L’enseignement technique : une voie de formation toujours en quête de reconnaissance

Dossier : La formationMagazine N°544 Avril 1999Par : Jacques BODINEAU Directeur de la formation, École normale supérieure de Cachan

Un état des lieux

Trai­ter de l’en­sei­gne­ment tech­nique implique d’en bien pré­ci­ser le cadre et de défi­nir les types d’enseignement.

Deux voies de formation

Après la Seconde Guerre mon­diale un cer­tain nombre d’in­tel­lec­tuels comme Wal­lon, Fou­ras­tié, Fried­man contri­buèrent par leur prise de posi­tion à valo­ri­ser l’en­sei­gne­ment tech­nique et, ce fai­sant, à favo­ri­ser son inté­gra­tion dans l’ap­pa­reil sco­laire. Le mou­ve­ment s’est opé­ré avec la réforme Ber­thoin de 1959 et l’ins­ti­tu­tion d’un ensei­gne­ment géné­ral long, clas­sique, moderne et tech­nique et d’un ensei­gne­ment court, l’en­sei­gne­ment pro­fes­sion­nel cor­res­pon­dant aux anciens centres d’ap­pren­tis­sage évo­luant en col­lèges d’en­sei­gne­ment tech­nique (CET).

La ter­mi­no­lo­gie offi­cielle confir­me­ra cette évo­lu­tion en dis­tin­guant les deux voies : un ensei­gne­ment tech­nique et un ensei­gne­ment pro­fes­sion­nel qui consti­tuèrent un ordre d’en­sei­gne­ment sépa­ré, avec ses struc­tures propres, des­ti­né en prio­ri­té aux enfants des milieux ouvriers. Le lycée tech­nique se ver­ra pro­gres­si­ve­ment recon­nu comme éta­blis­se­ment du second degré pour deve­nir lycée d’en­sei­gne­ment tech­no­lo­gique afin d’in­té­grer au début des années quatre-vingt-dix le cadre géné­rique du LEGT (lycée d’en­sei­gne­ment géné­ral et technologique).

La réforme des lycées à par­tir de 1992 regroupe les bac­ca­lau­réats tech­no­lo­giques en quatre domaines : indus­triel (STI), ter­tiaire (STT), médi­co-social et hôtel­le­rie, aux­quels s’a­joutent encore une quin­zaine de bre­vets de tech­ni­ciens plus spé­cia­li­sés avec un effec­tif réduit (envi­ron 10 000 élèves en ter­mi­nale). Ce qui carac­té­rise ces for­ma­tions au cours des trois der­nières décen­nies, c’est la réduc­tion quan­ti­ta­tive de la part dévo­lue aux conte­nus pro­pre­ment tech­niques au pro­fit d’un ensei­gne­ment plus scien­ti­fique – l’exemple des séries indus­trielles est carac­té­ris­tique avec une réduc­tion dras­tique des horaires d’a­te­lier non com­pen­sée par un déve­lop­pe­ment des stages en entre­prise. En réa­li­té ces bac­ca­lau­réats sont deve­nus des pro­pé­deu­tiques pour la pour­suite mas­sive à Bac + 2 vers les classes de STS et plus fai­ble­ment d’IUT où sera appor­té le com­plé­ment professionnel.

Avec une autre logique, l’en­sei­gne­ment pro­fes­sion­nel a pro­gres­si­ve­ment trou­vé sa spé­ci­fi­ci­té. Les chan­ge­ments d’ap­pel­la­tion témoignent de la dif­fi­cul­té à conser­ver le double ancrage : d’un côté une for­ma­tion sous sta­tut sco­laire, de l’autre une rela­tion forte avec le monde du travail.

Les col­lèges d’en­sei­gne­ment tech­nique (CET) ont lais­sé la place aux lycées d’en­sei­gne­ment pro­fes­sion­nel (LEP) en 1976 dont la conno­ta­tion sco­laire est gom­mée avec l’in­ti­tu­lé lycée pro­fes­sion­nel (LP) en 1986. Les for­ma­tions dis­pen­sées ont des conte­nus plus pra­tiques avec des réfé­rences aux métiers ce qui implique la mise en œuvre de tra­vaux pro­duc­tifs et des liens plus étroits avec l’en­vi­ron­ne­ment professionnel.

Au cours de la décen­nie 1980, la crise éco­no­mique et donc de l’emploi et les consi­dé­rables muta­tions tech­no­lo­giques ont pro­vo­qué une crise pro­fonde qui fut en grande par­tie sur­mon­tée à la fin des années 1980. L’ac­tion menée fut conduite conjoin­te­ment dans trois direc­tions : un rap­pro­che­ment avec les milieux pro­fes­sion­nels qui se tra­duit par la mise en place de l’al­ter­nance sous sta­tut sco­laire accom­pa­gnée d’une poli­tique des jume­lages écoles-entre­prises (réf. Cir­cu­laire du 1er octobre 1984), une actua­li­sa­tion des conte­nus de for­ma­tion et la créa­tion d’un bac­ca­lau­réat pro­fes­sion­nel (1985) ouvrant un niveau de tech­ni­cien à des for­ma­tions pla­fon­nées jus­qu’a­lors au niveau V, enfin un renou­vel­le­ment des équi­pe­ments lourds grâce au plan machines-outils (1983−1985) relayé par le dis­po­si­tif des contrats de plan État-Régions. Cette muta­tion a néces­si­té l’a­dap­ta­tion des ensei­gnants aux nou­velles exi­gences pro­fes­sion­nelles. Le recru­te­ment s’est élar­gi aux diplô­més de l’en­sei­gne­ment tech­nique supé­rieur pour suc­cé­der aux anciens maîtres d’a­te­lier, issus de l’en­tre­prise pour la plu­part, et plus aptes à faire face à la trans­ver­sa­li­té des métiers qui impose de sub­sti­tuer au binôme un homme/une machine, celui d’un système/une équipe.

La tra­duc­tion de ce mou­ve­ment est illus­trée par quelques chiffres. C’est ain­si que les CAP en trois ans sont en voie de dis­pa­ri­tion (21 000 élèves) – rem­pla­cés par des CAP en deux ans – et, a contra­rio, les BEP ont béné­fi­cié de ce glis­se­ment (462 000). Dans le même temps le nombre de spé­cia­li­tés sanc­tion­nées par un CAP est réduit à 240 (300 en 1990) et 34 des BEP accueillent plus de 90 % des effec­tifs. L’en­sei­gne­ment pro­fes­sion­nel y a gagné en élé­va­tion du niveau de qua­li­fi­ca­tion ce qui répond glo­ba­le­ment à la demande des milieux pro­fes­sion­nels, mais la page du centre d’ap­pren­tis­sage et de l’i­den­ti­té ouvrière est bien tour­née et l’ap­pel à de jeunes pro­fes­seurs tech­ni­ciens a accé­lé­ré l’évolution.

Rappel de quelques données

Dans les années quatre-vingt les lycées ont » cra­qué » connais­sant une pro­gres­sion jus­qu’à 7 % l’an (en 1987). Cette pous­sée intense de sco­la­ri­sa­tion s’est faite prin­ci­pa­le­ment au béné­fice de l’en­sei­gne­ment géné­ral – une crois­sance tout aus­si forte s’est opé­rée au niveau des STS dont les effec­tifs passent de 46 000 en 1976 à 111 000 en 1985.

Après l’ex­plo­sion sco­laire qui s’est tra­duite par une cer­taine désaf­fec­tion de l’en­sei­gne­ment tech­nique et sur­tout pro­fes­sion­nel, notam­ment pour les filières indus­trielles, le mou­ve­ment s’est enrayé depuis 1991–1992 en même temps que l’on a obser­vé, la menace du chô­mage aidant, un retour vers les filières techniques.

En 1998 l’en­sei­gne­ment tech­nique et pro­fes­sion­nel concerne la moi­tié d’une classe d’âge en lycée et près de 60 % en y ajou­tant l’ap­pren­tis­sage. Chaque année plus de 600 000 diplômes tech­niques et pro­fes­sion­nels sont déli­vrés du CAP-BEP en pas­sant par les bac­ca­lau­réats pro­fes­sion­nels, bre­vets de tech­ni­ciens et BTS-DUT.

Au cours des quinze der­nières années de pro­fonds chan­ge­ments ont mar­qué cet ensei­gne­ment : sup­pres­sion du palier d’o­rien­ta­tion vers le CAP (trois ans) à la fin de la classe de cin­quième, réno­va­tion du conte­nu des CAP et BEP, créa­tion du bac­ca­lau­réat pro­fes­sion­nel (1985), ouver­ture de la pré­pa­ra­tion de tous les diplômes par la voie de l’apprentissage.

Ces évo­lu­tions se tra­duisent dans les résul­tats au bac­ca­lau­réat dont les pour­cen­tages d’ad­mis par géné­ra­tion ont plus que dou­blé depuis 1985, pas­sant de 29,4 % à 61,5 % – pour un tiers envi­ron ce gain est dû au bac­ca­lau­réat pro­fes­sion­nel : 101 609 ins­crits en 1985. C’est ain­si que le bac­ca­lau­réat pro­fes­sion­nel repré­sente 16 % des can­di­dats, 28 % pour le bac­ca­lau­réat tech­no­lo­gique et 56 % pour le bac­ca­lau­réat général.

De nou­veaux pro­grès devraient être enre­gis­trés dans les niveaux de for­ma­tion atteints. C’est ain­si que la part d’une géné­ra­tion accé­dant au niveau du bac­ca­lau­réat devrait atteindre 72 % d’i­ci 2003. Un des objec­tifs majeurs affir­mé par la loi d’o­rien­ta­tion de 1989 et confir­mé par la loi quin­quen­nale sur l’emploi (article 54) est d’as­su­rer à tous une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle « mini­male ». Ain­si le niveau à atteindre serait au moins équi­valent au CAP ou au BEP. On table ain­si sur 22 % d’é­lèves sup­plé­men­taires arri­vant en ter­mi­nale pro­fes­sion­nelle (CAP-BEP) ou en seconde ou pre­mière de lycée. L’ac­cueil des jeunes pour­ra se faire en par­ti­cu­lier par la créa­tion de « sec­tions d’ap­pren­tis­sage en lycées ». En lycée pro­fes­sion­nel on estime en 2003 à 70 000 élèves dans ce dis­po­si­tif de for­ma­tion ce qui por­te­rait les effec­tifs des LP à 840 ou 850 000, contre 814 000 à la ren­trée 1993, et ren­for­ce­rait l’en­sei­gne­ment professionnel.

Les dépenses de l’é­du­ca­tion ont pro­gres­sé pour répondre à la crois­sance des effec­tifs et aux efforts pour amé­lio­rer les niveaux de qualification.

En 1997 la dépense inté­rieure d’é­du­ca­tion est de 592 mil­liards de francs, soit 7,3 % du PIB. Le coût moyen par élève est de 35 700 F, soit une dépense d’é­du­ca­tion de 10 100 F par habitant.

L’en­sei­gne­ment tech­nique pèse bien sûr d’un poids par­ti­cu­lier à la fois par le fait d’un enca­dre­ment plus impor­tant, mais aus­si par des dépenses en capi­tal et en fonc­tion­ne­ment plus éle­vées (notam­ment pour les filières indus­trielles). Ain­si pour le second cycle géné­ral la dépense moyenne est de 46 900 F contre 59 900 F pour le tech­no­lo­gique. Et, sur l’en­semble d’une sco­la­ri­té, le coût pour une durée de seize ans menant à un bac­ca­lau­réat tech­no­lo­gique est de 550 000 F et pour un bac­ca­lau­réat pro­fes­sion­nel 654 000 F. Ce finan­ce­ment est assu­ré pour l’es­sen­tiel par l’É­tat (64,6 %) et les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales (20,4 %), s’a­joutent en troi­sième rang les ménages (6,9 %) puis les entre­prises (5,8 %).

Quelles perspectives pour l’enseignement technique

Jus­qu’en 1984, l’ac­cent a été por­té sur l’é­chec sco­laire. Puis, la crise éco­no­mique aidant, ce débat fut relayé par le thème de la qua­li­té en même temps qu’é­mer­geait plus for­te­ment une logique éco­no­mique plus bru­tale où l’emportent les notions de ren­ta­bi­li­té, de pro­duc­ti­vi­té. L’É­du­ca­tion n’est plus, comme le sou­ligne B. Char­lot, « un levier pour chan­ger la vie, elle est une obli­ga­tion pour trou­ver un emploi ».

C’est dans cette pers­pec­tive qu’il faut, me semble-t-il, ana­ly­ser le volon­ta­risme édu­ca­tif des années 1980 et le choix, sous le minis­tère Che­vè­ne­ment, du slo­gan des 80 % qui eut ensuite valeur d’o­rien­ta­tion natio­nale (cf. loi du 10 juillet 1989, article 3). L’in­jonc­tion visant à adap­ter for­ma­tion et emploi devient très forte à l’é­gard des ensei­gnants, mais éga­le­ment des entre­prises quand on assi­gna au sys­tème édu­ca­tif d’an­ti­ci­per sur les besoins futurs en pre­nant appui sur les tra­vaux conduits en 1985 par le Bureau d’in­for­ma­tion et de pré­vi­sions éco­no­miques (BIPE). Le rap­pel de quelques don­nées donne l’am­pleur des muta­tions à opérer.

Évo­lu­tion pré­vue des emplois dans l’industrie entre 1982 et 2000
Niveaux 1982 2000
VI (sans qualification) 12 mil­lions d’actifs 56% 8 mil­lions 32%
V (CAP – BEP) 4,8 mil­lions d’actifs 22% 7,4 mil­lions 30%
IV – III – II – I (Bac et supérieur) 4,9 mil­lions d’actifs 22% 9,4 mil­lions 38%


Il s’a­git là de pro­jec­tions, mais ces don­nées ont for­te­ment pesé sur les orien­ta­tions natio­nales et, en consé­quence, sur les choix régio­naux. C’est ain­si que fut créé le bac­ca­lau­réat pro­fes­sion­nel (loi de décembre 1985) qui devait cor­res­pondre à un pro­fil valo­ri­sé d’ou­vrier tech­ni­cien et un pro­fil de métier cor­res­pon­dant à une spé­cia­li­sa­tion don­née par un CAP. À noter que le nombre de jeunes sor­tis du sys­tème sco­laire sans diplôme ou qua­li­fi­ca­tion a été réduit en dix ans de 10 à 5 %, soit envi­ron 40 000 par an.

Sur ce cane­vas géné­ral se sont bâtis dans les Régions les sché­mas pré­vi­sion­nels de for­ma­tion, cer­tains, au nom d’une bonne adé­qua­tion emplois-for­ma­tion, se sont limi­tés à éla­bo­rer une pro­jec­tion ten­dan­cielle de l’exis­tant, ce qui ne garan­tit pas une bonne adap­ta­tion aux chan­ge­ments ; d’autres ont mieux su arti­cu­ler for­ma­tion ini­tiale et conti­nue et favo­ri­ser la mobi­li­té professionnelle.

Une nou­velle étude du BIPE (1996) porte sur les recru­te­ments de débu­tants pour la période 1996–2005. Cette étude plus ciblée nuance et pré­cise la pré­cé­dente ana­lyse. La part des emplois les plus qua­li­fiés conti­nue à pro­gres­ser mais à un rythme moins sou­te­nu. C’est ain­si que les ouvriers qua­li­fiés repré­sen­te­raient 69 % des emplois ouvriers en 2005 contre 56 % en 1985. À l’autre bout de la chaîne, les cadres supé­rieurs for­me­raient 14 % des emplois contre 9,3 % en 1985. Pour l’es­sen­tiel les créa­tions nettes d’emplois concer­ne­ront les pro­fes­sions inter­mé­diaires, prin­ci­pa­le­ment les emplois ter­tiaires (175 000/an).

Quant aux emplois tech­niques, ils connaî­traient une qua­si-stag­na­tion, la forte baisse des effec­tifs ouvriers non qua­li­fiés (31 000/an) n’é­tant pas com­pen­sée par les pertes de tech­ni­ciens (16 000/an) et d’in­gé­nieurs. Dans ce contexte les niveaux de diplômes des jeunes tendent à croître dans toutes les caté­go­ries d’emploi.

Dans un contexte de com­pé­ti­ti­vi­té éco­no­mique une nou­velle logique s’im­pose, celle de l’ef­fi­ca­ci­té qui met désor­mais en prio­ri­té de nou­veaux objec­tifs : faire pri­mer le qua­li­ta­tif sur l’ef­fort quantitatif.

En conclu­sion, les dif­fi­cul­tés d’in­ser­tion des jeunes sor­tant du sys­tème édu­ca­tif sans aucun diplôme ne pour­ront que s’ac­cen­tuer. La demande de titu­laires d’un diplôme à BAC + 2 ou équi­valent conti­nue à croître. Elle pour­rait même, dans un envi­ron­ne­ment éco­no­mique favo­rable, dépas­ser les capa­ci­tés de sor­ties du sys­tème édu­ca­tif. Mais sur­tout sub­siste comme risque majeur l’in­suf­fi­sance glo­bale du nombre d’emplois offerts plus que celui d’un dés­équi­libre struc­tu­rel entre les besoins de l’é­co­no­mie et les sor­ties du sys­tème édu­ca­tif, ce qui pèse­ra sur la ten­dance à l’al­lon­ge­ment des études ini­tiales : la réa­li­té de l’emploi pour les titu­laires de BTS-DUT, sur­tout dans les pro­fes­sions ter­tiaires, incite sou­vent à la pour­suite d’études.

Ce chan­ge­ment de pers­pec­tive s’ac­com­pagne à la fois d’une décon­cen­tra­tion du sys­tème en ren­for­çant l’au­to­no­mie des acteurs de ter­rain, ensei­gnants et entre­prises, et en consé­quence, en fai­sant pré­va­loir une logique de la demande qui cor­res­pond aux besoins de l’en­tre­prise et à laquelle doit cor­res­pondre une for­ma­tion du jeune. B. Char­lot sché­ma­tise fort bien le pas­sage d’une démarche tra­di­tion­nelle de trans­mis­sion des savoirs à la nou­velle logique que l’on peut décrire « comme une demande d’un ser­vice spé­ci­fique sur le mar­ché de la consommation ».

Savoirs struc­tu­rés en disciplines
 
Valeurs cultu­relles et sociales
Trans­mis­sion de ces savoirs
 
Incul­ca­tion de ces valeurs
For­ma­tion de l’individu Accès à l’emploi

Néces­si­tés de la production Demandes de l’en­tre­prise en per­son­nel formé Offre d’emploi sur le mar­ché du travail Demande de for­ma­tion du jeune et de sa famille Défi­ni­tion d’une for­ma­tion de « qualité »


La diver­si­té appa­raît comme le corol­laire néces­saire de la logique de la demande qui se tra­duit par une dif­fé­ren­cia­tion des lieux de for­ma­tion. Celle-ci n’est plus le mono­pole du sys­tème sco­laire et il doit même s’in­tro­duire une ému­la­tion entre les éta­blis­se­ments et d’autres centres de for­ma­tion, c’est une façon de pré­pa­rer les jeunes à la com­pé­ti­tion, à l’in­no­va­tion. Cette muta­tion s’est opé­rée avec une par­ti­ci­pa­tion crois­sante de l’en­tre­prise dans le dis­po­si­tif de for­ma­tion, qu’il s’a­gisse de séquences édu­ca­tives ins­ti­tuées par C. Beul­lac, jume­lages, for­ma­tion en alter­nance ins­crite comme temps fort du cur­sus (par exemple : 16 à 20 semaines pour le bac­ca­lau­réat pro­fes­sion­nel), déve­lop­pe­ment de l’ap­pren­tis­sage jus­qu’au niveau d’ingénieur.

La donne a pro­fon­dé­ment chan­gé. Dans les années 1960 est né le concept de la « rela­tion for­ma­tion-emploi ». Depuis la vision méca­niste ini­tiale s’est for­te­ment estom­pée et l’on pense main­te­nant à une « rela­tion simul­ta­née » et non plus consé­cu­tive, la for­ma­tion s’ac­qué­rant « dans » et « par » l’emploi au sein de l’en­tre­prise deve­nue désor­mais formatrice.

Il importe d’in­tro­duire une « rela­tion simul­ta­née » à tous niveaux et ce d’au­tant que le déve­lop­pe­ment de nou­velles tech­no­lo­gies milite pour l’ou­ver­ture de l’é­cole sur l’en­vi­ron­ne­ment éco­no­mique. C’est plus lar­ge­ment toute une stra­té­gie de par­te­na­riat qui se met en place. Cette syner­gie de par­te­na­riat ne peut être à sens unique et les milieux pro­fes­sion­nels réclament main­te­nant un par­tage de res­pon­sa­bi­li­té dans la concep­tion et la ges­tion de l’offre de formation.

La demande des milieux pro­fes­sion­nels s’ex­prime à la fois en termes de recon­nais­sance sociale, du coût de for­ma­tion lié à l’al­ter­nance et, ce n’est pas le moindre – l’en­jeu porte sur des mil­liards de francs -, des conte­nus de for­ma­tion et de leur vali­da­tion. Autant les entre­prises recon­naissent à l’é­cole, avec des nuances, la capa­ci­té de faire acqué­rir les com­pé­tences tech­no­lo­giques, autant les com­pé­tences pro­fes­sion­nelles relèvent de la pra­tique, de l’ex­pé­rience acquise sur le ter­rain avec de plus en plus une nou­velle com­po­sante, celle des com­pé­tences com­por­te­men­tales carac­té­ri­sées par le sens de l’or­ga­ni­sa­tion, l’au­to­no­mie, l’ap­ti­tude à com­mu­ni­quer, toutes choses que l’É­cole est mal pré­pa­rée à dis­pen­ser. C’est d’ailleurs l’un des objec­tifs de l’al­ter­nance que de res­pon­sa­bi­li­ser l’é­lève, de favo­ri­ser sa socia­li­sa­tion dans un cadre de tra­vail. Ce cadre géné­ral est évo­lu­tif et la dia­lec­tique entre les avan­cées tech­no­lo­giques et l’or­ga­ni­sa­tion de tra­vail exige une adap­ta­bi­li­té qui remette constam­ment en cause les ten­dances à la per­ma­nence du sys­tème éducatif.

C’est ain­si que l’on assiste à une recom­po­si­tion du tra­vail dans l’in­dus­trie s’ac­com­pa­gnant d’une réduc­tion des emplois spé­cia­li­sés : Renault, par exemple, a obte­nu une vali­da­tion du CAP « Exploi­tant d’ins­tal­la­tions indus­trielles ». Cette recom­po­si­tion mar­quée par une plus grande poly­va­lence n’est pas propre à ce sec­teur d’ac­ti­vi­té, de nou­veaux emplois plu­ri­pro­fes­sion­nels se créent en inté­grant des métiers répu­tés spé­cia­li­sés. Doit-on dans ce contexte conser­ver la mul­ti­pli­ci­té des CAP ou enga­ger sans tar­der des regrou­pe­ments sur des socles pro­fes­sion­nels plus larges ? Un rap­pro­che­ment entre le dis­po­si­tif sco­laire et une nou­velle concep­tion des emplois qui évite la logique de qua­li­fi­ca­tion étroite au poste de tra­vail atté­nue­rait l’un des freins à l’in­ser­tion des jeunes diplômés.

Les rigi­di­tés ne touchent pas seule­ment la for­ma­tion ini­tiale, elles concernent éga­le­ment de larges pans de la popu­la­tion active alors que notre pays connaît glo­ba­le­ment un défi­cit de qua­li­fi­ca­tion. Au cours de la der­nière décen­nie les entre­prises ont très lar­ge­ment anti­ci­pé, au nom d’une flexi­bi­li­té externe, sur les sor­ties du sys­tème édu­ca­tif et, compte tenu de la loi de l’offre et de la demande, sou­vent en embau­chant à niveau de diplôme supé­rieur à la qua­li­fi­ca­tion réelle, au détri­ment de la mobi­li­té interne des per­son­nels en place. Or le chan­tier est à entre­prendre par les deux bouts de la chaîne, for­ma­tion ini­tiale et conti­nue. Le pro­pos n’a rien du dis­cours incan­ta­toire, il exprime un enjeu pour notre socié­té actuel­le­ment trop rigide et tra­duit en termes d’o­rien­ta­tion forte une don­née démo­gra­phique qui est le vieillis­se­ment de la popu­la­tion active en France. On estime qu’entre 1990 et 2010 les effec­tifs des 25–45 ans se rédui­ront de 1,2 mil­lion et qu’en revanche les plus de 45 ans se ren­for­ce­ront de 5,8 mil­lions. La néces­si­té d’une for­ma­tion conti­nuée s’im­pose donc avec force, le pro­blème édu­ca­tif des pro­chaines années n’est plus, comme on le pense trop sou­vent, au niveau de l’ac­cès au Savoir, mais tout autant du main­tien du Savoir et de la compétence.

Paris, IUFM.Cet enjeu de conduire de pair for­ma­tion ini­tiale et for­ma­tion conti­nue se double d’une nou­velle contrainte, celle de l’en­trée en force de nou­velles tech­no­lo­gies aux évo­lu­tions rapides. Pour la for­ma­tion des élèves et des étu­diants le déve­lop­pe­ment de l’al­ter­nance apporte une réponse par­tielle à la mise à niveau tech­no­lo­gique des conte­nus de for­ma­tion – la réno­va­tion des diplômes est actuel­le­ment assu­rée avec une pério­di­ci­té de cinq à sept ans maxi­mum – et la mise en œuvre des contrats État-Régions a per­mis l’in­tro­duc­tion d’é­qui­pe­ments moder­ni­sés dans les éta­blis­se­ments. En revanche on ne sou­ligne pas assez le tra­vail en amont dont tout dépend, la for­ma­tion des ensei­gnants et la qua­li­té de leur qua­li­fi­ca­tion tech­no­lo­gique et pro­fes­sion­nelle. La péné­tra­tion en force de nou­velles tech­no­lo­gies a impo­sé aux res­pon­sables de for­ma­tion à la fois :

  • d’ac­croître la tech­ni­ci­té de l’en­sei­gnant par un tra­vail expé­ri­men­tal, la réa­li­sa­tion de pro­jets sur la base de sup­ports indus­triels réels et des stages en entreprise,
  • de ren­for­cer les acquis en sciences fon­da­men­tales, seuls garants d’une bonne adap­ta­bi­li­té future.


Cette dua­li­té est essen­tielle pour l’en­sei­gnant du tech­nique qui arti­cule à la fois théo­rie et pra­tique. Il se défi­nit par rap­port à une dis­ci­pline et donc un sys­tème de savoirs, mais en même temps il met en œuvre des tech­niques dans une classe et agit en pro­fes­sion­nel. En per­ma­nence existe une ten­sion constante entre les deux logiques, celle de la dis­ci­pline d’ap­par­te­nance et celle de la pra­tique – cette spé­ci­fi­ci­té conduit d’ailleurs à poser le pro­blème de l’al­ter­nance. L’en­sei­gnant du tech­nique appa­raît donc comme « mul­ti­mé­dia­teur » bien sûr près des élèves, mais aus­si comme dif­fu­seur de tech­no­lo­gie et de savoir près des PME-PMI rat­ta­chées au réseau de rela­tions des lycées.

Dres­ser un état des lieux, recen­ser les évo­lu­tions pos­sibles, défi­nir des objec­tifs pour insuf­fler une nou­velle dyna­mique à l’en­sei­gne­ment tech­no­lo­gique et pro­fes­sion­nel, tout cela relè­ve­ra de l’ac­tion aca­dé­mique, voire de l’in­can­ta­tion tant que ces voies de for­ma­tion gar­de­ront près des familles une image néga­tive et seront consi­dé­rées par les élèves comme des filières de relé­ga­tion – tout par­ti­cu­liè­re­ment pour l’en­sei­gne­ment pro­fes­sion­nel. Le han­di­cap tient à la fois à une repré­sen­ta­tion erro­née qu’ont les parents de cer­tains métiers qui n’a plus rien à voir avec la réa­li­té actuelle et plus encore à un obs­tacle cultu­rel que l’on retrouve à tous niveaux y com­pris en classe pré­pa­ra­toire pour la nou­velle filière Phy­sique-Tech­no­lo­gie (PT) dont les effec­tifs se réduisent alors même que le nombre de places offertes en écoles d’in­gé­nieurs s’accroît.

En ces temps de réformes annon­cées solen­nel­le­ment par la publi­ca­tion de « Chartes » – charte de l’é­cole du xxie siècle (jan­vier 1999), charte des lycées -, des études par­ti­cu­lières sont néces­saires pour le « technique ».

C’est ain­si que les rec­teurs William Marois et Daniel Bloch font une série de pro­po­si­tions pour l’en­sei­gne­ment pro­fes­sion­nel et Chris­tian Fores­tier traite de la voie tech­no­lo­gique de la seconde au BAC + 2. Une nou­velle fois l’en­jeu porte sur la néces­saire reva­lo­ri­sa­tion de l’i­mage de ces for­ma­tions – pour les séries indus­trielles il s’a­git désor­mais de terres de mis­sion. Si les conclu­sions n’ap­portent pas de pro­fond bou­le­ver­se­ment elles ont au moins l’in­té­rêt de sys­té­ma­ti­ser des pra­tiques : pour la voie pro­fes­sion­nelle l’é­la­bo­ra­tion de chartes de par­te­na­riat acces­sibles depuis des sites Web, le déve­lop­pe­ment d’une poli­tique plus active de for­ma­tion et de trans­fert de tech­no­lo­gie avec les PME-PMI (créa­tion de plates-formes asso­ciant des éta­blis­se­ments), répar­ti­tion sur l’en­semble de l’an­née sco­laire des périodes de for­ma­tion en entre­prise (le concept « d’en­sei­gne­ment pro­fes­sion­nel inté­gré » suc­cé­de­rait à l’al­ter­nance) ; pour la voie tech­no­lo­gique l’ef­fort doit por­ter sur le rééqui­li­brage entre les séries STI (tech­nique indus­trielle), STL (tech­nique de labo­ra­toire) et les séries ter­tiaires aux effec­tifs plé­tho­riques. Pour ce faire on cher­che­ra à valo­ri­ser la série scien­ti­fique « sciences de l’in­gé­nieur » (10 % des bache­liers scien­ti­fiques) et par ailleurs on déve­lop­pe­ra des pas­se­relles en créant des pre­mières d’a­dap­ta­tion en lycées pro­fes­sion­nels. Ces évo­lu­tions devront aller de pair avec le défri­chage enga­gé en for­ma­tion conti­nue pour favo­ri­ser la mobi­li­té pro­fes­sion­nelle (vali­da­tion des acquis, cer­ti­fi­ca­tion des compétences).

L’ac­tion en cours est néces­saire mais elle n’est pas suf­fi­sante tant que les voies tech­no­lo­gique et pro­fes­sion­nelle ne seront pas recon­nues aux yeux du public comme d’é­gale digni­té avec les autres voies de for­ma­tion – cela passe aus­si par l’en­sei­gne­ment dis­pen­sé dans des éta­blis­se­ments aus­si pres­ti­gieux que ceux tra­di­tion­nel­le­ment réser­vés à l’en­sei­gne­ment géné­ral. En bout de chaîne, le mar­ché de l’emploi et les pers­pec­tives de car­rière à l’is­sue des études dans l’en­sei­gne­ment tech­nique sont les élé­ments les plus convain­cants pour consi­dé­rer dans l’o­pi­nion publique qu’il s’a­git d’une voie d’ex­cel­lence à l’é­gal d’autres voies de for­ma­tion. Mais ce registre va bien au-delà de mesures ins­ti­tu­tion­nelles ou de cam­pagne de promotion…

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