Toulouse, lycée des Arènes

Dégraisser le mammouth

Dossier : La formationMagazine N°544 Avril 1999
Par Marcel BONVALET

Hypothèse préliminaire

Hypothèse préliminaire

Nous ne fer­ons pas l’of­fense au PDG de la plus grande société du monde d’imag­in­er qu’il ait lancé sa célèbre boutade autrement qu’an­imé des meilleures inten­tions et en tout cas avec un cer­tain courage. Nous admet­trons donc comme hypothèse de base que le Min­istre se pro­pose de remet­tre un peu d’or­dre dans sa mai­son et de gager sur les économies sub­stantielles qui découleraient de son pro­gramme un meilleur être pour les divers acteurs con­cernés par le MENRT, à savoir, et dans l’or­dre des urgences, les élèves et les enseignants. L’évo­ca­tion des con­tribuables, dont les par­ents d’élèves sont un sous-ensem­ble, est bien enten­du implicite.

Nous nous pro­posons main­tenant d’analyser les quelques pistes sur lesquelles pour­rait se con­stru­ire une action cohérente dont on imag­ine qu’elles s’i­den­ti­fieraient à un véri­ta­ble chemin de la Croix pour quiconque voudrait les emprunter sans avoir pris la pré­cau­tion de recueil­lir un con­sen­sus. Dans cet ordre d’idées, il ne faudrait pas se résign­er à l’opin­ion bien établie qu’une telle per­spec­tive relèverait de l’u­topie. On peut tout obtenir des Français quand on soumet à leur appro­ba­tion un pro­jet cohérent surtout quand tout le monde en ressent le besoin. Cela serait une grave erreur que celle de sous-estimer la capac­ité de com­préhen­sion et la patience des mil­lions de per­son­nes qui, du seul fait d’être con­sultées, auraient enfin l’im­pres­sion d’être traitées en citoyens et non plus en sujets. Elles con­sen­ti­raient cer­taine­ment à un effort tant elles sont à la fois blasées et exas­pérées par un désor­dre per­sis­tant. Il suf­fit de leur par­ler franchement.

Les personnels enseignants et des services

Le para­doxe est qu’on se com­plaît à leur cass­er du sucre sur le dos dans les con­ver­sa­tions par­ti­c­ulières cepen­dant que les sondages com­mandés louent leur dévoue­ment. Peut-être serait-il souhaitable d’ori­en­ter de façon plus com­plète les ques­tion­naires et faire con­naître au pub­lic la con­fig­u­ra­tion réelle de leurs con­traintes qui ne se lim­i­tent pas à des sim­ples oblig­a­tions de ser­vice face aux élèves ou étu­di­ants. On se ferait une idée objec­tive de la mul­ti­pli­ca­tion des tâch­es imposées au plus mod­este des enseignants qui con­fine main­tenant au déraisonnable. Réu­nion­nite à out­rance, négo­ci­a­tion des notes sou­vent sys­té­ma­tique­ment con­testées, récep­tion des par­ents d’élèves, dia­logue avec les admin­is­tra­tions, et autres exer­ci­ces sans cesse crois­sants qui relèguent au rang de la fic­tion les 35 heures théoriques.

Une ges­tion dém­a­gogique des flux a eu pour inévitable con­séquence une con­tention exces­sive­ment pro­longée des salaires. Il n’est pas dif­fi­cile d’a­vancer qu’une reval­ori­sa­tion des traite­ments accom­pa­g­née d’une sim­pli­fi­ca­tion des statuts seraient les bien­v­enues, fussent-elles même annon­cées comme devant s’é­taler sur une décen­nie. Les per­son­nels com­pren­nent de plus en plus mal la rai­son de la faib­lesse de leurs rétri­bu­tions en valeur com­parée à celle d’autres min­istères où l’on est moins exigeant en ter­mes de diplômes req­uis. Il faut main­tenant détenir une licence pour être can­di­dat à la fonc­tion de “pro­fesseur des écoles”. L’ac­cès aux fonc­tions de “maître de con­férences” dans l’en­seigne­ment supérieur est un par­cours du com­bat­tant qui exige licence, maîtrise, DEA, doc­tor­at, qual­i­fi­ca­tion et con­cours… le tout, en cas de suc­cès hypothé­tique au dit con­cours, pour une rémunéra­tion de l’or­dre de celle d’un débu­tant muni d’un BTS ou DUT. Une analyse pro­fonde de ce sujet éten­du à l’ensem­ble de l’É­d­u­ca­tion nationale débor­derait large­ment le cadre de cet arti­cle car, au seul titre du sec­ond degré, on devrait entr­er dans le détail du statut des quelque deux cent cinquante caté­gories de per­son­nels. Il n’en est pas moins important.

Men­tion doit cepen­dant être faite des con­cours de recrute­ment en prenant pour exem­ple le cas du CAPES. Il y a aujour­d’hui sept voies d’ac­cès à ce corps dont celle du con­cours clas­sique n’est plus la prin­ci­pale. On a mis en place de nom­breuses procé­dures d’in­té­gra­tion qui con­tour­nent sa dif­fi­culté. L’a­gré­ga­tion n’est pas davan­tage épargnée.

On peut par­faite­ment com­pren­dre le souci de l’ad­min­is­tra­tion de récom­penser les mérites de cer­taines per­son­nes et de les affranchir des servi­tudes d’ap­par­te­nance à un corps dont la grille d’indices est lim­itée. Rien ne s’op­pose à la dilater sinon la rigid­ité des procé­dures budgé­taires de notre fonc­tion publique, légitime­ment soucieuse d’éventuels effets per­vers agis­sant par exem­ple sur le ser­vice ultérieur de la retraite ou par osmose caté­gorielle. On préfère donc con­tourn­er le prob­lème par un sys­tème d’in­té­gra­tion qui a effec­tive­ment le mérite d’être con­trôlable et se développe depuis des années. Cette solu­tion n’est pas la meilleure car elle détéri­ore le pres­tige des corps d’ac­cueil fondé sur des qual­i­fi­ca­tions spé­ci­fiques. On pour­rait peut-être imag­in­er l’a­jout d’une classe dédiée dont l’ac­cès pour­rait être aus­si bien maîtrisé que dans la con­jonc­ture actuelle. Une autre obser­va­tion est que la ges­tion de ces pro­mo­tions est exces­sive­ment d’in­spi­ra­tion géron­to­cra­tique et que l’on pour­rait imag­in­er une poli­tique plus prospective.

Abaisser les coûts des examens et concours

1. Le baccalauréat

Le bac­calau­réat est le prin­ci­pal cauchemar des recteurs, qui, on le sait, sont les respon­s­ables invari­able­ment désignés de tous les dys­fonc­tion­nements de l’É­d­u­ca­tion nationale, en par­ti­c­uli­er de tout acci­dent à une ses­sion du bac­calau­réat prenant le relief d’une cat­a­stro­phe nationale. Il reste que le bac­calau­réat con­cerne des cen­taines de mil­liers de can­di­dats com­posant simul­tané­ment dans un nom­bre déraisonnable de sec­tions. Le tableau suiv­ant don­nera une idée de l’am­pleur et donc du coût de son organisation.

RÉSULTATS DU BACCALAURÉAT 1997 ADMIS % ADMIS
Bac­calau­réat général
Littéraires
Scientifiques
Sci­ences économiques et sociales
69 939
124 947
73 982
76,8​
76,6
76,4
TOTAL 268 868 76,6​
Bac­calau­réat technologique
Sci­ences et tech­nolo­gies de laboratoires
Sci­ences et tech­nolo­gies industrielles
Sci­ences et tech­nolo­gies tertiaires
Sci­ences médico-sociales
Autres
5 656
34 107
72 322
15 935
8 184
77
71,9
80,8
77,4
 
TOTAL 136 204 77,7
Bac­calau­réat professionnel
Domaine de la production
Domaine des services
30 014
46 712
74,4
82,5
TOTAL 76 726 79,1
Source : MENRT. Note 98–03, févri­er 1998.


On observera l’é­ton­nante répar­ti­tion des grands agré­gats. Les effec­tifs du seul bac­calau­réat général sont deux fois plus impor­tants que la total­ité des autres d’où un défer­lement con­tinu sur l’en­seigne­ment supérieur. Mais ce qui est le plus intéres­sant, c’est le pour­cent­age de reçus. On a dou­blé les effec­tifs en dix ans et le résul­tat obtenu est au moins deux fois meilleur qu’au­par­a­vant. C’est prob­a­ble­ment un miracle.

À moins d’être du méti­er, on ne peut imag­in­er la charge d’or­gan­i­sa­tion dépas­sant large­ment le cadre du seul bac­calau­réat qui pèse sur les rec­torats et les cen­tres d’ex­a­m­ens. Il s’ag­it de recueil­lir, d’im­primer des cen­taines de sujets en les gar­dant secrets, de faire de même pour les sujets de sec­ours, d’as­sur­er le ser­vice de frais de déplace­ments pour les exam­i­na­teurs, de désign­er des prési­dents de jurys, de col­la­tion­ner les notes, de pub­li­er les résul­tats, pour dire l’essen­tiel. Dans la mesure où les pour­cent­ages de suc­cès au bac­calau­réat ont encore aug­men­té depuis 1997, on pour­rait avan­tageuse­ment renon­cer à une sacral­i­sa­tion dev­enue super­flue envers un exa­m­en qui n’a d’autre effet civ­il que celui de l’ad­mis­sion en uni­ver­sité. On pour­rait avan­tageuse­ment se con­tenter de dis­tribuer un cer­ti­fi­cat de fin d’é­tudes sec­ondaires inti­t­ulé bac­calau­réat et décerné au vu des notes obtenues dans le cours du sec­ond cycle.

2. Les examens de l’enseignement technique

Ce sont eux qui coû­tent le plus cher, par­ti­c­ulière­ment ceux qui reposent sur des travaux d’ate­lier. Les dépens­es faites pour les appro­vi­sion­nements en matière d’œu­vre et en out­il­lage sont énormes et ne se jus­ti­fient pas. La rai­son en est que les TP se font tou­jours en petits groupes et donc que les pro­fesseurs con­nais­sent bien leurs élèves. Un con­trôle con­tinu devrait suf­fire à juger de la qual­ité des candidats.<

3. Les concours professionnels

Ils exis­tent par cen­taines et il est bien dif­fi­cile à un pro­fane d’imag­in­er le déploiement de moyens matériels et humains qu’en­traîne une juri­dic­tion aus­si tatil­lonne qu’anachronique. Les agré­ga­tions, CAPES et CAPET con­stituent à eux seuls un fais­ceau procé­duri­er d’une com­plex­ité kafkaïenne dont il est impos­si­ble de ren­dre la descrip­tion com­pat­i­ble avec le vol­ume d’un arti­cle. Il faudrait un livre.

Pour l’hu­mour, nous citerons le cas du con­cours de recrute­ment de cuisiniers auquel se présen­taient de nom­breux can­di­dats. Les pre­scrip­tions de l’ad­min­is­tra­tion exigeant que les can­di­dats soient exposés à la même sit­u­a­tion où qu’ils con­courent, il fal­lait que tous les étab­lisse­ments offrent le même menu, ce qui exigeait l’achat de six mille porcs, lot évidem­ment non disponible à l’échelle académique. Il a donc fal­lu éten­dre l’ap­pel d’of­fres à la région voi­sine et une grève des trans­ports a mis fin à un cauchemar que l’on peut imag­in­er sans peine. On pour­rait épi­loguer à l’in­fi­ni sur le sujet, la rubrique des exa­m­ens de coif­fure n’é­tant pas exempte d’anec­dotes qui lais­seraient per­plexe cette même admin­is­tra­tion cen­trale qui a le don de sécréter des procé­dures étonnantes.

Supprimer les diplômes surabondants

Dans un passé récent, et sur les recom­man­da­tions du rap­port de M. Jacques Attali, le min­istre Claude Allè­gre annonçait son pro­jet de recon­stru­ire l’ar­chi­tec­ture de l’en­seigne­ment supérieur sur un mod­èle restreignant les cur­sus au nom­bre de trois, et se déploy­ant sur les durées de trois, cinq et huit ans. Ce n’est cer­taine­ment pas le sig­nataire de cet arti­cle qui cri­ti­quera ce pro­jet pour l’avoir lui-même pro­posé dans un doc­u­ment pub­lié à la Doc­u­men­ta­tion française, dans le cadre de la pré­pa­ra­tion du VII­Ie Plan en 1980. L’ar­gu­ment d’une inté­gra­tion de nos for­ma­tions dans les rythmes inter­na­tionaux y était égale­ment invo­qué entre autres con­sid­éra­tions d’or­dre péd­a­gogique directe­ment liés à la vie des entreprises.

L’en­seigne­ment supérieur nav­igue actuelle­ment sur la base approx­i­ma­tive d’une ving­taine de diplômes : DEUG, DEUST, DUT et men­tions com­plé­men­taires, BTS et men­tions com­plé­men­taires, licence, maîtrise, maîtrise de sci­ences et tech­niques, ingénieur maître, AEA, DEA, mas­tère, mag­istère, bien­tôt le mag­is­taire, ingénieur, DESS, doc­teur, sans par­ler des qual­i­fi­ca­tion et habil­i­ta­tion. À titre de com­para­i­son avec les États-Unis, les diplômes de l’en­seigne­ment supérieur applic­a­bles au domaine qui nous intéresse sont au nom­bre de qua­tre : Asso­ciate Degree, le BS (ou BA), le MS (ou le MA), le Ph. D. La réforme Allè­gre aurait donc bien le mérite d’in­té­gr­er nos diplômes dans la plu­part des rythmes inter­na­tionaux. Et cela facilit­erait grande­ment d’une part les échanges d’é­tu­di­ants mais d’autre part et surtout l’ac­cès à l’emploi en milieu inter­na­tion­al. Cela ne sert évidem­ment à rien de dis­penser des diplômes recon­nus par l’É­tat quand ils ne le sont pas par les autres États.

Il est clair que le fait de ramen­er à une archi­tec­ture rationnelle le déploiement anar­chique sur lequel nous vivons ne sera pas une sinécure. Le régime tran­si­toire posera des prob­lèmes de per­son­nels et d’équiv­a­lence de diplômes mais cela coûtera moins cher de les régler sans lésin­er plutôt que de s’en­lis­er dans d’in­ter­minables négo­ci­a­tions généra­tri­ces d’un cli­mat désagréable et la solu­tion de super­pos­er de nou­velles struc­tures aux anci­ennes ne ferait qu’aug­menter la confusion.

Les formations techniques supérieures

1. Les flux de diplômes d’ingénieurs

Le con­cept de Grande École a tou­jours été un sym­bole de la cul­ture française. Et il est bien exact que nous devons beau­coup à ce type d’étab­lisse­ment qui a démon­tré son effi­cac­ité dans le passé, prin­ci­pale­ment au cours de l’ère indus­trielle. Mais l’ex­ten­sion de la for­mule à des effec­tifs impor­tants, déjà dans les étab­lisse­ments les plus con­fir­més, l’É­cole poly­tech­nique recrute qua­tre cent cinquante élèves, et a for­tiori la créa­tion récente et rapi­de d’in­nom­brables étab­lisse­ments nou­veaux va inon­der le marché de l’emploi de pro­duits qui s’avéreront prob­a­ble­ment surabon­dants et qui poseront à la nation très exacte­ment les prob­lèmes qu’ils étaient cen­sés résoudre. Voici les dernières sta­tis­tiques disponibles con­cer­nant les effec­tifs des écoles d’ingénieurs en France.

Effec­tif inscrit
en 1996–1997​
Répar­ti­tion en % Diplômes délivrés
en fin 1996
Nom­bre d’écoles
Écoles publiques MENRT
• Écoles universitaires
• Écoles indépen­dantes des universités
• Écoles nationales d’ingénieurs
• INSA
• ENSAM et assimilées
• Autres écoles
24 839
19 807
3 260
7 406
4 411
4 730
32,3
25,8
4,2
9,6
5,7
6,2
7 605
5 117
694
1 544
1 419
1 460
92
32
5
4
11
32
TOTAL 44 646 58,1 12 722 124
Écoles publiques sous autre tutelle
• Agri­cul­ture ou Pêche
• Défense
• Économie, Finance et Industrie
• Postes, Télécommunications
• Équipement, Trans­port et Logement
• Ville de Paris
• Emploi et solidarité
3 635
3 572
2 653
1 630
1 352
357
13
4,7
4,6
3,5
2,1
1,7
0,5
0
1 215
1 230
635
638
469
108
17
15
13
7
3
5
2
1
TOTAL 13 202 17,2 4 312 46
Écoles privées 18 993 24,7 5 655 68
TOTAL GÉNÉRAL 76 841 100 22 689 238
Source : MENRT. Note 97–31, juil­let 1997.


On peut déjà remar­quer le nom­bre élevé de diplômes décernés dès la fin de 1996, qui s’est évidem­ment accru depuis, mais surtout l’im­por­tance des effec­tifs présents dans les étab­lisse­ments à cette époque. Elle laisse augur­er d’un véri­ta­ble défer­lement de diplômés à court terme sur un marché incer­tain. Nous en sommes à env­i­ron 25 000 en 1998 et rien n’empêche de prévoir que le chiffre de 30 000 ne soit bien­tôt atteint. Mais il suf­fit de con­sul­ter les sta­tis­tiques du bac­calau­réat don­nées plus haut pour con­stater que le nom­bre de tech­ni­ciens for­més restera rel­a­tive­ment faible com­paré à celui des ingénieurs. Cela n’a rien de sur­prenant car on ne voit pas pourquoi un lycéen per­sis­terait dans la voie tech­nique quand il peut s’of­frir un diplôme d’ingénieur. On peut alors nour­rir quelque doute non seule­ment sur la durée du place­ment de telles cohort­es mais encore sur la sta­bil­ité d’une société tech­nique dont les pro­jec­tions issues du sys­tème d’é­d­u­ca­tion seront aus­si mal équilibrées.

Cette sit­u­a­tion est d’o­rig­ine rel­a­tive­ment récente. Elle résulte d’une cam­pagne menée par une grande entre­prise qui annonçait à grand ren­fort de pub­lic­ité dans les médias un recrute­ment de 1 500 ingénieurs par an à son seul titre. On sait que ce pro­gramme s’est immé­di­ate­ment avéré insolv­able mais il n’empêche que le lance­ment d’une poli­tique visant à dou­bler le flux des diplômes d’ingénieurs a été décidé et exé­cuté. Les grandes écoles stric­to sen­su ne sont pas vrai­ment touchées de plein fou­et par une con­cur­rence nou­velle dans leurs débouchés.

Il reste que la rareté de l’ar­gent provo­quée par une dis­per­sion des moyens de l’É­tat et un besoin pres­sant de tré­sorerie dans les entre­pris­es con­stitueront un frein à un mécé­nat dont on admet­tra un jour qu’il a fait son temps. La fatale mise en extinc­tion qui frap­pera cer­taines struc­tures coûtera cher. Les familles ne pour­ront à elles seules entretenir un sys­tème dont elles n’au­raient à atten­dre en con­trepar­tie qu’un diplôme mod­éré­ment solv­able. Une sit­u­a­tion com­pa­ra­ble existe actuelle­ment dans les écoles de com­merce gérées et soutenues par les CCI, dont les bud­gets s’ef­fon­drent avec ceux des familles qui ne peu­vent plus pay­er des frais de sco­lar­ité non nég­lige­ables. Les GRETA eux-mêmes ren­con­trent de lour­des dif­fi­cultés dans la ges­tion de postes gagés sur des ressources prévues et restées sans suivi, et les licen­ciements coû­tent cher.

2. Recentrer les cursus sur la technologie

Le temps de l’ère indus­trielle où l’on se con­tentait d’im­porter des licences et des moyens de pro­duc­tion est révolu. Nous en sommes à une con­ven­tion mon­di­al­isée. Une grande par­tie de ce qui con­sti­tu­ait le tiers monde a pris option sur la pro­duc­tion mon­di­ale depuis longtemps. Le Brésil entre autres pays dis­pose main­tenant de multi­na­tionales et est devenu un com­péti­teur non nég­lige­able dans l’in­dus­trie aéro­nau­tique tout comme l’est devenu le Sud-Est asi­a­tique. Heureuse­ment nous avons encore quelque avance dans cer­tains secteurs tels que celui des lanceurs mais nous serons de plus en plus talon­nés dans la plu­part des autres domaines.

Les écoles d’ingénieurs con­stituent la seule arme absolue dont nous dis­po­sions pour nous impos­er dans l’or­dre des pays con­cep­teurs de pro­duits à haute valeur ajoutée, et dans cet ordre d’idées, un sérieux recen­trage des cur­sus vers un ren­force­ment des sci­ences fon­da­men­tales est urgent car la tech­nolo­gie d’au­jour­d’hui exige la manip­u­la­tion de moyens math­é­ma­tiques puis­sants. Le dégrais­sage étant à l’or­dre du jour, il serait grand temps de faire un peu de net­toy­age et d’al­léger cette par­tie des emplois du temps sur laque­lle pèsent lour­de­ment des sujets qui n’ont rien à voir avec la voca­tion de l’étab­lisse­ment en l’oc­cur­rence celle de for­mer des ingénieurs.

À ce pro­pos, il ne serait prob­a­ble­ment pas inutile d’in­viter les écoles à finalis­er leurs cur­sus sur l’ac­qui­si­tion d’une com­pé­tence indis­cutable dans un domaine déter­miné. Pour cela, il serait utile de ressus­citer la notion de pro­jet et de ne pas hésiter à s’as­soci­er avec l’in­dus­trie pour con­cevoir et réalis­er des pro­to­types. Il y a de nom­breuses années déjà, l’In­sti­tut des sci­ences de l’ingénieur de Nan­cy, actuelle­ment ESSTIN, a conçu et réal­isé une petite cham­bre de com­bus­tion de fusée en accom­pa­g­ne­ment d’un pro­gramme sug­géré par la NASA à l’Illi­nois Insti­tute of Tech­nol­o­gy. Les prob­lèmes de cal­cul ont fait l’ob­jet d’une coopéra­tion avec IBM, les écoule­ments étant super­son­iques ont néces­sité l’in­ter­ven­tion de L’Air Liq­uide, et les usi­nages deman­dant un out­il­lage et un savoir-faire par­ti­c­uliers ont été con­fiés à un lycée tech­nique de Nancy.

La notion d’ingénieur général­iste est sans doute bien française mais si l’heure est à l’har­mon­i­sa­tion de nos for­ma­tions avec les stan­dards inter­na­tionaux, il ne faudrait pas s’en tenir qu’aux rythmes.

La main à la pâte


Toulouse, lycée des Arènes. © CRAMPON/CLF 92

Sous l’im­pul­sion du pro­fesseur Charpak, prix Nobel de physique, soutenue par d’autres grands noms de la sci­ence française, nous voyons enfin se dévelop­per l’idée que tout pro­grès intel­lectuel tran­site par l’ob­ser­va­tion des phénomènes, indis­pens­able préal­able à leur com­préhen­sion et éventuelle­ment dans un sec­ond temps, pour ceux que cela intéressera, à leur inter­pré­ta­tion théorique. L’é­cole des Mines de Nantes a apporté une con­tri­bu­tion intéres­sante à ce pro­gramme qui mérite d’être sig­nalée car il n’est pas fréquent qu’un étab­lisse­ment d’en­seigne­ment supérieur se préoc­cupe de péd­a­gogie des­tinée à l’en­seigne­ment élémentaire.

Par exten­sion de ces idées aux étab­lisse­ments du sec­ond degré, on prône actuelle­ment l’op­por­tu­nité d’abor­der l’en­seigne­ment de la physique par la voie priv­ilégiée de l’ex­péri­ence et il est de fait que l’équipement a suivi. Les lycées dis­posent d’oscil­lo­scopes, de généra­teurs basse fréquence et de micros per­me­t­tant l’é­tude des ondes. Mais quand on lit cer­tains rap­ports d’in­spec­tion, on peut être inqui­et sur les résul­tats obtenus. Ces doc­u­ments pré­cisent bien que les enseignants sont com­pé­tents et con­scien­cieux mais encore faudrait-il qu’ils soient com­pris. Et un risque existe qu’une poli­tique nova­trice ne soit dis­créditée par les lacunes dont souf­frent trop de nos élèves. Le dis­crédit savam­ment orchestré sur les math­é­ma­tiques se paie par une dif­fi­culté à manip­uler cor­recte­ment les con­cepts les plus élé­men­taires, sans préju­dice du déficit de syn­taxe et de vocab­u­laire dont on a du mal à croire qu’il peut attein­dre cette ampleur sauf à voir les copies.

Épilogue

Il est clair que la total­ité des sujets devant faire l’ob­jet d’une recon­sid­éra­tion sérieuse n’a pu être abor­dée dans ce qui n’est qu’un arti­cle. Les lois de 1971, qui étaient un grand pro­grès pour l’époque où elles ont été pro­mul­guées, sont main­tenant dépassées. Il faudrait imag­in­er un autre pro­to­cole unis­sant l’en­tre­prise et l’é­cole qui se traduise par autre chose que la seule per­cep­tion de tax­es parafis­cales dont la ges­tion n’est pas opti­male. On devrait égale­ment revenir sur le parc immo­bili­er et notam­ment sur l’op­por­tu­nité de recon­ver­tir cer­tains étab­lisse­ments dont l’u­til­ité même est discutable.

“Dégraiss­er le mam­mouth” est une néces­sité. Encore faut-il qu’il existe une volon­té poli­tique pour ce faire, matéri­al­isée par une loi de pro­gram­ma­tion et par-dessus tout que soit obtenu le con­sen­sus préal­able qui jus­ti­fierait cette loi. Le reste coulera de source.

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