La Marmite

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°574 Avril 2002Par : Titus Maccius Plautus, par la Compagnie Pandora, dans une traduction de Florence Dupont et une mise en scène de Brigitte Jaque-WajemanRédacteur : Philippe OBLIN (46)

La Car­toucherie – Théâtre de la Tem­pête aura joué l’Aul­u­laire durant six semaines cette année. Les lecteurs de La Jaune et la Rouge étant en majorité d’anciens bons élèves de l’enseignement sec­ondaire mon­tés en graine, je ne vais pas les baratin­er avec un par­al­lèle entre l’Aul­u­laire de Plaute et l’Avare de Molière. Ils savent cela, ou du moins on le leur a déjà seriné.

D’ailleurs la pièce s’appelait en l’occurrence La Mar­mite (aula, la mar­mite, aul­u­la, la petite mar­mite, selon le Gaffiot). Mme Flo­rence Dupont, la tra­duc­trice, explique dans la notice que “ les textes du théâtre romain n’étaient pas des­tinés à la lec­ture mais à la scène. ”

S’agissant de théâtre, latin ou pas, on s’en doutait bien un peu, encore qu’après tout les tragédies de Sénèque, un auteur romain à ma con­nais­sance, furent bel et bien des­tinées à la lec­ture – à voix haute je veux bien – et non à la scène. Mme Dupont nous enseigne aus­si que le théâtre romain n’est pas un théâtre lit­téraire, et qu’en cela réside sa moder­nité. Voilà le maître-mot lâché, mais un théâtre ne sem­blant donc pas pou­voir être à la fois mod­erne et lit­téraire, on en vient à se deman­der lequel des deux qual­i­fi­cat­ifs con­vient à ceux de Camus ou de Sartre, par exemple.

Con­clu­sion : méfions-nous des com­men­taires des tra­duc­teurs et voyons-les à l’œuvre. Or la tra­duc­tion de Mme Dupont est excel­lente, en cela qu’on retrou­ve dans son texte la tru­cu­lente vivac­ité des dia­logues de Plaute, ou la bouf­fon­ner­ie de ses longs mono­logues, si sai­sis­sants car adressés le plus sou­vent de façon très directe au pub­lic, pris à par­tie comme à Guig­nol. L’alacrité de ce style n’est d’ailleurs pas pro­pre à Plaute. Elle est presque inhérente à la langue latine et à sa con­ci­sion : le veni, vidi, vici de son ver­sant noble certes, mais se prê­tant aus­si bien à l’ironie rapi­de et légère d’un Horace dans ses dia­logues satiriques, ou à l’avalanche de rebondisse­ments loufo­ques et pail­lards d’un Satyri­con.

Mme Dupont a vigoureuse­ment opté pour ce que l’on pour­rait appel­er “ la tra­duc­tion rap­prochante ” : sa langue est celle du français con­tem­po­rain le plus vivant, celui de la rue, sans le moin­dre “ par Her­cule ! ” ou “ par Pol­lux ! ”, qui serait con­servé de-ci de-là dans un souci de couleur locale. Cette tra­duc­tion est d’ailleurs si libre qu’elle mérit­erait par­fois plutôt le nom d’adaptation, m’a‑t-il paru. Ce qui n’a rien d’un reproche, loin de là.

De façon intéres­sante à not­er d’ailleurs, il m’a sem­blé que les meilleurs pas­sages étaient pour­tant ceux où elle s’est le moins écartée d’un “ mot à mot ”, et qui sont juste­ment les pas­sages où Plaute atteint le plus à l’intemporalité. Ce qui con­duit à penser qu’il ne faut pas con­fon­dre moder­nité et intem­po­ral­ité, con­fu­sion pour­tant fréquente de nos jours chez bien des intel­lectuels, sans doute ter­ri­fiés par le spec­tre de la ringardise.

Comme tou­jours à la Car­toucherie, il n’y a que du bien à dire des comé­di­ens, dans la cir­con­stance tous des hommes selon la pra­tique des tréteaux romains. J’ai par­ti­c­ulière­ment appré­cié Pierre Ste­fan Mon­tag­nier en Euclion le vieil avare ron­chon, et Franck Cheval­lay en dame romaine fort B.C.B.G. et un tan­ti­net maniérée.

Dans sa mise en scène, Brigitte Jaque-Waje­man avait adop­té aus­si un par­ti si résol­u­ment con­tem­po­rain que les esclaves rap­por­taient les pro­vi­sions des­tinées au repas de noce dans un cad­die flam­bant neuf. Ce détail ne s’imposait peut-être pas, pas plus que l’interminable – et mal­odor­ante – bataille à coups de poireaux bien authen­tiques et juteux qui s’ensuivait.

Rien n’est par­fait. Le pub­lic en tout cas, beau­coup de jeunes, et des moins jeunes à têtes de profs de latin, s’amusait bien, tout comme nous, ce qui est l’essentiel.

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