ain­si que les CAP en trois ans sont en voie de dis­pari­tion (21 000 élèves) — rem­placés par des CAP en deux ans — et, a con­trario, les BEP ont béné­fi­cié de ce glisse­ment (462 000). Dans le même temps le nom­bre de spé­cial­ités sanc­tion­nées par un CAP est réduit à 240 (300 en 1990) et 34 des BEP accueil­lent plus de 90 % des effec­tifs. L’en­seigne­ment pro­fes­sion­nel y a gag­né en élé­va­tion du niveau de qual­i­fi­ca­tion ce qui répond glob­ale­ment à la demande des milieux pro­fes­sion­nels, mais la page du cen­tre d’ap­pren­tis­sage et de l’i­den­tité ouvrière est bien tournée et l’ap­pel à de jeunes pro­fesseurs tech­ni­ciens a accéléré l’évolution.

Rappel de quelques données

Dans les années qua­tre-vingt les lycées ont ” craqué ” con­nais­sant une pro­gres­sion jusqu’à 7 % l’an (en 1987). Cette poussée intense de sco­lar­i­sa­tion s’est faite prin­ci­pale­ment au béné­fice de l’en­seigne­ment général — une crois­sance tout aus­si forte s’est opérée au niveau des STS dont les effec­tifs passent de 46 000 en 1976 à 111 000 en 1985.

Après l’ex­plo­sion sco­laire qui s’est traduite par une cer­taine désaf­fec­tion de l’en­seigne­ment tech­nique et surtout pro­fes­sion­nel, notam­ment pour les fil­ières indus­trielles, le mou­ve­ment s’est enrayé depuis 1991–1992 en même temps que l’on a observé, la men­ace du chô­mage aidant, un retour vers les fil­ières techniques.

En 1998 l’en­seigne­ment tech­nique et pro­fes­sion­nel con­cerne la moitié d’une classe d’âge en lycée et près de 60 % en y ajoutant l’ap­pren­tis­sage. Chaque année plus de 600 000 diplômes tech­niques et pro­fes­sion­nels sont délivrés du CAP-BEP en pas­sant par les bac­calau­réats pro­fes­sion­nels, brevets de tech­ni­ciens et BTS-DUT.

Au cours des quinze dernières années de pro­fonds change­ments ont mar­qué cet enseigne­ment : sup­pres­sion du palier d’ori­en­ta­tion vers le CAP (trois ans) à la fin de la classe de cinquième, réno­va­tion du con­tenu des CAP et BEP, créa­tion du bac­calau­réat pro­fes­sion­nel (1985), ouver­ture de la pré­pa­ra­tion de tous les diplômes par la voie de l’apprentissage.

Ces évo­lu­tions se traduisent dans les résul­tats au bac­calau­réat dont les pour­cent­ages d’ad­mis par généra­tion ont plus que dou­blé depuis 1985, pas­sant de 29,4 % à 61,5 % — pour un tiers env­i­ron ce gain est dû au bac­calau­réat pro­fes­sion­nel : 101 609 inscrits en 1985. C’est ain­si que le bac­calau­réat pro­fes­sion­nel représente 16 % des can­di­dats, 28 % pour le bac­calau­réat tech­nologique et 56 % pour le bac­calau­réat général.

De nou­veaux pro­grès devraient être enreg­istrés dans les niveaux de for­ma­tion atteints. C’est ain­si que la part d’une généra­tion accé­dant au niveau du bac­calau­réat devrait attein­dre 72 % d’i­ci 2003. Un des objec­tifs majeurs affir­mé par la loi d’ori­en­ta­tion de 1989 et con­fir­mé par la loi quin­quen­nale sur l’emploi (arti­cle 54) est d’as­sur­er à tous une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle “min­i­male”. Ain­si le niveau à attein­dre serait au moins équiv­a­lent au CAP ou au BEP. On table ain­si sur 22 % d’élèves sup­plé­men­taires arrivant en ter­mi­nale pro­fes­sion­nelle (CAP-BEP) ou en sec­onde ou pre­mière de lycée. L’ac­cueil des jeunes pour­ra se faire en par­ti­c­uli­er par la créa­tion de “sec­tions d’ap­pren­tis­sage en lycées”. En lycée pro­fes­sion­nel on estime en 2003 à 70 000 élèves dans ce dis­posi­tif de for­ma­tion ce qui porterait les effec­tifs des LP à 840 ou 850 000, con­tre 814 000 à la ren­trée 1993, et ren­forcerait l’en­seigne­ment professionnel.

Les dépens­es de l’é­d­u­ca­tion ont pro­gressé pour répon­dre à la crois­sance des effec­tifs et aux efforts pour amélior­er les niveaux de qualification.

En 1997 la dépense intérieure d’é­d­u­ca­tion est de 592 mil­liards de francs, soit 7,3 % du PIB. Le coût moyen par élève est de 35 700 F, soit une dépense d’é­d­u­ca­tion de 10 100 F par habitant.

L’en­seigne­ment tech­nique pèse bien sûr d’un poids par­ti­c­uli­er à la fois par le fait d’un encadrement plus impor­tant, mais aus­si par des dépens­es en cap­i­tal et en fonc­tion­nement plus élevées (notam­ment pour les fil­ières indus­trielles). Ain­si pour le sec­ond cycle général la dépense moyenne est de 46 900 F con­tre 59 900 F pour le tech­nologique. Et, sur l’ensem­ble d’une sco­lar­ité, le coût pour une durée de seize ans menant à un bac­calau­réat tech­nologique est de 550 000 F et pour un bac­calau­réat pro­fes­sion­nel 654 000 F. Ce finance­ment est assuré pour l’essen­tiel par l’É­tat (64,6 %) et les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales (20,4 %), s’a­joutent en troisième rang les ménages (6,9 %) puis les entre­pris­es (5,8 %).

Quelles perspectives pour l’enseignement technique

Jusqu’en 1984, l’ac­cent a été porté sur l’échec sco­laire. Puis, la crise économique aidant, ce débat fut relayé par le thème de la qual­ité en même temps qu’émergeait plus forte­ment une logique économique plus bru­tale où l’emportent les notions de rentabil­ité, de pro­duc­tiv­ité. L’É­d­u­ca­tion n’est plus, comme le souligne B. Char­lot, “un levi­er pour chang­er la vie, elle est une oblig­a­tion pour trou­ver un emploi”.

C’est dans cette per­spec­tive qu’il faut, me sem­ble-t-il, analyser le volon­tarisme édu­catif des années 1980 et le choix, sous le min­istère Chevène­ment, du slo­gan des 80 % qui eut ensuite valeur d’ori­en­ta­tion nationale (cf. loi du 10 juil­let 1989, arti­cle 3). L’in­jonc­tion visant à adapter for­ma­tion et emploi devient très forte à l’é­gard des enseignants, mais égale­ment des entre­pris­es quand on assigna au sys­tème édu­catif d’an­ticiper sur les besoins futurs en prenant appui sur les travaux con­duits en 1985 par le Bureau d’in­for­ma­tion et de prévi­sions économiques (BIPE). Le rap­pel de quelques don­nées donne l’am­pleur des muta­tions à opérer.

Évo­lu­tion prévue des emplois dans l’industrie entre 1982 et 2000
Niveaux 1982 2000
VI (sans qualification) 12 mil­lions d’actifs 56% 8 mil­lions 32%
V (CAP – BEP) 4,8 mil­lions d’actifs 22% 7,4 mil­lions 30%
IV – III – II – I (Bac et supérieur) 4,9 mil­lions d’actifs 22% 9,4 mil­lions 38%


Il s’ag­it là de pro­jec­tions, mais ces don­nées ont forte­ment pesé sur les ori­en­ta­tions nationales et, en con­séquence, sur les choix régionaux. C’est ain­si que fut créé le bac­calau­réat pro­fes­sion­nel (loi de décem­bre 1985) qui devait cor­re­spon­dre à un pro­fil val­orisé d’ou­vri­er tech­ni­cien et un pro­fil de méti­er cor­re­spon­dant à une spé­cial­i­sa­tion don­née par un CAP. À not­er que le nom­bre de jeunes sor­tis du sys­tème sco­laire sans diplôme ou qual­i­fi­ca­tion a été réduit en dix ans de 10 à 5 %, soit env­i­ron 40 000 par an.

Sur ce canevas général se sont bâtis dans les Régions les sché­mas prévi­sion­nels de for­ma­tion, cer­tains, au nom d’une bonne adéqua­tion emplois-for­ma­tion, se sont lim­ités à éla­bor­er une pro­jec­tion ten­dan­cielle de l’ex­is­tant, ce qui ne garan­tit pas une bonne adap­ta­tion aux change­ments ; d’autres ont mieux su artic­uler for­ma­tion ini­tiale et con­tin­ue et favoris­er la mobil­ité professionnelle.

Une nou­velle étude du BIPE (1996) porte sur les recrute­ments de débu­tants pour la péri­ode 1996–2005. Cette étude plus ciblée nuance et pré­cise la précé­dente analyse. La part des emplois les plus qual­i­fiés con­tin­ue à pro­gress­er mais à un rythme moins soutenu. C’est ain­si que les ouvri­ers qual­i­fiés représen­teraient 69 % des emplois ouvri­ers en 2005 con­tre 56 % en 1985. À l’autre bout de la chaîne, les cadres supérieurs for­meraient 14 % des emplois con­tre 9,3 % en 1985. Pour l’essen­tiel les créa­tions nettes d’emplois con­cerneront les pro­fes­sions inter­mé­di­aires, prin­ci­pale­ment les emplois ter­ti­aires (175 000/an).

Quant aux emplois tech­niques, ils con­naî­traient une qua­si-stag­na­tion, la forte baisse des effec­tifs ouvri­ers non qual­i­fiés (31 000/an) n’é­tant pas com­pen­sée par les pertes de tech­ni­ciens (16 000/an) et d’ingénieurs. Dans ce con­texte les niveaux de diplômes des jeunes ten­dent à croître dans toutes les caté­gories d’emploi.

Dans un con­texte de com­péti­tiv­ité économique une nou­velle logique s’im­pose, celle de l’ef­fi­cac­ité qui met désor­mais en pri­or­ité de nou­veaux objec­tifs : faire primer le qual­i­tatif sur l’ef­fort quantitatif.

En con­clu­sion, les dif­fi­cultés d’in­ser­tion des jeunes sor­tant du sys­tème édu­catif sans aucun diplôme ne pour­ront que s’ac­centuer. La demande de tit­u­laires d’un diplôme à BAC + 2 ou équiv­a­lent con­tin­ue à croître. Elle pour­rait même, dans un envi­ron­nement économique favor­able, dépass­er les capac­ités de sor­ties du sys­tème édu­catif. Mais surtout sub­siste comme risque majeur l’in­suff­i­sance glob­ale du nom­bre d’emplois offerts plus que celui d’un déséquili­bre struc­turel entre les besoins de l’é­conomie et les sor­ties du sys­tème édu­catif, ce qui pèsera sur la ten­dance à l’al­longe­ment des études ini­tiales : la réal­ité de l’emploi pour les tit­u­laires de BTS-DUT, surtout dans les pro­fes­sions ter­ti­aires, incite sou­vent à la pour­suite d’études.

Ce change­ment de per­spec­tive s’ac­com­pa­gne à la fois d’une décon­cen­tra­tion du sys­tème en ren­forçant l’au­tonomie des acteurs de ter­rain, enseignants et entre­pris­es, et en con­séquence, en faisant pré­val­oir une logique de la demande qui cor­re­spond aux besoins de l’en­tre­prise et à laque­lle doit cor­re­spon­dre une for­ma­tion du jeune. B. Char­lot sché­ma­tise fort bien le pas­sage d’une démarche tra­di­tion­nelle de trans­mis­sion des savoirs à la nou­velle logique que l’on peut décrire “comme une demande d’un ser­vice spé­ci­fique sur le marché de la consommation”.

Savoirs struc­turés en disciplines
 
Valeurs cul­turelles et sociales
Trans­mis­sion de ces savoirs
 
Incul­ca­tion de ces valeurs
For­ma­tion de l’individu Accès à l’emploi

Néces­sités de la production Deman­des de l’en­tre­prise en per­son­nel formé Offre d’emploi sur le marché du travail Demande de for­ma­tion du jeune et de sa famille Déf­i­ni­tion d’une for­ma­tion de “qual­ité”


La diver­sité appa­raît comme le corol­laire néces­saire de la logique de la demande qui se traduit par une dif­féren­ci­a­tion des lieux de for­ma­tion. Celle-ci n’est plus le mono­pole du sys­tème sco­laire et il doit même s’in­tro­duire une ému­la­tion entre les étab­lisse­ments et d’autres cen­tres de for­ma­tion, c’est une façon de pré­par­er les jeunes à la com­péti­tion, à l’in­no­va­tion. Cette muta­tion s’est opérée avec une par­tic­i­pa­tion crois­sante de l’en­tre­prise dans le dis­posi­tif de for­ma­tion, qu’il s’agisse de séquences éduca­tives insti­tuées par C. Beul­lac, jume­lages, for­ma­tion en alter­nance inscrite comme temps fort du cur­sus (par exem­ple : 16 à 20 semaines pour le bac­calau­réat pro­fes­sion­nel), développe­ment de l’ap­pren­tis­sage jusqu’au niveau d’ingénieur.

La donne a pro­fondé­ment changé. Dans les années 1960 est né le con­cept de la “rela­tion for­ma­tion-emploi”. Depuis la vision mécan­iste ini­tiale s’est forte­ment estom­pée et l’on pense main­tenant à une “rela­tion simul­tanée” et non plus con­séc­u­tive, la for­ma­tion s’ac­quérant “dans” et “par” l’emploi au sein de l’en­tre­prise dev­enue désor­mais formatrice.

Il importe d’in­tro­duire une “rela­tion simul­tanée” à tous niveaux et ce d’au­tant que le développe­ment de nou­velles tech­nolo­gies milite pour l’ou­ver­ture de l’é­cole sur l’en­vi­ron­nement économique. C’est plus large­ment toute une stratégie de parte­nar­i­at qui se met en place. Cette syn­ergie de parte­nar­i­at ne peut être à sens unique et les milieux pro­fes­sion­nels récla­ment main­tenant un partage de respon­s­abil­ité dans la con­cep­tion et la ges­tion de l’of­fre de formation.

La demande des milieux pro­fes­sion­nels s’ex­prime à la fois en ter­mes de recon­nais­sance sociale, du coût de for­ma­tion lié à l’al­ter­nance et, ce n’est pas le moin­dre — l’en­jeu porte sur des mil­liards de francs -, des con­tenus de for­ma­tion et de leur val­i­da­tion. Autant les entre­pris­es recon­nais­sent à l’é­cole, avec des nuances, la capac­ité de faire acquérir les com­pé­tences tech­nologiques, autant les com­pé­tences pro­fes­sion­nelles relèvent de la pra­tique, de l’ex­péri­ence acquise sur le ter­rain avec de plus en plus une nou­velle com­posante, celle des com­pé­tences com­porte­men­tales car­ac­térisées par le sens de l’or­gan­i­sa­tion, l’au­tonomie, l’ap­ti­tude à com­mu­ni­quer, toutes choses que l’É­cole est mal pré­parée à dis­penser. C’est d’ailleurs l’un des objec­tifs de l’al­ter­nance que de respon­s­abilis­er l’élève, de favoris­er sa social­i­sa­tion dans un cadre de tra­vail. Ce cadre général est évo­lu­tif et la dialec­tique entre les avancées tech­nologiques et l’or­gan­i­sa­tion de tra­vail exige une adapt­abil­ité qui remette con­stam­ment en cause les ten­dances à la per­ma­nence du sys­tème éducatif.

C’est ain­si que l’on assiste à une recom­po­si­tion du tra­vail dans l’in­dus­trie s’ac­com­pa­g­nant d’une réduc­tion des emplois spé­cial­isés : Renault, par exem­ple, a obtenu une val­i­da­tion du CAP “Exploitant d’in­stal­la­tions indus­trielles”. Cette recom­po­si­tion mar­quée par une plus grande poly­va­lence n’est pas pro­pre à ce secteur d’ac­tiv­ité, de nou­veaux emplois pluripro­fes­sion­nels se créent en inté­grant des métiers réputés spé­cial­isés. Doit-on dans ce con­texte con­serv­er la mul­ti­plic­ité des CAP ou engager sans tarder des regroupe­ments sur des socles pro­fes­sion­nels plus larges ? Un rap­proche­ment entre le dis­posi­tif sco­laire et une nou­velle con­cep­tion des emplois qui évite la logique de qual­i­fi­ca­tion étroite au poste de tra­vail atténuerait l’un des freins à l’in­ser­tion des jeunes diplômés.

Les rigid­ités ne touchent pas seule­ment la for­ma­tion ini­tiale, elles con­cer­nent égale­ment de larges pans de la pop­u­la­tion active alors que notre pays con­naît glob­ale­ment un déficit de qual­i­fi­ca­tion. Au cours de la dernière décen­nie les entre­pris­es ont très large­ment anticipé, au nom d’une flex­i­bil­ité externe, sur les sor­ties du sys­tème édu­catif et, compte tenu de la loi de l’of­fre et de la demande, sou­vent en embauchant à niveau de diplôme supérieur à la qual­i­fi­ca­tion réelle, au détri­ment de la mobil­ité interne des per­son­nels en place. Or le chantier est à entre­pren­dre par les deux bouts de la chaîne, for­ma­tion ini­tiale et con­tin­ue. Le pro­pos n’a rien du dis­cours incan­ta­toire, il exprime un enjeu pour notre société actuelle­ment trop rigide et traduit en ter­mes d’ori­en­ta­tion forte une don­née démo­graphique qui est le vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion active en France. On estime qu’en­tre 1990 et 2010 les effec­tifs des 25–45 ans se réduiront de 1,2 mil­lion et qu’en revanche les plus de 45 ans se ren­forceront de 5,8 mil­lions. La néces­sité d’une for­ma­tion con­tin­uée s’im­pose donc avec force, le prob­lème édu­catif des prochaines années n’est plus, comme on le pense trop sou­vent, au niveau de l’ac­cès au Savoir, mais tout autant du main­tien du Savoir et de la compétence.

Paris, IUFM.Cet enjeu de con­duire de pair for­ma­tion ini­tiale et for­ma­tion con­tin­ue se dou­ble d’une nou­velle con­trainte, celle de l’en­trée en force de nou­velles tech­nolo­gies aux évo­lu­tions rapi­des. Pour la for­ma­tion des élèves et des étu­di­ants le développe­ment de l’al­ter­nance apporte une réponse par­tielle à la mise à niveau tech­nologique des con­tenus de for­ma­tion — la réno­va­tion des diplômes est actuelle­ment assurée avec une péri­od­ic­ité de cinq à sept ans max­i­mum — et la mise en œuvre des con­trats État-Régions a per­mis l’in­tro­duc­tion d’équipements mod­ernisés dans les étab­lisse­ments. En revanche on ne souligne pas assez le tra­vail en amont dont tout dépend, la for­ma­tion des enseignants et la qual­ité de leur qual­i­fi­ca­tion tech­nologique et pro­fes­sion­nelle. La péné­tra­tion en force de nou­velles tech­nolo­gies a imposé aux respon­s­ables de for­ma­tion à la fois :

  • d’ac­croître la tech­nic­ité de l’en­seignant par un tra­vail expéri­men­tal, la réal­i­sa­tion de pro­jets sur la base de sup­ports indus­triels réels et des stages en entreprise,
  • de ren­forcer les acquis en sci­ences fon­da­men­tales, seuls garants d’une bonne adapt­abil­ité future.


Cette dual­ité est essen­tielle pour l’en­seignant du tech­nique qui artic­ule à la fois théorie et pra­tique. Il se définit par rap­port à une dis­ci­pline et donc un sys­tème de savoirs, mais en même temps il met en œuvre des tech­niques dans une classe et agit en pro­fes­sion­nel. En per­ma­nence existe une ten­sion con­stante entre les deux logiques, celle de la dis­ci­pline d’ap­par­te­nance et celle de la pra­tique — cette spé­ci­ficité con­duit d’ailleurs à pos­er le prob­lème de l’al­ter­nance. L’en­seignant du tech­nique appa­raît donc comme “mul­ti­mé­di­a­teur” bien sûr près des élèves, mais aus­si comme dif­fuseur de tech­nolo­gie et de savoir près des PME-PMI rat­tachées au réseau de rela­tions des lycées.

Dress­er un état des lieux, recenser les évo­lu­tions pos­si­bles, définir des objec­tifs pour insuf­fler une nou­velle dynamique à l’en­seigne­ment tech­nologique et pro­fes­sion­nel, tout cela relèvera de l’ac­tion académique, voire de l’in­can­ta­tion tant que ces voies de for­ma­tion garderont près des familles une image néga­tive et seront con­sid­érées par les élèves comme des fil­ières de relé­ga­tion — tout par­ti­c­ulière­ment pour l’en­seigne­ment pro­fes­sion­nel. Le hand­i­cap tient à la fois à une représen­ta­tion erronée qu’ont les par­ents de cer­tains métiers qui n’a plus rien à voir avec la réal­ité actuelle et plus encore à un obsta­cle cul­turel que l’on retrou­ve à tous niveaux y com­pris en classe pré­para­toire pour la nou­velle fil­ière Physique-Tech­nolo­gie (PT) dont les effec­tifs se réduisent alors même que le nom­bre de places offertes en écoles d’ingénieurs s’accroît.

En ces temps de réformes annon­cées solen­nelle­ment par la pub­li­ca­tion de “Chartes” — charte de l’é­cole du xxie siè­cle (jan­vi­er 1999), charte des lycées -, des études par­ti­c­ulières sont néces­saires pour le “tech­nique”.

C’est ain­si que les recteurs William Marois et Daniel Bloch font une série de propo­si­tions pour l’en­seigne­ment pro­fes­sion­nel et Chris­t­ian Foresti­er traite de la voie tech­nologique de la sec­onde au BAC + 2. Une nou­velle fois l’en­jeu porte sur la néces­saire reval­ori­sa­tion de l’im­age de ces for­ma­tions — pour les séries indus­trielles il s’ag­it désor­mais de ter­res de mis­sion. Si les con­clu­sions n’ap­por­tent pas de pro­fond boule­verse­ment elles ont au moins l’in­térêt de sys­té­ma­tis­er des pra­tiques : pour la voie pro­fes­sion­nelle l’élab­o­ra­tion de chartes de parte­nar­i­at acces­si­bles depuis des sites Web, le développe­ment d’une poli­tique plus active de for­ma­tion et de trans­fert de tech­nolo­gie avec les PME-PMI (créa­tion de plates-formes asso­ciant des étab­lisse­ments), répar­ti­tion sur l’ensem­ble de l’an­née sco­laire des péri­odes de for­ma­tion en entre­prise (le con­cept “d’en­seigne­ment pro­fes­sion­nel inté­gré” suc­céderait à l’al­ter­nance) ; pour la voie tech­nologique l’ef­fort doit porter sur le rééquili­brage entre les séries STI (tech­nique indus­trielle), STL (tech­nique de lab­o­ra­toire) et les séries ter­ti­aires aux effec­tifs pléthoriques. Pour ce faire on cherchera à val­oris­er la série sci­en­tifique “sci­ences de l’ingénieur” (10 % des bache­liers sci­en­tifiques) et par ailleurs on dévelop­pera des passerelles en créant des pre­mières d’adap­ta­tion en lycées pro­fes­sion­nels. Ces évo­lu­tions devront aller de pair avec le défrichage engagé en for­ma­tion con­tin­ue pour favoris­er la mobil­ité pro­fes­sion­nelle (val­i­da­tion des acquis, cer­ti­fi­ca­tion des compétences).

L’ac­tion en cours est néces­saire mais elle n’est pas suff­isante tant que les voies tech­nologique et pro­fes­sion­nelle ne seront pas recon­nues aux yeux du pub­lic comme d’é­gale dig­nité avec les autres voies de for­ma­tion — cela passe aus­si par l’en­seigne­ment dis­pen­sé dans des étab­lisse­ments aus­si pres­tigieux que ceux tra­di­tion­nelle­ment réservés à l’en­seigne­ment général. En bout de chaîne, le marché de l’emploi et les per­spec­tives de car­rière à l’is­sue des études dans l’en­seigne­ment tech­nique sont les élé­ments les plus con­va­in­cants pour con­sid­ér­er dans l’opin­ion publique qu’il s’ag­it d’une voie d’ex­cel­lence à l’é­gal d’autres voies de for­ma­tion. Mais ce reg­istre va bien au-delà de mesures insti­tu­tion­nelles ou de cam­pagne de promotion…

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