La relation client : maximiser les bénéfices

Dossier : Les consultantsMagazine N°528 Octobre 1997
Par Jean-Pierre BARBERIS (77)
Par Caroline ARRIGHI de CASANOVA

La sat­is­fac­tion du client est certes depuis tou­jours la mis­sion des entre­pris­es, mais l’évo­lu­tion des marchés — la déré­gle­men­ta­tion, la glob­al­i­sa­tion, l’in­tro­duc­tion de l’eu­ro -, du com­porte­ment des clients volatils, atten­tifs à l’in­for­ma­tion sur les pro­duits, les ser­vices, les prix, et de plus en plus exigeants, les trans­for­ma­tions pro­fondes des modes de dis­tri­b­u­tion renou­vel­lent large­ment la diver­sité des rela­tions avec les clients.

Con­fron­tées à une moin­dre fidél­ité de leurs clients — les taux de défec­tion par exem­ple en télé­phonie mobile sont très élevés dans le con­texte de guerre des prix et d’in­no­va­tion de ce marché (qui se développe en France au rythme de 200 000 abon­nements nou­veaux par mois) — il y a prise de con­science que la réten­tion des clients est moins coû­teuse que leur acquisition.

La réduc­tion du temps de mise sur le marché — pour répon­dre à la baisse des bar­rières d’en­trée et à l’ab­sence de “copy­right” sur les pro­duits de ser­vice — l’hy­per-seg­men­ta­tion des clients, la diver­si­fi­ca­tion des canaux de dis­tri­b­u­tion et de ges­tion de l’après-vente, la sophis­ti­ca­tion des poli­tiques de prix, des pro­grammes de fidéli­sa­tion, sont autant de répons­es apportées aujour­d’hui pour max­imiser les béné­fices de la rela­tion client.

Les nouveaux canaux de distribution modifient radicalement les organisations et leurs systèmes de gestion

En matière de canaux de dis­tri­b­u­tion, on assiste à la mise en place des “qua­tre A” (any­time, any­where, any­how, any­thing) qui con­siste à per­me­t­tre au client d’a­cheter à tout moment (ser­vice 24 heures sur 24), de n’im­porte où, par des canaux mul­ti­ples (mag­a­sins ou agences, cen­tres d’ap­pels, com­merce élec­tron­ique) une gamme de pro­duits élargie (les agences ban­caires vendent de l’as­sur­ance auto­mo­bile, les bil­let­ter­ies ban­caires dis­tribuent des places de spec­ta­cle, la grande dis­tri­b­u­tion ne voit aucune lim­ite à la gamme de ses ser­vices, etc.). En Écosse, les super­marchés, point de pas­sage obligé du same­di, font des ser­vices de base ban­caires pour la plus grande joie du con­som­ma­teur. Le gou­verne­ment bri­tan­nique envis­age même d’y dis­tribuer des actes d’é­tat civ­il via des bornes interactives.

Un nou­veau canal de dis­tri­b­u­tion est un nou­veau busi­ness : ain­si, les cen­tres d’ap­pels ne sont pas sim­ple­ment un réseau de plus (les cen­tres d’ap­pels peu­vent même être le seul réseau acces­si­ble au client, comme l’il­lus­tre Direct Assur­ance, fil­iale d’AXA, ou Banque Directe, fil­iale de Paribas). Ils mod­i­fient la façon de tra­vailler, con­tribuent à une ges­tion élec­tron­ique des doc­u­ments liés aux trans­ac­tions ou traite­ments de récla­ma­tion, etc., accrois­sent en général la poly­va­lence des inter­venants qui sont amenés à traiter l’essen­tiel de la trans­ac­tion. Par exem­ple, à EuropAs­sis­tance, dont le cen­tre d’ap­pels avec 200 per­son­nes fonc­tionne 24 heures sur 24, le client béné­fi­cie d’un inter­locu­teur unique qui a accès à tous les élé­ments de son dossier. On voit donc claire­ment que ce canal con­duit à une véri­ta­ble recon­fig­u­ra­tion des proces­sus de l’entreprise.

Les sys­tèmes de ges­tion sont naturelle­ment touchés aus­si, par exem­ple, par le fait que met­tre le client “en ligne” requiert d’a­ban­don­ner des traite­ments par lot au prof­it du temps réel, les moyens de paiement évolu­ant en par­al­lèle ain­si que les proces­sus logistiques.

LE CENTRE D’APPELS DU TROISIÈME TYPE
Yves de Tal­houët (77), directeur, Sema Group

Les cen­tres d’ap­pels ne sont plus une greffe sur le sys­tème d’in­for­ma­tion de l’en­tre­prise, chargée de gér­er le média télé­phone, ils devi­en­nent un point d’en­trée priv­ilégié dans l’en­tre­prise, ayant l’oblig­a­tion de gér­er en temps réel les requêtes des clients. La con­trainte majeure devient la ges­tion du temps réel.

Cette évo­lu­tion s’est faite pro­gres­sive­ment. Les cen­tres d’ap­pels ont d’abord été des auto­mates (serveurs vocaux) qui étaient appelés par le client et allaient lui chercher l’in­for­ma­tion req­uise. Un exem­ple con­nu est la con­sul­ta­tion du sol­de ban­caire par téléphone

La deux­ième généra­tion de cen­tre d’ap­pels a inté­gré des télé­con­seillers chargés de répon­dre aux clients de façon plus inter­ac­tive et avec plus de valeur ajoutée. Ils effectuent une mise en forme d’in­for­ma­tion exis­tante pour ensuite la livr­er au client par télé­phone. L’in­for­ma­tion req­uise est extraite du sys­tème d’in­for­ma­tion de l’en­tre­prise à tra­vers un cou­plage assez lâche (voir sché­ma ci-dessous).

Evolution des centres d'appelLe cen­tre d’ap­pels de troisième généra­tion est cou­plé au sys­tème d’in­for­ma­tion de l’en­tre­prise de façon beau­coup plus ser­rée. Son ambi­tion est de résoudre le prob­lème du client pen­dant l’ap­pel. Pour cela, tous les traite­ments qui peu­vent se déclencher à par­tir du cen­tre d’ap­pels doivent pou­voir se dérouler automa­tique­ment et en temps réel pen­dant la durée même de l’appel.

Ain­si aux États-Unis, pour devenir client d’une com­pag­nie de télé­phone, vous appelez ladite com­pag­nie et à la fin de l’ap­pel, vous êtes devenu un client enreg­istré qui peut utilis­er le ser­vice dès que le télé­phone est rac­croché. Pen­dant la durée même de l’ap­pel, il y a donc eu prise de com­mande du ser­vice et livrai­son du service.

Ces nou­velles exi­gences oblig­ent les entre­pris­es à repenser l’essen­tiel de leur process dans une optique temps réel. Cet effort doit s’ac­com­plir sur trois volets :
— le volet de refonte du process avec ses aspects organ­i­sa­tion et ingénierie de flux ;
— le volet du cen­tre d’ap­pels pro­pre­ment dit : les tech­nolo­gies actuelles (CTI, host based rout­ing, etc.) per­me­t­tent de détecter automa­tique­ment l’o­rig­ine et la rai­son de l’ap­pel afin de per­son­nalis­er son traite­ment de manière immé­di­ate. Le temps de réac­tion et la per­son­nal­i­sa­tion s’en trou­vent con­sid­érable­ment améliorés. Ain­si, le cen­tre d’ap­pels trait­era dif­férem­ment l’ap­pel d’un client appelant depuis son mobile ou celui d’un tech­ni­cien de main­te­nance appelant lors d’une inter­ven­tion sur site ;
— le volet infor­ma­tique, car pour se con­former à la con­trainte du temps réel, il est néces­saire d’adapter les dif­férentes chaînes applica­tives qui con­stituent le back-office du cen­tre d’appels.


Les ambi­tions des cen­tres d’ap­pels de nou­velle généra­tion (voir encadré) sont donc grandes et requièrent d’une part une stratégie autonome et d’autre part une vision glob­ale coûts complets/ béné­fices atten­dus qui néces­site une bonne maîtrise de la tech­nolo­gie, mais égale­ment des ressources humaines (65 % des coûts).

Il est vrai que les béné­fices atten­dus sont très attrayants, et expliquent que le marché européen croisse très vite. Plus de 250 000 per­son­nes tra­vail­lent aujour­d’hui en Europe dans des cen­tres d’ap­pels, chiffre qui devrait pass­er à 700 000 en l’an 2000.

Les cen­tres d’ap­pels et le com­merce élec­tron­ique per­me­t­tent en par­ti­c­uli­er une com­mu­ni­ca­tion inter­ac­tive rapi­de avec les clients, qui facilite la mise sur le marché de nou­veaux pro­duits, une con­nais­sance fine du con­som­ma­teur indi­vidu­el qui guide les poli­tiques de fidéli­sa­tion, une réac­tiv­ité très grande aux récla­ma­tions, une mesure beau­coup plus fine des com­posants de la qual­ité de ser­vice (par exem­ple, le temps d’ac­cès au ser­vice, le temps de traite­ment d’un dossier…, indi­ca­teurs plus com­plex­es à met­tre en oeu­vre en sit­u­a­tion d’a­gence ou de mag­a­sin) et tout cela dans des con­di­tions de coût très favorables.

Le développe­ment du com­merce élec­tron­ique a des inci­dences de même type sur les proces­sus de base de l’en­tre­prise. Il y aura vraisem­blable­ment coex­is­tence des canaux, et les recon­fig­u­ra­tions de proces­sus et de sys­tèmes entre­pris­es pour les cen­tres d’ap­pels, de même que l’ap­pren­tis­sage du mar­ket­ing one-to-one seront de bonnes bases pour le com­merce électronique.

Cepen­dant, l’in­tro­duc­tion de nou­veaux canaux ne sig­ni­fie pas pour autant l’a­ban­don des anciens modes de dis­tri­b­u­tion. Une bonne stratégie per­met à la fois de dévelop­per une part de marché nou­velle et simul­tané­ment de con­solid­er la part exis­tante par l’of­fre com­plé­men­taire de ser­vices nou­veaux, sou­vent disponibles selon la règle des “qua­tre A”.

Les entre­pris­es devront être pro-actives pour ori­en­ter leurs clients dans le choix de tel ou tel canal selon les coûts asso­ciés, la com­plex­ité des trans­ac­tions (par exem­ple, posi­tion de compte ban­caire sur un sys­tème de réponse vocale automa­tisé, négo­ci­a­tion d’un prêt en agence). Elles en ont les moyens, avec, par exem­ple, des tar­i­fi­ca­tions dif­féren­ciées, des mar­ques spé­ci­fiques par réseau. À l’évo­lu­tion tech­nique doit répon­dre une stratégie et un mar­ket­ing multi-canal.

Les bases de données marketing : canaliser l’imagination

L’im­por­tance de la con­nais­sance des clients — et des prospects — n’est pas à démon­tr­er, qu’il s’agisse de fidélis­er sa base de clients ou de cibler les clients poten­tiels. En effet, 60 % des caus­es de défec­tion provi­en­nent du fait qu’on ne s’oc­cupe pas des clients. Or, l’ac­qui­si­tion d’un nou­veau client coûte trois à dix fois plus cher que le main­tien d’un client existant.

Sur le front du mar­ket­ing, les ambi­tions s’ac­crois­sent indéfin­i­ment, et les tech­nolo­gies sont au ren­dez-vous. On ne par­le plus de mar­ket­ing de masse mais d’hy­per-seg­men­ta­tion. Il ne s’ag­it plus de pren­dre une part de marché sur un pro­duit ou un ser­vice mais de suiv­re un indi­vidu tout au long de sa vie pour le servir selon l’évo­lu­tion de ses besoins indi­vidu­els et famil­i­aux. Par exem­ple, dans l’as­sur­ance ou les pro­duits financiers, la con­nais­sance des clients doit per­me­t­tre de pro­pos­er de façon pro-active les bons ser­vices (prêt étu­di­ant, assur­ance auto­mo­bile, assur­ance habi­ta­tion, épargne loge­ment jusqu’aux plans de cap­i­tal­i­sa­tion pour la retraite).

La pre­mière étape con­siste à pass­er d’une vision pro­duit à une vision client don­nant une vision de tous les ser­vices délivrés à un client à un moment don­né. Les coûts asso­ciés à ce pas­sage — dont la néces­sité appa­raît claire — ont été très sig­ni­fi­cat­ifs, en par­ti­c­uli­er dans les banques.

Les ambi­tions d’au­jour­d’hui con­sis­tent essen­tielle­ment à réu­nir toute l’in­for­ma­tion acces­si­ble sur un client, quel que soit le canal de dis­tri­b­u­tion qui traite avec lui (à terme, par exem­ple, des mes­sages per­son­nal­isés pour­ront s’af­fich­er sur les bil­let­ter­ies au moment des trans­ac­tions), et à enrichir con­sid­érable­ment le niveau d’in­for­ma­tion recueil­lie, de façon à nour­rir aus­si bien le mar­ket­ing stratégique (sur la base des analy­ses de com­porte­ments) que le proces­sus de vente (propo­si­tions ciblées).

Les tech­nolo­gies exis­tent : bases de don­nées mul­ti­di­men­sion­nelles de très grande taille (dataware­house), out­ils de traite­ment de l’in­for­ma­tion sophis­tiqués (dat­a­min­ing) pour iden­ti­fi­er les com­porte­ments d’achat, sus­citer des re-seg­men­ta­tions, out­ils de présen­ta­tion de l’information.

L’ex­péri­ence mon­tre que les dif­fi­cultés de mise en oeu­vre sont cepen­dant sou­vent sous-estimées, faute de pren­dre la mesure de la qual­ité des don­nées exis­tantes (à net­toy­er, homogénéis­er), de la “gour­man­dise” exces­sive sur les croise­ments mul­ti­di­men­sion­nels qui aboutis­sent à des vol­umes ingérables.

L’in­ser­tion — très utile — de don­nées externes à l’en­tre­prise (marchés, con­cur­rence, géo­mar­ket­ing) est, selon les secteurs, plus ou moins dif­fi­cile à manier. L’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique, par exem­ple, dis­pose d’in­for­ma­tions externes très pré­cis­es et fiables, mais ce n’est pas le cas dans tous les secteurs.

Il faut donc procéder de façon mod­u­laire, prag­ma­tique, en veil­lant à accom­pa­g­n­er les besoins des util­isa­teurs au fur et à mesure que se con­solide leur maîtrise des out­ils et que se pré­cise l’in­for­ma­tion la plus pertinente.

Enfin, il faut anticiper l’ar­rivée de l’eu­ro, qui élargi­ra le champ de la con­cur­rence à suiv­re, mod­i­fiera les gammes de produits/services et dont l’im­pact devra être par­ti­c­ulière­ment suivi sur les ventes et parts de marché en Europe. À l’aube de l’eu­ro dans les hyper­marchés, cer­tains experts pensent qu’une bonne ou mau­vaise ges­tion de la tran­si­tion dans les linéaires pour­rait opér­er des bas­cule­ments de plus de 10 % de parts de marchés entre enseignes et entre marques.

Les investisse­ments dans la rela­tion client sont com­plex­es. On peut prévoir un développe­ment accéléré de ces pro­jets à l’échelle européenne dans les années à venir, à l’in­térieur des entre­pris­es comme lors d’al­liances mar­ket­ing pour des pro­grammes de fidéli­sa­tion ou de com­mu­nautés d’in­térêts pour mieux cern­er le client indi­vidu­el et dévelop­per des ventes croisées. Les acteurs du con­seil et des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion affû­tent leurs armes pour ces nou­veaux marchés, mais ils sont à ce jour encore très peu à offrir une réponse glob­ale, qui, dans cer­tains cas comme pour la fidéli­sa­tion des clients des com­pag­nies aéri­ennes, peut aller jusqu’à un mar­ket­ing clef en main inté­grant tous les ser­vices AAAA et l’ex­ploita­tion des systèmes.

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