Délit de fuites

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°623 Mars 2007Par : J.-C. Islert, dans une mise en scène de J.-L. MoreauRédacteur : Philippe Oblin (46)

On sait depuis longtemps que le théâtre de La Michodière est en quelque manière voué au vaude­ville, ce qui n’est pas de soi un péché. On sait aus­si que M. Ray Cooney est un des meilleurs maîtres ès vaude­ville con­tem­po­rains. Il se trou­ve juste­ment que l’on joue en ce moment une pièce de J.-C. Islert inspirée, selon la presse, d’une idée de Ray Cooney. Il s’agit de Délit de fuites.

Les idées de Ray Cooney sont générale­ment bonnes, mais je préfère qu’il les traite lui-même. Nous avons vu voici peu ce que cela donne lorsqu’il tient toutes choses en main, sur ce même plateau de La Michodière pré­cisé­ment, avec Sta­tion­nement alterné. Dans le cas de Délit de fuites, il con­vient de recon­naître que M. Islert n’a pas autant d’habileté que lui pour con­stru­ire une mécanique à la Fey­deau : l’action de sa pièce m’a sem­blé un tan­ti­net lente, et surtout quelque peu con­fuse, avec des per­son­nages dont on ne com­prend pas tou­jours très bien ce qu’ils vien­nent faire dans cette his­toire com­pliquée d’un maître chanteur qui, pour recevoir une mal­lette d’euros en échange d’un disque dur fort com­pro­met­tant pour un min­istre en exer­ci­ce, a besoin de dis­pos­er d’un apparte­ment dis­cret, et surtout anonyme.

Ce pourquoi il prend pos­ses­sion de celui sur quoi il a jeté son dévolu en se déguisant en plom­bier espag­nol, mous­tachu et bavard chargé de localis­er et répar­er une fuite d’eau. Aus­sitôt l’occupant légitime dudit apparte­ment par­ti à ses affaires en lui lais­sant les clefs, et la maîtresse du maître chanteur arrivée pour le ren­con­tr­er en secret, com­mence bien enten­du un défilé d’intrus et d’intruses : la mère de l’occupant légitime de l’appartement, son ex-femme récem­ment divor­cée venue récupér­er des affaires, une fille de père incon­nu cher­chant à percer le mys­tère de sa nais­sance, le por­teur de la mal­lette aux euros. Ces appari­tions, par­fois simul­tanées, provo­quent des con­fronta­tions dif­fi­ciles à maîtris­er, con­duisant le maître chanteur-plom­bier à inven­ter des expli­ca­tions de sa présence de moins en moins crédi­bles, ce d’autant plus qu’il est en com­plet veston d’affairiste véreux quand la vraisem­blance voudrait qu’il fût en salopette de plom­bier, et vice-ver­sa.

Si la con­struc­tion un peu laborieuse de cet échafaudage com­plexe fait que l’inattendu se fait par­fois un peu atten­dre, la mise en scène très enlevée de J.-L. More­au et surtout la qual­ité des comé­di­ens, de tous les comé­di­ens, sauvent pour­tant l’affaire. M. Roland Giraud se mon­tre par­ti­c­ulière­ment à l’aise dans son habituel emploi de baratineur inven­tif, qui nous amusa tant naguère dans Le Père Noël est une ordure. La salle en tout cas croule de rire à chaque instant, ce qui est tout de même un signe qui ne trompe pas. Un cri­tique dis­ait un jour qu’en lit­téra­ture, si l’échec pub­lic ne veut rien dire quant à la valeur de l’œuvre, le suc­cès en revanche sig­ni­fie tou­jours quelque chose. Et il ne s’agissait dans son esprit que d’écrits. Pour le théâtre, la chose est plus com­plexe encore, à cause des trois com­posantes y inter­venant : le texte – lui-même d’ailleurs com­bi­nai­son d’une idée, d’une con­struc­tion dra­ma­tique et de dia­logues – la mise en scène, le jeu des acteurs. Et si, dans Délit de fuites, la con­struc­tion peine un peu, les dia­logues, déjà mer­veilleuse­ment dits, sont en out­re savoureux. Il faut enten­dre la mère, émergeant de ce tohu-bohu à quoi elle ne com­prend rien, gémir : On m’a traitée d’Alzheimer, moi, une Française de souche ! Une fête de l’oreille !

En bref, si vous avez envie de pass­er un bon moment, allez voir cette pièce. Mal­gré ses menus défauts, je vous garan­tis néan­moins près de deux heures de franche détente. Par les temps qui courent, c’est tou­jours bon à prendre. 

Théâtre de La Michodière, 4 bis, rue de La Michodière, 75002 Paris. Tél. : 01.47.42.95.22.

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