Le Tour du monde en 80 jours

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°619 Novembre 2006Par : d’après Jules Verne, dans une adaptation de Sébastien Azzopardi et Sacha Danino. Comédiens : Gaëtan Aubry, Romain Canard, Alexandre Guilbaud, Gilles-Vincent Kapps, Réjane Lefoul, Yan Mercoeur, Elisa Sergent. Décor : Olivier Prost. Lumières : Marika Lefebvre. Musique : Sylvain Meyniac.Rédacteur : Philippe Oblin (46)

Nous avons tous lu Jules Verne dans notre jeunesse, les plus chanceux d’entre nous dans les lour­des édi­tions orig­i­nales, à cou­ver­ture rouge, de Het­zel, nichées dans les hauts de plac­ard ou les gre­niers de maisons famil­iales de province, dans un temps où l’on ne les dis­ait pas encore « en région ». D’autres dans l’honnête col­lec­tion de la Bib­lio­thèque verte. Peu importe.

Tous en tout cas nous fûmes emportés par son art de con­teur, celui qui appelle à tourn­er bien vite la page pour savoir ce qui arrive dans celle d’après, par ses dons de vision­naire, et pas seule­ment de vision­naire sci­en­tifique, mais de vision­naire tout court, qui fait que « nous y étions », ce aus­si bien der­rière les hublots du Nau­tilus que dans la Sibérie de Michel Stro­goff. Il lui arrive sans doute d’être par moments un peu casse-pieds pour des lecteurs de treize ans avec ses degrés de lon­gi­tude, ses steam­ers, ses ton­neaux de jauge, ses rail­ways, voire ses con­sid­éra­tions sur la manière de fab­ri­quer de la nitro­gly­cérine dans les îles désertes. Fort heureuse­ment, nous pou­vions tou­jours sauter ces pas­sages ardus pour par­venir plus vite à la dernière page.

Tou­jours est-il que par ces aspects un tan­ti­net rébar­bat­ifs, Jules Verne ne laisse générale­ment pas à ses jeunes lecteurs le sou­venir d’un auteur comique, loin de là. Relisez-le pour­tant, devenus adultes, et vous y trou­verez d’indiscutables traces d’humour, encore que par­fois un peu lourd, façon « stu­pide XIXe siè­cle ». Or savez-vous qu’il est pos­si­ble de tir­er aujourd’hui de son œuvre un théâtre du plus haut comique, sans pas­tiche ironique et méchant, et tout en respec­tant son esprit ? Pour vous en con­va­in­cre, et bien vous amuser de sur­croît, allez donc, s’il en est encore temps quand paraîtront ces lignes, au Lucer­naire voir jouer Le Tour du monde en 80 jours. Il ne s’agit certes pas d’un Tour du monde style Châtelet de jadis, avec de vrais chevaux, de vrais éléphants, de presque vraies loco­mo­tives. Ni les dimen­sions du plateau, ni le bud­get du Lucer­naire ne s’y prêteraient. Il s’agit de tout autre chose, qui rap­pellera aux plus anciens des lecteurs le temps béni de la Com­pag­nie Gre­nier-Hussenot, des Frères Jacques, d’Orion le tueur. Ce qui est tout dire.

Sébastien Azzopar­di et Sacha Dani­no se sont diver­tis, pour notre plus grande joie, à écrire pour la scène leur pro­pre adap­ta­tion du Tour du monde en 80 jours, adap­ta­tion plus que libre certes, mais par­faite­ment désopi­lante. Elle est mise en scène par Azzopar­di lui-même et jouée par qua­tre jeunes comé­di­ens, trois garçons et une fille, qui se démè­nent comme quinze en étant tour à tour et suc­ces­sive­ment l’impassible Phileas Fogg, Passe-Partout le débrouil­lard, l’inspecteur Fix, une con­trôleuse du rail­way Lon­dres-Dou­vres, la ravis­sante Mrs Aou­da, deux fakirs entur­ban­nés, qua­tre vieilles Anglais­es guet­tant l’arrivée d’un steam­er, des Chi­nois fumeurs d’opium, un inter­mit­tent du spec­ta­cle essayant de plac­er son cou­plet sur la mort de la cul­ture, un con­sul anglais à cheval sur le règle­ment, la reine Eliz­a­beth II avec petit sac à main et stupé­fi­ant galurin, et que sais-je encore.

Bref, une explo­sion d’incessantes trou­vailles pro­pres à requin­quer l’hypocondre du spec­ta­teur le plus atteint de morosité. Ajou­tons qu’il y avait des rangs entiers d’enfants dans la salle – nous y étions en mat­inée – et que, si cer­taines finess­es leur échap­paient sans doute, le bar­i­olé des cos­tumes, la drô­lerie des atti­tudes, l’expressive var­iété des mim­iques suff­i­saient déjà à leur bonheur.

Quant à nous, il faut bien avouer que nous ne retrou­vions pas sans émo­tion, et comme tapi der­rière nos rires, l’authentique Jules Verne, celui de notre jeunesse. Or il est tou­jours bon de raje­u­nir, ne fût-ce que le temps d’un spectacle.

Poster un commentaire