Humanisme et science, la nécessaire réconciliation

Dossier : Recherche et sociétéMagazine N°650 Décembre 2009
Par Hubert JACQUET (64)

REPÈRES

REPÈRES
Le présent arti­cle fait écho à la table ronde qui a mar­qué l’ouverture d’un Forum organ­isé le 21 juin 2009 au Col­lège de France par Le Monde et La Recherche : après un exposé de Michel Ser­res, les débats ont réu­ni Claudie Haign­eré, médecin, cos­mo­naute, ancien min­istre et prési­dente de la Cité des sci­ences et de l’industrie et du Palais de la Décou­verte, Chris­t­ian Lajoux, directeur de la recherche de Sanofi-Aven­tis et prési­dent du LEEM (Les entre­pris­es du médica­ment), Cather­ine Traut­mann, ancien min­istre, député européen et vice-prési­dente de la Com­mis­sion recherche et énergie au Par­lement européen, Jean Bot­ti, directeur tech­nique d’EADS, Axel Kahn, généti­cien et prési­dent de l’université Paris-Descartes. 

Les rela­tions entre sci­ence et société ont sou­vent été dif­fi­ciles comme le rap­pelle Michel Ser­res. Mais au Siè­cle des lumières puis au xixe siè­cle s’est répan­due l’idée selon laque­lle les pro­grès de l’e­sprit, des sci­ences et de la con­nais­sance assur­eraient à l’homme une marche ascen­dante continue. 

Il faut don­ner ou redonner à tous le goût des sciences. 

Depuis trois siè­cles, cet espoir a été le fil con­duc­teur du développe­ment de l’Oc­ci­dent puis du monde (à quelques excep­tions près). Mais, les pro­grès sci­en­tifiques et tech­niques ne se traduisent pas tou­jours en pro­grès pour l’homme, d’où les para­dox­es évo­qués par le pro­fesseur Axel Kahn. La désaf­fec­tion pour le pro­grès se traduit par des mou­ve­ments con­tre les effets de la sci­ence (ami­ante, nucléaire, OGM), par une désaf­fec­tion des poli­tiques et des plus jeunes qui préfèrent les études com­mer­ciales aux études sci­en­tifiques. L’hu­man­ité prend con­science que le pro­grès, longtemps con­sid­éré comme implicite­ment human­iste, doit être dirigé vers sa final­ité : l’homme. 

L’humanité entre dans une ère nouvelle
En préam­bule aux débats, le philosophe Michel Ser­res a rap­pelé que les rela­tions entre sci­ence et société ont sou­vent été con­flictuelles : si le procès de Galilée est emblé­ma­tique des ten­sions entre ces deux mon­des, ce n’est pas une pre­mière. Avant Socrate, des physi­ciens grecs furent con­damnés à mort parce qu’ils s’occupaient du monde et non de la cité : la sci­ence s’intéresse au monde et la société s’intéresse à elle-même ! Ce divorce s’exprime à tra­vers de mul­ti­ples débats : créa­tion­nisme, Tch­er­nobyl, OGM, mères por­teuses. Bien plus, les nations devi­en­nent des villes et l’homme s’éloigne de la nature : aux sci­ences du monde, il préfère les sci­ences humaines et sociales. Notre cul­ture devient celle de l’humanité. Mais la nou­veauté est que les sci­ences, parce qu’elles s’intéressent au monde, con­sid­èrent la planète comme un parte­naire glob­al et ques­tion­nent la société sur le devenir de ce vais­seau sur lequel nous sommes tous embar­qués ! Au jeu à deux sci­ence-société se sub­stitue un jeu à trois : monde-science-société. 

Les défis aux­quels l’homme se trou­ve con­fron­té aujour­d’hui néces­si­tent plus que jamais une mobil­i­sa­tion autour de la sci­ence et de la recherche dans un cadre qui per­me­tte cette final­i­sa­tion human­iste des efforts. Il faut don­ner ou redonner à tous le goût des sci­ences, autant pour sus­citer des voca­tions sci­en­tifiques que dévelop­per chez les citoyens le goût du débat sur ces ques­tions ; mobilis­er l’en­seigne­ment et l’in­dus­trie sur la for­ma­tion, le recrute­ment, l’en­cadrement et l’ori­en­ta­tion des chercheurs ; dévelop­per les actions per­me­t­tant de don­ner une final­ité au progrès. 

Donner envie de l’avenir

Deux para­dox­es
Axel Kahn relève que si les pro­grès extra­or­di­naires de la sci­ence et des tech­niques ont per­mis de mul­ti­pli­er les richess­es par 8 en vingt ans, le nom­bre de mal nour­ris est passé de 2,4 à 3 mil­liards dans la même péri­ode. Et si l’opin­ion con­tin­ue à vouloir des moyens pour la recherche (95 % des sondés), elle met les infir­miers avant les chercheurs dans les pro­fes­sions à soutenir. En fait, l’opin­ion accepte le développe­ment des sci­ences et tech­niques à con­di­tion qu’il soit orienté. 

Appren­dre aux hommes à par­ler de la sci­ence, à s’im­pli­quer dans les débats et les choix, leur don­ner envie de l’avenir et de par­ticiper à la con­struc­tion de cet avenir sont autant de défis pour notre sys­tème édu­catif et pour ceux qui trans­met­tent les savoirs : médias, insti­tu­tions à voca­tion culturelle. 

Sur ce reg­istre le tra­vail mené en direc­tion des jeunes par la Cité des sci­ences et de l’in­dus­trie est exem­plaire (http://www.cite-sciences.fr/).

L’ap­proche retenue est d’amen­er les jeunes à l’ex­plo­ration. Pour les petits, les ate­liers les amè­nent à pass­er du pourquoi à des ques­tion­nements plus élaborés. Chez les jeunes, la dimen­sion col­lec­tive est mise en avant. 

Des points de repère leur sont don­nés pour qu’ils sachent se retrou­ver dans l’emploi des nou­velles tech­nolo­gies qui sont à la base d’une nou­velle façon d’ap­pren­dre et de prendre. 

Au-delà de la trans­mis­sion des savoirs, la Cité a aus­si le souci de sus­citer chez tous ses vis­i­teurs — petits et grands — un émer­veille­ment devant le monde, de leur mon­tr­er les incer­ti­tudes qui exis­tent dans toute con­nais­sance, de les ini­ti­er aux enjeux human­istes par une ouver­ture sur les sci­ences humaines et sociales, de leur appren­dre à débat­tre. Le vis­i­teur doit se réap­pro­prier l’in­no­va­tion : pour cela, il faut y met­tre de l’é­mo­tion. Pour Claudie Haign­eré, il faut réin­ven­ter le rap­port entre usagers et nature, entre sci­ence et société afin que l’homme se pro­jette avec con­fi­ance et respon­s­abil­ité dans l’avenir. 

Le souci de dévelop­per chez les plus jeunes le goût de la sci­ence et de l’in­no­va­tion se retrou­ve aus­si dans les entre­pris­es, surtout celles qui ont le plus grand besoin de rester à l’a­vant-garde du change­ment. Témoin, les ini­tia­tives de la Fon­da­tion d’en­tre­prise EADS. Tout d’abord, le prix Irène Joliot-Curie créé en parte­nar­i­at avec le min­istère de l’Ensei­gnement supérieur et de la Recherche qui attribue des bours­es à des femmes chercheuses (http://www.enseignementsup-recherche. gouv.fr/cid22941/huitieme-edition-prix-irene-joliot-curie-2009.html).

L’Eu­rope à la remorque ?
La Chine a une approche rad­i­cale­ment dif­férente de la recherche : sa volon­té d’être la meilleure l’amène à for­mer 300 000 chercheurs par an. L’Inde en forme plus de 150 000. Les USA ont des besoins non cou­verts mais attirent beau­coup de chercheurs extérieurs. L’U­nion européenne fait fig­ure de par­ent pauvre. 

Con­cours et Car­net de vol
Autres ini­tia­tives : la créa­tion d’un con­cours ” Trans­port du futur ” qui a mis 14 écoles en com­péti­tion et a per­mis l’émer­gence d’idées très intéres­santes (http://www.transport-du-futur.com/attachments/088_DP_170609.pdf) et la pub­li­ca­tion d’un Car­net de vol qui présente de façon très ludique les sci­ences et l’in­dus­trie de l’air et de l’espace. 

Briser les barrières de la recherche

Les besoins en chercheurs sont énormes : la France risque de pâtir d’un déficit annuel de 10 000 chercheurs. Les entre­pris­es seront les pre­mières vic­times de ces carences car la recherche publique est con­sid­érée comme le sum­mum. Cette oppo­si­tion pub­lic-privé est en décalage avec la société actuelle. Rap­procher recherche fon­da­men­tale et recherche privée est plus que jamais urgent. Et aus­si faire com­pren­dre aux entre­pris­es que, dans un monde où les remis­es en cause sont per­ma­nentes, l’im­per­ti­nence intel­lectuelle d’un doc­teur a toute sa place. 

Autre effet négatif de la com­péti­tion grandes écoles et uni­ver­sités : le doc­tor­at est mal recon­nu par les entre­pris­es en France, alors que c’est le seul diplôme mon­di­ale­ment recon­nu : il y a là aus­si une bar­rière à cass­er si on ne veut pas voir les doc­teurs faire car­rière hors de France. 

Une nou­velle façon d’ap­pren­dre et de prendre. 

À cet égard, Jean Bot­ti rap­pelle avoir inter­rogé sept chercheurs lors d’une remise de prix de la meilleure thèse organ­isée par la Fon­da­tion EADS, qua­tre d’en­tre eux par­taient pour les USA dans des uni­ver­sités pres­tigieuses (Prince­ton et Stan­ford) ou moins con­nues (Arkansas et Texas), un retour­nait en Turquie et deux restaient en France : le défi est de savoir faire revenir ceux qui ont acquis une expéri­ence hors de France. 

Travailler à long terme

Chang­er l’avenir maintenant
Dans l’in­dus­trie du médica­ment, les cycles de développe­ment sont longs : demain se pré­pare aujour­d’hui. Les straté­gies des indus­triels tien­nent compte des enjeux socié­taux et géopoli­tiques : vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion, iné­gal­ités dans le vieil­lisse­ment et l’ac­cès aux soins, nou­velles patholo­gies liées aux change­ments de l’en­vi­ron­nement, nou­velles formes de con­cur­rence (celle des États et des con­ti­nents sup­plante celle des indus­triels), pres­sions induites par la crise économique. 

Une car­ac­téris­tique de la recherche est que les efforts doivent s’in­scrire dans la durée, ce qui implique d’avoir une vision à très long terme des change­ments qui affecteront le monde, en par­ti­c­uli­er dans sa dimen­sion géopoli­tique, et la société, ses besoins et ses attentes. 

De ce point de vue, l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique est tout à fait emblé­ma­tique comme l’a souligné Chris­t­ian Lajoux. Elle se trou­ve aujour­d’hui con­fron­tée à une dou­ble injonc­tion : con­cevoir l’avenir à l’échelle du monde et tenir compte des États. Pour la France, grand pays du médica­ment — le pays de Pas­teur- et cham­pi­on dans le domaine chim­ique, il faut abor­der de nou­velles formes de médica­ments, en par­ti­c­uli­er celles issues des biotech­nolo­gies. Cela impose de dévelop­per les parte­nar­i­ats pub­lic-privé et de recon­stru­ire les modes de fonc­tion­nement : être à l’é­coute des sociétés qui nous ques­tion­nent et inter­roger le monde pour trou­ver les bonnes réponses. 

Impliquer les citoyens et les politiques

Savoir faire revenir ceux qui ont acquis une expéri­ence hors de France. 

Le monde poli­tique a un rôle essen­tiel en matière de recherche tant au plan des moyens financiers que de la pro­gram­ma­tique. Ce rôle con­duit le milieu des décideurs et celui des chercheurs à dia­loguer : les ques­tions soulevées par ces derniers doivent trou­ver un écho dans la réflex­ion des poli­tiques. Il con­duit aus­si à réin­ven­ter le dia­logue entre la sci­ence et la société. À cet égard, l’U­ni­ver­sité de tous les Savoirs créée en 2000 est un suc­cès : elle per­met au grand pub­lic d’ac­céder à un état des lieux des con­nais­sances dans tous les domaines, en assis­tant gra­tu­ite­ment à des con­férences don­nées par des chercheurs et spécialistes. 

Ces réflex­ions sur le lien entre recherche, poli­tique et citoyen sont au cœur des travaux menés par le Par­lement européen, qui a le souci de faire de l’Eu­rope un espace de recherche per­for­mant, attrac­t­if et tourné vers l’homme. 

Est-ce à dire que le monde poli­tique, la société peut pass­er un véri­ta­ble con­trat avec la recherche ? À cette ques­tion, Michel Ser­res répond que toute inno­va­tion est inat­ten­due : le con­trat société-recherche est tou­jours rompu. Et rap­pelle que huit prix Nobel sur dix ont vu leurs travaux refusés par les comités ad hoc au début de leur carrière. 

Repenser l’e­space européen de la recherche
Cather­ine Traut­mann a rap­pelé que la créa­tion de cet espace répondait à la volon­té de met­tre en place une poli­tique com­mune de recherche évi­tant ain­si la dis­per­sion des efforts, favorisant les syn­er­gies, créant des oppor­tu­nités nou­velles, aug­men­tant l’at­trac­tiv­ité des pôles européens, dévelop­pant la mobil­ité des chercheurs, avec pour but des gains en con­nais­sance et en com­péti­tiv­ité. Mais cet espace est né sur des con­cepts proches de ceux du marché intérieur : la com­péti­tion a favorisé les plus forts et brisé la cohé­sion, créant ain­si dis­par­ité et iniquité.Par ailleurs, une vision trop tech­nologique de l’in­no­va­tion a con­duit à une recherche ” hors-sol “. L’Eu­rope doit main­tenant faire des choix. Veut-elle priv­ilégi­er des réseaux de recherche spé­cial­isés — ce qui se ferait au détri­ment de l’u­ni­ver­sal­ité — ou souhaite-t-elle réin­tro­duire une dimen­sion ter­ri­to­ri­ale et humaine ? Com­ment entend-elle associ­er les citoyens aux choix en la matière ? Quel est le niveau d’in­vestisse­ments qui doit être du ressort communautaire ? 

Débats commentés par Hubert JACQUET (64)

Commentaire

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Pr S. Feyerépondre
26 juin 2018 à 13 h 51 min

sci­ence traditionnelle

Bon­jour, Peut-être ceci pour­rait-il vous intéresser… 

https://www.youtube.com/watch?v=kBCDU_PnavQ

Cordialement

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