Le Genopole à Évry : déjà cent entreprises

Dossier : Recherche et sociétéMagazine N°650 Décembre 2009
Par Pierre TAMBOURIN (64)

REPÈRES

REPÈRES
Selon un con­cept récem­ment intro­duit en France, Geno­pole peut être défi­ni comme un bio clus­ter médi­cal, c’est-à-dire un lieu où cohab­itent et col­la­borent enseignants du supérieur (uni­ver­sité, grandes écoles) et donc étu­di­ants, chercheurs académiques des grands organ­ismes publics de recherche ou du secteur indus­triel, grandes et petites entre­pris­es inno­vantes, et en ce qui con­cerne Geno­pole, un hôpi­tal. La présence sur un même site de tous ces acteurs est, selon les études menées dans divers sites dans le monde, un puis­sant catal­y­seur de développe­ment de l’innovation et, par là, un fac­teur impor­tant de développe­ment économique.

L’histoire du pro­jet Geno­pole est, à bien des égards, extra­or­di­naire. Sa genèse, son con­cept, le site où il s’est dévelop­pé con­dui­saient tous les experts à la con­clu­sion que les con­di­tions pour un échec reten­tis­sant étaient réunies.

Miser à bon escient
L’intelligence de l’AFM fut de met­tre beau­coup de moyens à la dis­po­si­tion de chercheurs émi­nents des organ­ismes publics de recherche. Telle fut l’aventure vécue par Jean Weis­senbach, médail­lé d’or du CNRS en 2008, qui dirigeait avec Daniel Cohen ces recherch­es et fut, par la suite, le sci­en­tifique le plus cité au monde pour les travaux accom­plis dans le lab­o­ra­toire Généthon entre 1990 et 1995.

N’é­tait-ce pas une folie que de lancer ex nihi­lo un tel pro­jet à Évry, ville nou­velle, où n’ex­is­taient ni enseigne­ment supérieur en biolo­gie ni lab­o­ra­toires de recherche dans ce domaine, ville qui n’avait aucune tra­di­tion de créa­tion d’en­tre­pris­es inno­vantes, à la fois proche et trop éloignée de Paris, ville nou­velle desservie par une autoroute A6 sou­vent sat­urée, une ligne D du RER par­ti­c­ulière­ment peu performante ?

Pour­tant, aujour­d’hui, dix ans après, Geno­pole présente un bilan plus qu’en­vi­able : un porte­feuille de 69 entre­pris­es de biotech­nolo­gie, ce qui en fait le pre­mier site français dans ce domaine, 20 lab­o­ra­toires académiques ori­en­tés vers les recherch­es en biolo­gie, une uni­ver­sité désor­mais résol­u­ment tournée vers la biolo­gie et les sci­ences asso­ciées et au total près de 2 300 per­son­nes tra­vail­lant sur le site.

Trois acteurs durablement engagés

À l’origine de cette réus­site on trou­ve trois acteurs prin­ci­paux. Le pro­jet a béné­fi­cié de toute la puis­sance de con­vic­tion de l’Association française con­tre les myopathies (AFM) qui avait implan­té, dès 1991, son lab­o­ra­toire Généthon à Évry.

Le sou­tien de Claude Allègre
Claude Allè­gre, dès son arrivée au min­istère de l’En­seigne­ment supérieur et de la Recherche, com­prit l’im­por­tance de la biolo­gie et des sci­ences du vivant pour l’avenir de nom­breux secteurs indus­triels et bien enten­du pour la san­té et la médecine humaine. Il soutint, avec toute sa force de con­vic­tion, le pro­jet Geno­pole et fit pres­sion sur les organ­ismes publics de recherche pour qu’ils s’im­pliquent dans ce pro­jet hors norme. Ces organ­ismes publics de recherche joueront le jeu et favoris­eront l’im­plan­ta­tion de lab­o­ra­toires de recherche dans ce qua­si-désert sci­en­tifique (en biolo­gie) qu’é­taient encore Évry et sa région en 1998.

C’est dans ce lab­o­ra­toire que furent dévelop­pées des tech­nolo­gies nou­velles, dites de « biolo­gie à grande échelle » (High Through­put Biol­o­gy), qui con­di­tion­naient les recherch­es d’avant-garde sur la struc­ture de l’information géné­tique de l’homme (son génome). Les recherch­es placèrent ce lab­o­ra­toire et la France au pre­mier rang des nations dans le monde avec, notam­ment, la dif­fu­sion en exclu­siv­ité mon­di­ale de la pre­mière car­togra­phie du génome humain au début des années qua­tre-vingt-dix. Cette carte, offerte sans con­trepar­tie à la com­mu­nauté inter­na­tionale, a per­mis d’accélérer de six années le séquençage du génome humain.

Le sec­ond acteur majeur de Geno­pole fut l’É­tat et les trois min­istres suc­ces­sifs de la Recherche : Élis­a­beth Dufour­cq, qui accep­ta le principe de lancer ce grand pro­gramme de génomique, François d’Aubert, qui le mit en place, puis Claude Allè­gre, qui lança le pro­jet Geno­pole. En trois années, de 1995 à 1998, l’É­tat por­ta sur les fonds bap­tismaux de la République ce pro­jet ambitieux sus­cep­ti­ble de pro­longer les efforts de l’AFM au plan inter­na­tion­al. À not­er égale­ment l’ac­tion déci­sive du directeur de la Recherche à l’époque, Bernard Big­ot, devenu depuis admin­is­tra­teur général du CEA, dans la mise en œuvre des décisions.

Une telle union entre acteurs est rarissime

Enfin et surtout, Geno­pole reçoit, dès son démar­rage, le sou­tien de toutes les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales, le Con­seil général en pre­mier, la ville d’Évry, la Région Île-de-France, la Com­mu­nauté d’ag­gloméra­tion d’Évry Cen­tre-Essonne, et cela quelles que soient les couleurs poli­tiques. Tous mesurèrent l’im­por­tance stratégique de ce pro­jet pour leur territoire.

Une telle union entre ces acteurs est raris­sime, mais encore plus raris­sime lorsqu’elle s’in­scrit sans faib­lir dans le temps. Sans cette con­ver­gence, accom­pa­g­née de dota­tions budgé­taires impor­tantes, Geno­pole n’au­rait jamais vu le jour et n’au­rait jamais pu se développer.

Séquençage du génome humain et premiers succès

Notoriété mon­di­ale
Un exem­ple de la notoriété mon­di­ale de Geno­pole est don­né par l’en­tre­prise Gene Sig­nal née à Évry dont le pro­duit GS 101 — un oligonu­cléotide indiqué pour le traite­ment du rejet de greffe de cornée et faisant l’ob­jet d’un essai de phase 3 — vient d’être classé par­mi les cinq pro­duits les plus promet­teurs de l’an­née par l’A­gence mon­di­ale Thom­son Reuters.

Le pre­mier des suc­cès de Geno­pole est, sans con­teste, d’avoir pu con­tredire tous les oiseaux de mau­vais augure qui se com­plai­saient à prédire son échec. Les chercheurs, réputés casaniers, se sont déplacés jusqu’à Évry, le divorce entre le monde de la recherche académique et celui de l’en­tre­prise s’est estom­pé. En matière de recherche, le pre­mier suc­cès et le plus vis­i­ble reste la par­tic­i­pa­tion au séquençage du génome de l’homme auquel le Cen­tre nation­al de séquençage (CNS), l’actuel Geno­scope, a contribué.

Un des pre­miers sites mon­di­aux dans la recherche sur les cel­lules souches

En ce qui con­cerne les thérapeu­tiques humaines et le développe­ment de médica­ments nou­veaux, il n’y a pas encore eu de suc­cès mon­di­al à Évry, mais cela est logique. Geno­pole n’a que dix ans et tout nou­veau médica­ment néces­site une quin­zaine d’an­nées de recherche et de développe­ment. Des traite­ments sont en cours de développe­ment au sein d’en­tre­pris­es de biotech­nolo­gie, qui com­men­cent à être recon­nus au niveau mondial.

Enfin, en matière de créa­tion d’en­tre­pris­es, nous pou­vons aus­si par­ler de suc­cès : la pré­dic­tion selon laque­lle aucun chercheur ne viendrait pour présen­ter un pro­jet de créa­tion d’en­tre­prise est claire­ment et heureuse­ment démentie.

Le génome humain : 23000 gènes

C’est à Jean Weis­senbach, devenu directeur du CNS, et à ses équipes que l’on doit l’an­nonce, dès 2000, que le génome de l’homme comp­tait bien moins de gènes que ce qui était pressen­ti alors. Il avait vu juste puisque au lieu des 60 000 à 200 000 gènes atten­dus et annon­cés le génome de l’homme n’en compte que ” 23 000 “. De nom­breux gènes de prédis­po­si­tion aux grandes patholo­gies, dia­bète, car­dio­vas­cu­laire et autres, furent iden­ti­fiés par le Cen­tre nation­al de géno­typage qui ray­onne au plan européen, en par­tic­i­pant à la plu­part des grands pro­grammes européens d’i­den­ti­fi­ca­tion de ces gènes. Cha­cun de ces gènes peut servir de cible à de nou­veaux médica­ments ou con­duire à des diag­nos­tics nou­veaux pour prévenir le développe­ment de ces patholo­gies graves.

Développer l’intégration et la notoriété

L’avenir de Geno­pole dépend des moyens qui seront mis en oeu­vre pour dépass­er les dif­fi­cultés aux­quelles le bioparc se heurte encore. La pre­mière dif­fi­culté tient à la dis­tance (à la fois trop grande et trop faible) qui sépare Évry de Paris. En effet, la prox­im­ité d’Évry avec la cap­i­tale incite de nom­breux chercheurs à vivre à Paris. Mais ral­li­er Geno­pole reste sou­vent dif­fi­cile, notam­ment parce que la ligne D du RER con­naît une grande fréquence d’in­ci­dents en tout genre. À terme, ce prob­lème sera résolu.

Plus de cent entreprises
Geno­pole regroupe aujour­d’hui, dans son porte­feuille, 69 entre­pris­es fran­cili­ennes dont 37 sur Évry-Cor­beil mais c’est plus de cent entre­pris­es qui au total furent créées par Geno­pole dans la région francilienne.

Un meilleur accès à Évry
Plusieurs pro­jets liés au Grand Paris amélioreront la desserte de Geno­pole : la créa­tion de la ligne Évry-Massy et celle d’Or­ly-Évry, équipées de tramways en site pro­pre. Par ailleurs, les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales ont placé l’amélio­ra­tion tech­nique de la ligne D, vétuste, de la SNCF au pre­mier rang de leurs pri­or­ités d’investissement.


La deux­ième dif­fi­culté réside dans la jeunesse de l’u­ni­ver­sité d’Évry Val-d’Es­sonne, moins con­nue que ses homo­logues d’Or­say et de Paris, bien plus anci­ennes. Or, il fau­dra à l’u­ni­ver­sité d’Évry cinq à dix ans d’ef­forts soutenus pour affich­er un pal­marès qui ras­sure les étu­di­ants. Peu de lycéens con­nais­sent la qual­ité des lab­o­ra­toires de recherche de Geno­pole et de l’u­ni­ver­sité d’Évry au sein desquels tra­vail­lent la plu­part des enseignants en biolo­gie de cette université.

Un cen­tre hospitalo-universitaire
Le Cen­tre de recherche clin­ique et transla­tionnelle sera chargé d’as­sur­er le trans­fert des résul­tats de la recherche académique ou des entre­pris­es aux malades, un rôle qui néces­site la disponi­bil­ité de moyens spé­ci­fiques, la dispo­nibilité de médecins et de chercheurs. Or, seule une dimen­sion hos­pi­ta­lo-uni­ver­si­taire peut per­me­t­tre d’obtenir de tels moyens. Ce statut, le Cen­tre hos­pi­tal­ier sud-fran­cilien ne l’a pas encore, il fau­dra l’obtenir au moins pour le CRCT.

Le troisième enjeu réside dans l’avenir du futur Cen­tre hos­pi­tal­ier sud-fran­cilien d’Évry-Cor­beil (instal­lé au cœur de Geno­pole) dont l’ou­ver­ture est prévue dès 2011. Pour établir des liens entre la recherche fon­da­men­tale, la recherche clin­ique et les entre­pris­es de biotech­nolo­gie, le CHSF et Geno­pole ont décidé la con­struc­tion d’un Cen­tre de recherche clin­ique et trans­la­tion­nelle (CRCT). Il sera dédié, pour l’essen­tiel, à l’ap­proche thérapeu­tique des mal­adies géné­tiques rares pour lesquelles Geno­pole con­stru­it actuelle­ment, avec l’AFM et Généthon, un Cen­tre de bio­pro­duc­tion des vecteurs, néces­saire aux traite­ments de ces mal­adies gravis­simes. Geno­pole, aidé par l’AFM, aura ain­si puis­sam­ment con­tribué au développe­ment de l’aven­ture sci­en­tifique et médi­cale qui per­me­t­tra dans quelques années la guéri­son de malades atteints de mal­adies géné­tiques rares.

Quatre axes de développement structurants

L’avenir de Geno­pole se décline autour de plusieurs grands pro­jets ambitieux et struc­turants. Du côté de la recherche, Geno­pole devien­dra prob­a­ble­ment l’un des pre­miers sites européens, voire mon­di­aux, dans la recherche sur les cel­lules souch­es mul­ti­po­tentes humaines. L’im­por­tance de ce domaine pour la médecine et la recherche paraît déter­mi­nante. Grâce aux cel­lules dites ” IPS ” (des cel­lules adultes que des chercheurs arrivent à mod­i­fi­er afin qu’elles se com­por­tent comme des cel­lules mul­ti­po­tentes), le site con­naît un essor insoupçonnable depuis deux ans et sus­cite l’in­térêt des grands indus­triels. Le poten­tiel de développe­ment, en recherche fon­da­men­tale, en pra­tique médi­cale et en recherche indus­trielle, des cel­lules souch­es mul­ti­po­tentes paraît immense.

L’in­térêt des grands industriels
Le dernier exem­ple est don­né par le lab­o­ra­toire I‑Stem issu d’une col­lab­o­ra­tion entre l’AFM, l’In­serm, l’u­ni­ver­sité d’Évry Val-d’Es­sonne et Geno­pole, qui vient de sign­er un accord avec le groupe suisse Roche pour aider ce groupe à utilis­er la tech­nique ” IPS ” et cribler de nou­veaux médica­ments. Les cel­lules pour­ront peut-être traiter cer­taines patholo­gies dégénéra­tives du sys­tème nerveux cen­tral, telles que les mal­adies d’Alzheimer ou de Parkinson.

La con­ju­gai­son des approches de génomique appliquées à ces cel­lules per­me­t­tra par ailleurs d’ap­préhen­der leur fonc­tion­nement et le mécan­isme de dif­féren­ci­a­tion avec une grande finesse.

Deux­ième axe fort : la biolo­gie sys­témique et de syn­thèse. Elle vise à met­tre au point de nou­veaux sys­tèmes qui, en ” mimant ” le vivant, peu­vent accom­plir des tâch­es pré­cis­es. La biolo­gie vit ce que la chimie a con­nu, il y a un siè­cle et demi, lorsque pro­gres­sive­ment la chimie ana­ly­tique a fait place à la chimie de syn­thèse. Cette activ­ité aura pour cadre un nou­v­el insti­tut de l’u­ni­ver­sité d’Évry créé avec l’ap­pui du CNRS.

Devenir un site de niveau mon­di­al dans le domaine de la bioproduction.

Troisième axe : devenir un site de niveau mon­di­al dans le domaine de la bio­pro­duc­tion. Geno­pole réu­ni­ra sur son site près d’une dizaine de pro­jets dif­férents dans ce domaine : bio­pro­duc­tion de molécules thérapeu­tiques, de vac­cins, d’en­zymes, d’oligonu­cléotides thérapeu­tiques, d’an­ti­corps mon­o­clonaux, de nou­veaux sys­tèmes de pro­duc­tion de bio­car­bu­rants à par­tir de déchets verts, etc.

Qua­trième axe enfin : le Cen­tre de recherche clin­ique et trans­la­tion­nelle per­me­t­tra aux chercheurs, aux indus­triels, aux médecins du site de dévelop­per les nou­velles approches thérapeu­tiques évo­quées ci-dessus.

Bien sûr, le développe­ment de Geno­pole néces­sit­era encore des efforts impor­tants des pou­voirs publics, mais le bioparc est promis à un bel avenir à l’im­age de Saclay, son homo­logue du Sud-Fran­cilien, pour les sci­ences dures. 

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