Plan du métro de Paris, les stations portant des noms d'X sont marquées avec un bicorne

Les X et le métro de Paris

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°793 Mars 2024
Par Alex TORDJMAN (X19)

Cet article pro­pose un pano­ra­ma des sta­tions de métro et RER pari­siennes dont les noms sont ceux de poly­tech­ni­ciens plus ou moins célèbres, du maître d’œuvre du métro de Paris Ful­gence Bien­venüe au résis­tant Hono­ré d’Estienne d’Orves. Il est le fruit de la curio­si­té de l’auteur, ne pré­tend pas à l’exhaustivité ni à l’exactitude his­to­rique, mais est plu­tôt une invi­ta­tion à décou­vrir la vie de ces anciens dont les noms rythment le quo­ti­dien de nom­breux Parisiens.

Fulgence Bienvenüe, le père du métro parisien était polytechnicien
Ful­gence Bien­venüe (X1870, 1852–1936), père du métro pari­sien, devant l’entrée de la sta­tion Mon­ceau. Source : RATP.

Métro ligne 4 Métro ligne 6 Métro ligne 12 Métro ligne 13
Montparnasse-Bienvenüe
pour Fulgence Bienvenüe, X1870

Ne vous y trom­pez pas, la RATP ne vous sou­haite pas la « bien­ve­nue » lors de votre arri­vée en gare Mont­par­nasse depuis le sud de la France ou l’une des quatre lignes de métro qui y marquent l’arrêt. Le tré­ma est une réfé­rence directe à Ful­gence Bien­venüe, poly­tech­ni­cien, ingé­nieur des Ponts et Chaus­sées, concep­teur du métro de Paris. Encou­ra­gé par l’État fran­çais à conce­voir une ligne de métro pour l’Exposition uni­ver­selle de 1900 et les Jeux olym­piques de la même année, il est l’ingénieur en chef des tra­vaux de la ligne 1 (ligne « un » et non pas ligne « une »…) du métro, qui à l’époque relie la porte Maillot à la porte de Vin­cennes. L’École a consa­cré un épi­sode de sa série de pod­casts « École poly­tech­nique : 225 ans de contri­bu­tion au monde » à l’ingénieur Bienvenüe.

Métro ligne 4 Métro ligne 6 RER B
Denfert-Rochereau (Colonel Rol-Tanguy)
pour Aristide Denfert-Rochereau, X1842

Cette sta­tion du 14e arron­dis­se­ment de Paris, où d’aucuns croisent régu­liè­re­ment des cama­rades sur les quais, porte éga­le­ment le nom d’un illustre ancien. Den­fert-Roche­reau s’engage dans le génie à la sor­tie de l’École poly­tech­nique, il est sur­tout connu pour son cou­rage lors de la défense de Bel­fort dans le contexte de la guerre fran­co-prus­sienne de 1870 (après laquelle il sera fait colo­nel). C’est lui qui est sur­nom­mé le « lion de Bel­fort », la sculp­ture ani­male sur la place épo­nyme n’étant qu’une allé­go­rie de son enga­ge­ment héroïque.

métro ligne 5
Laumière
pour Clément Vernhet de Laumière, X1828

Voir la rubrique His­to­riX de notre numé­ro 791 daté de jan­vier 2024 : « Deux des­tins d’X artilleurs » ! Rap­pe­lons que Lau­mière est un offi­cier d’artillerie qui par­ti­ci­pa aux guerres d’Italie (1859) et du Mexique (1861−1867), lors de laquelle il est mor­tel­le­ment bles­sé à la tête. Les cir­cons­tances plus ou moins floues de sa mort sont rela­tées dans l’His­toire de la guerre du Mexique, de Félix Ribeyre.

Métro ligne 8
Faidherbe-Chaligny
pour Léon Faidherbe, X1838

Léon Faid­herbe, ori­gi­naire de Lille, est la figure de proue (contro­ver­sée) de la colo­ni­sa­tion fran­çaise au Séné­gal. Il contri­bue d’abord à la phase de conquête armée, puis est nom­mé gou­ver­neur du Séné­gal en 1858. Il super­vise ou est à l’origine de grandes œuvres telles que le port de Dakar ou la ligne de che­min de fer reliant le Séné­gal au Niger. Il est éga­le­ment géné­ral pen­dant la guerre fran­co-prus­sienne de 1870, puis entame une car­rière poli­tique sur la fin de sa vie. Dans le contexte de remise en ques­tion du pas­sé colo­nial occi­den­tal lors des années 2010, la figure de Faid­herbe est cri­ti­quée et des mani­fes­ta­tions sont orga­ni­sées pour obte­nir le débou­lon­ne­ment de cer­taines sta­tues du mili­taire à Lille.

Il n’en reste pas moins que Faid­herbe a publié plu­sieurs tra­vaux de lin­guis­tique et d’anthropologie, et maî­tri­sait des langues comme le wolof ou le tou­cou­leur (pour une étude cri­tique des tra­vaux ethno­graphiques de Faid­herbe, voir Pon­do­pou­lo (1996), « L’image des Peuls dans l’œuvre du géné­ral Faid­herbe », His­to­ry in Afri­ca, vol. 23, 279–299). Un excellent lycée de Lille dont nombre de nos cama­rades sont issus porte son nom. Rap­pe­lons aus­si que Faid­herbe a été le sujet de l’His­to­riX du numé­ro 776 (juin 2022) de notre revue.

Métro ligne 10
Javel – André Citröen
pour André Citroën, X1898

Cer­tai­ne­ment connu pour avoir fon­dé l’entre­prise du construc­teur d’automobiles épo­nyme, l’on semble oublier qu’André Citröen débute dans la pro­duc­tion de muni­tions dans le contexte de la Pre­mière Guerre mon­diale. Il fait construire sur les terres du quai de Javel (l’association n’est donc pas for­tuite) une immense usine de pro­duc­tion d’obus, qui emploie alors qua­si uni­que­ment des femmes (effort de guerre oblige) et pro­duit des muni­tions à un rythme effré­né. Au len­de­main de la guerre, il conver­tit son capi­tal pour se lan­cer dans la pro­duc­tion auto­mo­bile. Plus que par l’ingénierie, c’est par les méthodes de tra­vail et par le mar­ke­ting (emprun­té en par­tie aux Amé­ri­cains) qu’il se distingue.

Fresque de la station Javel - André Citroën en 2019.
Fresque de la sta­tion Javel – André Citroën en 2019.

On note­ra une publi­ci­té noc­turne repre­nant les lettres de l’enseigne Citroën sur la tour Eif­fel, uti­li­sant des cen­taines de mil­liers d’ampoules, entre 1925 et 1933 – chose com­plè­te­ment impen­sable aujourd’hui… Rap­pe­lons encore que l’His­to­riX du numé­ro 749 (novembre 2019) fêtait le cen­te­naire de cette « firme mythique ».

 publicité nocturne reprenant les lettres de l’enseigne Citroën sur la tour Eiffel, utilisant des centaines de millier d’ampoules, entre 1925 et 1933
Publi­ci­té Citroën sur la tour Eif­fel, entre 1925 et 1933.

Métro ligne 10
Vaneau
pour Louis Vaneau, X1829

On ne pré­sente plus Vaneau, sym­bole interne (plus qu’externe) de notre école. Les pro­mo­tions récentes lui ont dédié un hymne, com­po­sé par Maître Holi­ner sur des paroles écrites par les X13 – « les paroles c’est vous, la musique c’est moi ». La mort de Vaneau sur les bar­ri­cades en 1830 a contri­bué à ancrer l’École poly­tech­nique dans l’imaginaire popu­laire comme une véri­table ins­ti­tu­tion révo­lu­tion­naire – rap­pe­lons que notre école fut fon­dée par la Conven­tion en 1794 ! Les plus atten­tifs auront remar­qué que, dans le célèbre tableau La Liber­té gui­dant le peuple de Dela­croix, on trouve un poly­tech­ni­cien au second plan – l’institution est une figure de liber­té, après la Marianne, le Gavroche et sur­tout avec le peuple.

La liberté guidant le peuple

À titre per­son­nel, je soup­çonne que l’événement de la mort de Vaneau (ou plu­tôt son héri­tage cultu­rel) a gran­de­ment contri­bué à faire dépla­cer l’École sur le pla­teau de Saclay dans un contexte ten­du entre étu­diants et pou­voir en place (post-Mai 68). On a cer­tai­ne­ment jugé dan­ge­reux d’avoir quelques cen­taines de poly­tech­ni­ciens dans le 5e arron­dis­se­ment de Paris, qui seraient capables de prendre les armes si un sou­lè­ve­ment popu­laire devait avoir lieu…

Métro ligne 12
Trinité‑d’Estienne d’Orves
pour Honoré d’Estienne d’Orves, X1921

Hono­ré d’Estienne d’Orves s’engage dans la marine à la sor­tie de l’X. Il est sur­tout connu pour son enga­ge­ment dans la Résis­tance, rejoi­gnant C. de Gaulle en Angle­terre au len­de­main de la débâcle de 1940. Il effec­tue des mis­sions clan­des­tines en France pour la Résis­tance et éta­blit notam­ment le réseau Nem­rod, ain­si que la pre­mière liai­son radio durable entre la Résis­tance et les forces fran­çaises libres en Angle­terre. Fait pri­son­nier par les Alle­mands, il est fusillé en 1941 au mont Valé­rien. Il est l’un des dédi­ca­taires du célé­bris­sime poème résis­tant d’Aragon, La Rose et le Résé­da. La Khô­miss rap­pelle régu­liè­re­ment, par le biais des dis­cours du GénéK lors de la remise des tan­gentes et des bicornes, qu’Estienne d’Orves était missaire.

RER C
Avenue Foch
pour Ferdinand Foch, X1871

L’un des deux géants de la Grande Guerre (avec Joffre) s’est vu offrir une sta­tion du RER C. Foch effec­tue une car­rière clas­sique d’officier dans une période fina­le­ment plu­tôt calme (entre la guerre fran­co-prus­sienne de 1870 et la Pre­mière Guerre mon­diale). En 1914, au début de la guerre, il a déjà été à la tête de l’École de guerre pen­dant trois ans et est un géné­ral éta­bli. Il est répu­té pour son action offen­sive et est même qua­li­fié de « fou » par Cle­men­ceau, là où Pétain était vu à l’époque comme plus calme et rai­son­né. Les alliés pré­fèrent pour­tant Foch pour com­man­der les forces alliées et fran­çaises sur le front de l’Ouest en 1918.

Il est éle­vé à la dis­tinc­tion de Maré­chal pen­dant la guerre, pré­side la délé­ga­tion pour la signa­ture de l’armistice, est élu aux Aca­dé­mies des sciences et fran­çaise, et obtient des titres mili­taires équi­va­lents en Angle­terre et en Pologne. Il consi­dère le trai­té de Ver­sailles et les condi­tions impo­sées à l’Allemagne comme une paix fac­tice et une trêve de court terme (et aura rai­son, mais ne le ver­ra pas de son vivant). Il est enter­ré aux Inva­lides dans un majes­tueux tom­beau sculp­té par Paul Lan­dows­ki. Pour l’anecdote, sa femme est issue de la même famille que Ful­gence Bien­venüe (voir plus haut).

RER C
Musée d’Orsay (Valéry Giscard d’Estaing)
pour Valéry Giscard d’Estaing, X1944

On ne pré­sente plus l’homme-titan qu’était le regret­té VGE. Enga­gé volon­taire à moins de vingt ans pour la libé­ra­tion de Paris, il entre à l’École poly­tech­nique puis à l’ENA (celle-ci venait de réser­ver deux places aux poly­tech­ni­ciens, ce qui fut détruit par Jacques Chi­rac dans les années 1980). Pré­sident de la Répu­blique – l’un des trois seule­ment issus de l’École, avec Sadi Car­not et Albert Lebrun – entre 1974 et 1981, il a lais­sé le sou­ve­nir d’une manière de par­ler quelque peu vieille France et d’un pré­sident clas­sé à droite. 

Pour­tant, Valé­ry Gis­card d’Estaing mène des réformes socié­tales majeures liées à l’évolution des mœurs pour cer­taines, beau­coup plus avant-gar­distes pour d’autres : dépé­na­li­sa­tion de l’IVG (loi Veil), majo­ri­té à 18 ans, divorce par consente­ment mutuel, sta­tut des han­di­ca­pés, réforme de l’audiovisuel public, fin de la cen­sure au ciné­ma… Rap­pe­lons enfin que La Jaune et la Rouge lui a consa­cré un numé­ro spé­cial (n° 761 de jan­vier 2021) au moment de son décès.

Accès principal de la station de métro Place Monge, sur la place du même nom.
Accès prin­ci­pal de la sta­tion de métro Place Monge, sur la place du même nom.

Autour de l’École polytechnique

Bien que ne fai­sant pas direc­te­ment réfé­rence à des poly­tech­ni­ciens, d’autres sta­tions sont inti­me­ment liées à l’École. Sur la ligne 7, on trouve notam­ment la sta­tion Place Monge, en réfé­rence directe à Gas­pard Monge, l’un des fon­da­teurs de l’École et père du pro­blème de trans­port opti­mal aujourd’hui connu comme le pro­blème de Monge-Kantorovitch.

Éga­le­ment sur la ligne 7, on retrouve la sta­tion Pierre et Marie Curie, nom­mée d’après le célèbre couple de scien­ti­fiques. Pierre Curie a été briè­ve­ment répé­ti­teur de phy­sique à l’X.

Une sta­tion de la ligne 13 est nom­mée Bro­chant, pour André Bro­chant de Vil­liers, géo­logue et miné­ra­lo­giste, entré à l’École des ponts l’année pré­cé­dant la créa­tion de l’X, en 1793. Il prend ensuite des cours à Poly­tech­nique, mais semble officielle­ment ins­crit à l’École des mines (éga­le­ment créée en 1794) et suit en tout cas les enseigne­ments de Monge.

Enfin, les pro­mo­tions plus ou moins récentes connaissent bien la sta­tion Lozère du RER B, répu­tée pour ses marches abruptes, qui porte en sous-titre « École poly­tech­nique ». 

Commentaire

Ajouter un commentaire

BRACHONrépondre
13 mars 2024 à 18 h 45 min

Il manque à cette liste, sur la ligne 8, la sta­tion Michel Bizot qui porte le nom du géné­ral du génie Bizot, Michel Brice (X 1811 ; 1795–1855) qui fut direc­teur de l’École poly­tech­nique et par­ti­ci­pa au siège de Sébas­to­pol où il fut tué.
À pro­pos de la ligne B, qui des­sert la gare de Lozère, il convient de citer Arnoux, Jean Claude Répu­bli­cain (X 1811 ; 1792–1866) à l’o­ri­gine d’une lignée poly­tech­ni­cienne (ses 3 fils et ses 2 gendres !). Fon­da­teur de la ligne de che­min de fer Paris-Sceaux en 1845, Arnoux avait pro­po­sé une solu­tion tech­nique per­met­tant d’améliorer la vitesse des trains en courbe (Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_de_Sceaux)

Répondre