L’Attaque de Malakoff par William Simpson (1855). E. Morin, lithographe, Day & Son, lithrs. to the Queen, Paul & Dominic Colnaghi & Co. Bibliothèque du Congrès des États-Unis.

Deux destins d’X artilleurs tombés sous le second empire

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°791 Janvier 2024
Par Jacques-André LESNARD

En musar­dant dans les quar­tiers de Paris et dans les livres d’histoire, on ren­contre des des­tins de poly­tech­ni­ciens qui illus­trent ce que pou­vaient vivre nos cama­rades d’alors, oubliés ou presque, mais dans les­quels nous pou­vons retrou­ver quelque chose de l’air qu’ils res­pi­raient. Voi­ci deux exemples : le géné­ral Clé­ment Vern­het de Lau­mière (X1828) et le lieu­te­nant-colo­nel Louis Fer­di­nand Prud’homme de la Bous­si­nière (X1832), dont les des­tins se sont croi­sés en Crimée.

Lorsqu’on se rend par le métro­po­li­tain à la Grande Halle de la Vil­lette, sans être de l’arrondissement (XIXe) ni usa­ger de la ligne 5, on se demande à quoi ou à qui ren­voie le patro­nyme Lau­mière attri­bué à une sta­tion proche : une ave­nue de belles dimen­sions voi­sine explique ce choix du nom pour ladite sta­tion, mise en ser­vice pen­dant l’occupation, en octobre 1942. Lors de la fin des tra­vaux d’un impor­tant lotis­se­ment en 1867, on avait don­né à l’axe prin­ci­pal le nom d’un mili­taire dis­pa­ru peu aupa­ra­vant, le géné­ral Clé­ment Vern­het de Laumière.

Un polytechnicien précoce

Xavier, Jean, Marie, Hen­ry, Clé­ment Vern­het de Lau­mière, d’une fra­trie de trois, naît le 28 octobre 1812 à Roque­fort-sur-Soul­zon, en Avey­ron (la com­mune déten­trice du mono­pole du fro­mage de bre­bis depuis Charles VII au xve siècle) dont le maire nom­mé, pro­prié­taire fon­cier, était alors son père. Il se révé­la un brillant élé­ment dès son entrée au col­lège de Sorèze dans le Tarn, une ins­ti­tu­tion édu­ca­tive trans­for­mée en école mili­taire en mars 1776, comme Brienne, La Flèche, Ven­dôme et six autres.

Elle avait four­ni plu­sieurs géné­raux à l’Empire, puis dans les deux siècles sui­vants maints hommes illustres dont le buste orne une salle de cet ancien couvent d’origine caro­lin­gienne, deve­nu musée fin xxe. Notre col­lé­gien réus­sit le concours et intègre l’École poly­tech­nique le 4 octobre 1828, soit juste avant ses… seize ans ! Comme qua­rante-six de ses condis­ciples, il opte à la sor­tie pour l’arme de l’artillerie, en 6e rang, suit l’école d’application de Metz en 1830–1831, passe lieu­te­nant en second en 1832, puis en pre­mier l’année sui­vante, et devient capi­taine le 14 février 1838.

Le buste du général Vernhet de Laumière dans la salle des Illustres de l’école de Sorèze.
Le buste du géné­ral Vern­het de Lau­mière dans la salle des Illustres de l’école de Sorèze.

En Algérie

Il rejoint l’armée d’Afrique en Algé­rie en 1840. L’année sui­vante, le 1er juin, sa conduite exem­plaire lors d’opérations à Mas­ca­ra et Tlem­cen puis à l’oued Tayeb, avec son che­val tué sous lui, lui vaut la Légion d’honneur le 29 mars 1842, avant ses trente ans. Son action lors de l’échauffourée d’Akbedk-Kredda le 4 juin 1844 entraîne une cita­tion à l’ordre de l’Armée. Il rentre en métro­pole com­man­der une bat­te­rie du 9e R.A. (régi­ment d’artillerie). En 1851, après douze ans de grade, il devient offi­cier supé­rieur, pro­mu chef d’escadron et affec­té au 6e R.A. En 1852, il devient chef d’état-major de l’artillerie de la divi­sion d’occupation fran­çaise à Rome. À la fin de son séjour de deux ans, le pape (Pie IX) lui confère le grade de com­man­deur dans l’ordre de Saint Gré­goire le Grand.

La Crimée

Il se voit alors confier la res­pon­sa­bi­li­té d’amener en Cri­mée plu­sieurs uni­tés d’artillerie. Pro­mu lieu­te­nant-colo­nel le 24 mai 1855, il devient le chef des attaques d’artillerie à Mala­koff et devient très vite colo­nel plein le 22 mars 1856, après dix mois de grade seule­ment. Au retour de Cri­mée, il prend le com­man­de­ment du 47e régi­ment d’artillerie à che­val, puis devient res­pon­sable de la réserve géné­rale de l’artillerie pen­dant la guerre d’Italie, en 1859. Le 15 juillet, il est pro­mu offi­cier de la Légion d’honneur. Il rentre en France pour com­man­der le régi­ment d’artillerie à che­val de la Garde, l’unité alors la plus pres­ti­gieuse de son arme. Il reçoit les étoiles de géné­ral de bri­gade le 12 août 1862, à cin­quante ans, mais il ne renonce pas pour autant à sa nomi­na­tion inter­ve­nue peu avant pour com­man­der l’artillerie du corps expédition­naire fran­çais au Mexique.

Fatal Mexique

Lors du siège vic­to­rieux de Pue­bla qui bar­rait la route de Mexi­co, du 16 mars au 17 mai 1863, l’attaque du fort San Javier avait été ordon­née par le futur (dès le 2 juillet) maré­chal Fran­çois Bazaine (fils et frère de poly­tech­ni­ciens, il échoue au concours de 1830 et s’engage… comme simple sol­dat). Obser­vant aux avant-postes les feux de l’artillerie fran­çaise qu’il dirige, le géné­ral Vern­het de Lau­mière reçoit une balle à la tête le matin du 29 mars 1863, qui fauche ain­si à cin­quante ans une étoile mon­tante au sein de l’armée du Second Empire.

Il semble pou­voir s’en remettre, selon le corps médi­cal qui envoie en France des mes­sages ras­su­rants, mais le délire le prend et il décède fina­le­ment le 6 avril. Ses frères d’armes firent éri­ger sur place un mau­so­lée en 1872. Céli­ba­taire sans pos­té­ri­té, il a été regret­té pour ses qua­li­tés : l’ordre du jour du com­man­dant en chef Forey évoque « son intel­li­gence supé­rieure, une volon­té éner­gique et une ama­bi­li­té de carac­tère », le ren­dant apte au (haut) commandement.

Un autre brillant artilleur polytechnicien

Sans vou­loir évo­quer les nom­breux épi­sodes de la guerre de Cri­mée, j’ai tout de même rele­vé lors de l’assaut du 18 juin 1855, pre­mière ten­ta­tive de prise de la redoute de Mala­koff qui com­man­dait la défense du port de Sébas­to­pol, le décès de Louis Fer­di­nand Prud’homme de la Bous­si­nière, lieu­te­nant-colo­nel de qua­rante ans. Né le 24 sep­tembre 1814 à Brains-sur-Gée dans la Sarthe, d’une famille ano­blie au xviie siècle, il était le fils d’un élève de la pre­mière pro­mo­tion de la future École poly­tech­nique, en 1794.

À son tour il entre à l’X dès 1832, à dix-huit ans. Il opte pour l’artillerie et sort major de l’école d’application de l’arme à Metz ; il par­court les grades de lieu­te­nant au 8e R.A., puis passe capi­taine en 1841 au 4e R.A. Après quelques mois en Algé­rie en 1842 et un stage à la fon­de­rie de Tou­louse, il est affec­té à la MAC (Manu­fac­ture d’armes de Châ­tel­le­rault) entre 1843 et 1845, où le direc­teur de l’artillerie men­tionne qu’il est « un esprit ingé­nieux et inven­tif autant que pra­tique », d’où… sur sa demande un nou­veau séjour de quatre ans en Algé­rie. Il est fait che­va­lier de la Légion d’honneur en novembre 1846. Le maré­chal Bugeaud note­ra sur son dos­sier : « Offi­cier de grand ave­nir. » Repé­ré par plu­sieurs géné­raux, il devient chef d’escadron dès 1851, année de son mariage, et sert dans leurs états-majors avec distinction.

Lieutenant-colonel Louis Ferdinand Prud’homme de la Boussinière (X1832).
Lieu­te­nant-colo­nel Louis Fer­di­nand Prud’homme de la Bous­si­nière (X1832).

Fatale Crimée

Volon­taire pour la Cri­mée à la tête d’une bat­te­rie à che­val, il se dis­tingue lors de la bataille de l’Alma en s’emparant de la calèche du prince Men­chi­kov… qui conte­nait des docu­ments inté­res­sants voire secrets sur les inten­tions russes. Il dirige au feu 25 pièces lors de la bataille d’Inkerman, ce qui lui vaut une pro­mo­tion excep­tion­nelle au grade de lieu­te­nant-colo­nel le 29 novembre 1854, puis la rosette d’officier de la Légion d’honneur le 19 mars 1855. Tou­te­fois sa vie est fau­chée, pas encore qua­dra­gé­naire, lors de la pre­mière et désas­treuse bataille de Mala­koff, le 18 juin 1855 – date d’assaut choi­sie poli­ti­que­ment avec les Bri­tan­niques pour ten­ter de sur­mon­ter celle de Water­loo par une vic­toire com­mune. Il diri­geait le tir de deux bat­te­ries d’artillerie, hors de la tran­chée, et eut la tête arra­chée par un bou­let, vic­time de sa témé­ri­té pro­ver­biale… en contra­dic­tion avec son patro­nyme. C’est son ancien, Vern­het de Lau­mière, qui est dési­gné aus­si­tôt sur le champ de bataille pour le rem­pla­cer et qui rece­vra un éclat d’obus au visage (non fatal) le même jour.

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