La stratégie de transformation

Dossier : Les services aux entreprisesMagazine N°568 Octobre 2001Par Jean-Paul REMYPar Simon FREE
Par Christophe FILIPPI (77)

La stratégie d’en­tre­prise clas­sique est-elle encore utile ? À l’heure où il faut réa­gir plus vite que ses con­cur­rents, la stratégie de trans­for­ma­tion per­met d’a­gir simul­tané­ment sur l’ensem­ble des leviers de per­for­mance de l’entreprise.

La stratégie de trans­for­ma­tion pose comme principe que les ten­dances struc­turantes pour un secteur, une entre­prise, sont con­nues : e‑business, glob­al­i­sa­tion, con­ver­gence, val­ori­sa­tion du ser­vice, besoins crois­sants de cap­i­taux pour dévelop­per des offres nou­velles… Face à ces ten­dances, il ne s’ag­it plus, pour chaque entre­prise, de décou­vrir où elle doit déploy­er ses ressources, mais d’or­gan­is­er sa réponse plus vite que ses con­cur­rents. Le véri­ta­ble avan­tage con­cur­ren­tiel ne réside plus dans l’idée mais dans sa con­créti­sa­tion, dans la capac­ité à réalis­er, à se trans­former. La vague des fusions et acqui­si­tions et l’ex­plo­sion du e‑business procè­dent de ces stratégies.

Pour trans­former l’en­tre­prise, il ne suf­fit pas de réus­sir quelques pro­jets majeurs, il faut agir simul­tané­ment et rapi­de­ment sur tous les leviers. Cela néces­site d’a­gencer des cycles de trans­for­ma­tion qui organ­isent l’ensem­ble des pro­jets de change­ment sur une péri­ode déterminée.

La capac­ité stratégique d’une entre­prise s’é­val­ue alors sur l’in­ten­sité de change­ment de chaque cycle, la vitesse d’ob­ten­tion des résul­tats et la fréquence des cycles. Price­wa­ter­house­C­oop­ers a établi une cor­réla­tion forte entre la posi­tion con­cur­ren­tielle dom­i­nante des lead­ers et le fait qu’ils réalisent simul­tané­ment, plus vite, plus facile­ment et plus sou­vent que les autres des change­ments impor­tants de leur organ­i­sa­tion et de leurs sys­tèmes1.

L’expression d’une volonté

Toute trans­for­ma­tion est avant tout un acte poli­tique : son image interne ou externe est aus­si impor­tante que ses résul­tats. Chaque cycle de trans­for­ma­tion doit être inau­guré par l’ex­pres­sion forte de la volon­té des dirigeants.

Con­cise et claire, elle explicite les raisons de la trans­for­ma­tion, les objec­tifs à l’aune desquels sera mesurée sa réus­site, les change­ments qui doivent être con­duits, le jalon­nement des résul­tats, les règles de con­duite qui s’im­posent à tous et le rôle de chaque caté­gorie d’acteurs.

Cet acte de man­age­ment induit une pos­ture stratégique vertueuse : par l’ac­cent mis sur l’ex­pres­sion de leurs exi­gences, les direc­tions générales sont incitées à réal­louer l’ensem­ble des poten­tiels de développe­ment de l’entreprise.

Cette posi­tion intel­lectuelle s’op­pose aux démarch­es visant à faire des arbi­trages dans un porte­feuille de pro­jets et qui finis­sent par align­er implicite­ment la stratégie sur les ressources disponibles.

Dans un con­texte d’u­ni­formi­sa­tion des straté­gies d’en­tre­prise, il devient essen­tiel pour les per­son­nels de savoir que leurs dirigeants utilisent leur libre arbi­tre pour ori­en­ter le des­tin de leur entre­prise de façon orig­i­nale. Faute de quoi, le déter­min­isme économique les incit­era à devenir des acteurs résignés ou des mer­ce­naires. Cette volon­té doit être exprimée avant tout en fonc­tion des effets recher­chés sur les per­cep­tions des acteurs internes et externes. Incar­née par les dirigeants elle est la mar­que de leur leadership.

La maîtrise des délais

Chaque cycle de trans­for­ma­tion donne lieu à un pro­gramme de change­ment axé sur la vitesse.

La vitesse est déter­mi­nante pour trois raisons : les ressources investies dans la trans­for­ma­tion sont pro­por­tion­nelles à la durée ; plus une trans­for­ma­tion prend du temps et plus la résis­tance s’or­gan­ise ; enfin, plus le délai est long et plus les risques de démo­ti­va­tion sont importants.

Une réponse est de réalis­er le max­i­mum de change­ments dans le min­i­mum de temps et de met­tre en place des boucles de régu­la­tion afin d’a­juster en per­ma­nence les solu­tions en fonc­tion des écarts constatés.

Douze semaines pour initier sa stratégie de transformation

Pour obtenir des résul­tats sig­ni­fi­cat­ifs avec une économie de moyens opti­male, l’en­tre­prise doit con­stru­ire un pro­gramme de trans­for­ma­tion com­posé d’une équipe de man­age­ment assur­ant la maîtrise coût-qual­ité-délai, d’une plate-forme de pro­jets focal­isés cha­cun sur une final­ité unique, quan­tifiée, et dis­posant, pour une durée lim­itée, de ressources dédiées ; et enfin des proces­sus de déci­sion et d’ar­bi­trage impli­quant les action­naires, la direc­tion générale et le man­age­ment opérationnel.

Cette con­cep­tion des pro­jets s’op­pose aux découpages de type thé­ma­tique (organ­i­sa­tion, sys­tème, man­age­ment) ou par proces­sus qui met­tent en avant le périmètre cou­vert plutôt que le résul­tat visé.

La pre­mière rai­son d’un tel pro­gramme est tech­nique : iden­ti­fi­er les effets leviers sur les vari­ables stratégiques, struc­tur­er les pro­jets pour y répon­dre, opti­miser les ressources investies et garan­tir les résul­tats deman­dent une organ­i­sa­tion et des méth­odes spécifiques.

La deux­ième rai­son d’être d’un tel pro­gramme est psy­chologique. Le pro­gramme de trans­for­ma­tion, par son car­ac­tère mécanique et struc­turé, rend le change­ment inéluctable aux yeux de tous et, parce qu’il donne une lec­ture uni­voque de l’ensem­ble des pro­jets, crée une référence sur laque­lle l’en­tre­prise peut capitaliser.

Les bonnes questions

L’élab­o­ra­tion d’un pro­gramme de trans­for­ma­tion répond à une série de ques­tions dont les prin­ci­pales sont les suivantes :

  • quel angle d’at­taque du cycle de trans­for­ma­tion ori­en­tera le pro­gramme : les enjeux financiers, la sat­is­fac­tion client, l’ef­fi­cac­ité des proces­sus, les ratio­nal­i­sa­tions, les synergies… ?
  • quelle plate-forme de pro­jets per­me­t­tra d’a­gir simul­tané­ment sur toutes les vari­ables stratégiques ?
  • quel équili­bre et quelles modal­ités de pilotage pour les actions ” cor­po­rate ” et les actions locales ?
  • quelle répar­ti­tion opér­er entre les actions qui relèvent du mode pro­jet et celles qui découlent exclu­sive­ment d’un man­age­ment par objectifs ?
  • quel est le ” busi­ness case ” du pro­gramme, et com­ment les objec­tifs de résul­tats seront-ils inté­grés dans le compte d’ex­ploita­tion de l’entreprise ?
  • quel proces­sus d’in­ser­tion garan­ti­ra que les solu­tions élaborées en mode pro­jet seront réelle­ment mis­es en œuvre par les opéra­tionnels avec le bon niveau d’ob­jec­tif de résultat ?
  • com­ment sera organ­isé le retour d’ex­péri­ence, et quelle logique sera la logique d’en­chaîne­ment avec le cycle de trans­for­ma­tion suivant ?


Ain­si, l’or­gan­i­sa­tion en pro­gramme est néces­saire mais il faut veiller à ce qu’elle demeure flex­i­ble et mod­u­la­ble en fonc­tion de l’a­vance­ment de la transformation.

Il est sain de ne jamais per­dre de vue que c’est l’ob­ten­tion effec­tive des résul­tats dans le P&L qui est recher­chée et de refuser toute bureau­crati­sa­tion du pro­gramme qui dépos­séderait les managers.

La maîtrise du changement

La ges­tion maîtrisée du change­ment est indis­pens­able pour sécuris­er les gains visés par chaque cycle de transformation.

Si une entre­prise con­duit un pro­gramme de trans­for­ma­tion, c’est pour réalis­er des change­ments qui ne sont pas acces­si­bles au tra­vers de sa seule organisation

Cepen­dant, quelle que soit l’am­pleur d’un pro­gramme, l’im­pli­ca­tion de la direc­tion générale et les ressources investies, il n’at­tein­dra ses résul­tats que s’il est accep­té par ceux qui ont le pou­voir. D’où un prob­lème dif­fi­cile à résoudre : com­ment s’as­sur­er du sou­tien d’ac­teurs dont on va pro­fondé­ment boule­vers­er la struc­ture de pou­voir, sachant qu’un change­ment ne se décrète pas ?

C’est dans ce domaine que la matu­rité des entre­pris­es est la plus faible du fait notam­ment d’un retour d’ex­péri­ence insuff­isant des change­ments passés. Les équipes chargées d’une trans­for­ma­tion ont sou­vent des délais d’ap­pren­tis­sage supérieurs à la durée de la trans­for­ma­tion qu’elles doivent conduire.

Trans­former l’en­tre­prise dans son fonc­tion­nement au quo­ti­di­en sup­pose de faire évoluer son organ­i­sa­tion, ses sys­tèmes et ses modes de man­age­ment jusqu’à pro­duire de nou­veaux comportements.

Le proces­sus de con­vic­tion qui est la pre­mière com­posante de la ges­tion maîtrisée du change­ment sup­pose une démarche struc­turée, adap­tée à chaque pop­u­la­tion, et util­isant une vari­able essen­tielle : le temps. Il est en effet illu­soire de penser qu’une action, même de qual­ité, sera suff­isante pour con­va­in­cre en une seule fois des man­agers opéra­tionnels de la per­ti­nence et de la néces­sité de nou­velles solu­tions. Le proces­sus de con­vic­tion est donc intime­ment lié au proces­sus d’élab­o­ra­tion de la solu­tion, voire à la solu­tion elle-même. Penser que la ges­tion du change­ment se réduit à faire accepter des solu­tions élaborées par d’autres est une utopie.

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1. Étude Bench­mark­ing Part­ner, 1998.

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