Une histoire en phase avec le présent

Dossier : Le Bicentenaire des MinesMagazine N°661 Janvier 2011Par : Compte rendu de la table ronde «Enseignements de l’histoire»

Compte rendu de la table ronde “Enseignements de l’histoire”

Pro­pos résumés par la Rédaction

L’his­toire du corps des Mines comme celle des Télé­com­mu­ni­ca­tions est riche d’en­seigne­ments dans une France soucieuse de pro­téger son cadre de vie et de rester un des acteurs du pro­grès économique et social. Charles Coque­bert pro­po­sait en 1794 de créer un corps d’ingénieurs au ser­vice de l’É­tat, afin de mobilis­er les sci­ences au ser­vice du bien pub­lic et de dif­fuser le savoir. Des mis­sions d’ac­tu­al­ité pour le nou­veau corps des Mines.


REPÈRES

La table ronde a réu­ni Bruno Bel­hoste, pro­fesseur des uni­ver­sités (Paris-Sor­bonne), Pierre Cou­vein­hes (70), mem­bre du Con­seil général de l’in­dus­trie, de l’én­ergie et des tech­nolo­gies, rédac­teur en chef des Annales des Mines, Jérôme Goell­ner (79), chef du ser­vice des risques tech­nologiques à la direc­tion générale de la préven­tion des risques, MEDDTL, Pas­cal Griset, pro­fesseur des uni­ver­sités (Paris-Sor­bonne), Geneviève Mas­sard-Guil­baud, direc­trice d’é­tudes à l’E­HESS, prési­dente de l’Eu­ro­pean Soci­ety for Envi­ron­men­tal His­to­ry, Philippe Picard (60), prési­dent de l’AHTI (Asso­ci­a­tion pour l’his­toire des télé­com­mu­ni­ca­tions et de l’informatique).


Environnement et industrie

Les débats autour de la préven­tion des risques qui ont eu lieu depuis deux cents ans restent d’actualité

Geneviève Mas­sard-Guil­baud rap­pelle qu’en 1810 un décret de loi a organ­isé l’in­spec­tion des étab­lisse­ments classés (les instal­la­tions indus­trielles pro­duisant des nui­sances — surtout des odeurs — devront être classées et obtenir un agré­ment). Très vite, le corps des Mines va s’im­pos­er pour men­er les enquêtes néces­saires. Chaque entre­prise sol­lic­i­tant une exper­tise reçoit la vis­ite d’un ingénieur des Mines et, à par­tir de 1848, d’une Com­mis­sion envoyée par le Con­seil de salubrité, qui rédi­gent des rap­ports sur les entre­pris­es et leurs activités.

Dans leurs rap­ports, les ingénieurs man­i­fes­tent à la fois de la sym­pa­thie pour les entre­pris­es exam­inées et une très grande com­pé­tence tech­nique. Leurs con­clu­sions sont en général opti­mistes quant à la capac­ité de la tech­nique à sur­mon­ter les prob­lèmes con­statés : d’où des retards dans la maîtrise des pollutions.

Supprimer les pollutions

Assainisse­ment
Les Annales des Mines ont large­ment con­tribué à faire con­naître les procédés de dépol­lu­tion. C’est ce qui a amené en 1862 le min­istre des Travaux publics à con­fi­er à Charles de Freycinet (1846) la mis­sion d’in­ven­to­ri­er les tech­niques de préven­tion des risques indus­triels et d’amélio­ra­tion de la pro­tec­tion des tra­vailleurs, en par­ti­c­uli­er en Angleterre, en Bel­gique et en Alle­magne. Au terme de cette mis­sion, il a pub­lié en 1869 un Traité d’as­sainisse­ment indus­triel.

Plutôt que d’éloign­er les activ­ités pro­duisant des rejets pol­lu­ants des pop­u­la­tions, les ingénieurs ont préféré sup­primer ces rejets. C’est ain­si qu’au milieu du XIXe siè­cle on a pu maîtris­er les rejets d’acide chlorhy­drique dans la fab­ri­ca­tion de la soude.

Mais si le décret de 1810 est sou­vent con­sid­éré comme le pre­mier décret envi­ron­nemen­tal, il ne faut pas oubli­er qu’il avait comme voca­tion ini­tiale de régler les con­flits entre indus­triels — surtout chimistes — et pro­prié­taires fonciers et immobiliers.

Des débats toujours actuels

Pour Jérôme Goell­ner, les débats autour de la préven­tion des risques et de l’en­vi­ron­nement qui ont eu lieu depuis deux cents ans restent d’ac­tu­al­ité : quel doit être le rôle régu­la­teur des pou­voirs publics pour pro­téger les tiers tout en don­nant à l’in­dus­trie le cadre sta­ble et homogène dont elle a besoin ? Ingénieurs et pub­lic ont sou­vent des vues divergentes.

Pour les réc­on­cili­er, trois voies sont à suiv­re : faire la syn­thèse entre l’ex­per­tise tech­nique et les préoc­cu­pa­tions de la société (ce qui amène à organ­is­er de bonne manière le tra­vail de péd­a­gogie et d’ap­pro­pri­a­tion) ; assur­er impéra­tive­ment l’indépen­dance entre exploitants et régu­la­teurs ; faire preuve d’hu­mil­ité, car bien des morts auraient pu être évitées par une approche plus pré­cau­tion­neuse des risques émergents.

Le poids des structures
En rap­pelant l’his­toire du corps des Télé­com­mu­ni­ca­tions, Philippe Picard a mon­tré l’im­por­tance des options poli­tiques. Le rat­tache­ment de ces activ­ités aux PTT a con­duit à un sous-développe­ment préju­di­cia­ble à l’ensem­ble de l’é­conomie. Mais les ingénieurs des Télé­coms se sont mobil­isés pour sor­tir de cette sit­u­a­tion, et les réformes struc­turelles, qui ont per­mis de leur don­ner une grande autonomie d’ac­tion, ont per­mis à la France, non seule­ment de combler son retard, mais d’être en pointe dans de nom­breux domaines. Mais la dérégu­la­tion crée un con­texte nou­veau qui remet en ques­tion le rôle du corps tel qu’il se con­ce­vait vingt ans plus tôt : d’où la fusion avec le corps des Mines.

Éclairer l’avenir

Pas­cal Griset fait observ­er qu’en matière d’in­no­va­tion la durée est essen­tielle. Il faut égale­ment tenir compte de ces réal­ités que sont les réseaux, les indus­triels, les marchés, les hommes. “Qui con­trôle les réseaux con­trôle les ter­ri­toires ” (Saint-Simon).

Tir­er les leçons de l’his­toire quand tout va très vite implique de s’éloign­er du court terme et de raison­ner plus ter­ri­toires, régions, Europe, et de con­sid­ér­er la dimen­sion stratégique des déci­sions. Il faut aus­si intéress­er les par­ties prenantes — pro­duc­teurs, mais aus­si con­som­ma­teurs et citoyens — en dévelop­pant l’en­seigne­ment, la com­mu­ni­ca­tion et en créant des espaces de réflex­ion. P. Griset s’in­quiète de la dis­pari­tion de l’his­toire en ter­mi­nale scientifique.

Excellence et service du bien commun

Traits com­muns
Si les deux corps récem­ment fusion­nés ont des his­toires dif­férentes, de nom­breux traits rap­prochent leurs mem­bres. Tout d’abord ce sont des ingénieurs, au sens large du terme, qu’ils soient savants, chimistes, écon­o­mistes ou hommes d’ac­tion. Les corps ont non seule­ment su s’adapter au change­ment, mais en être les moteurs. Enfin, ces ingénieurs se sont mon­trés sou­vent plus doués pour faire et démon­tr­er que pour convaincre.

Bruno Bel­hoste con­state que les corps con­stituent une réal­ité unique au monde, mais dif­fi­cile à définir. Des ingénieurs des Mines savants et sans mines, c’est rare ! Au cours des années, les évo­lu­tions ont été con­sid­érables, avec des oscil­la­tions entre col­ber­tisme et libéralisme.

L’ingénieur des Mines est d’abord au ser­vice de l’É­tat, mis­sion qui peut amen­er des ten­sions avec le souci de servir l’idéal des Lumières et le sens de la respon­s­abil­ité sociale. Il priv­ilégie une approche péd­a­gogique des prob­lèmes, approche qui est com­pat­i­ble avec le libéral­isme. Son pou­voir et son influ­ence restent élevés : esprit de corps, souci de l’ex­cel­lence, sens de l’É­tat, poli­tique fondée sur la rai­son y con­tribuent largement.

Un avenir dans la continuité

Les corps con­stituent une réal­ité unique au monde

En 1794, Charles Coque­bert, alors rédac­teur en chef du Jour­nal des Mines, a écrit sur le corps des ingénieurs des Mines des pro­pos que Pierre Cou­vein­hes reprend à son compte : sa mis­sion est de servir l’É­tat en mobil­isant la sci­ence au prof­it du bien pub­lic et en dif­fu­sant le savoir.

L’É­tat a besoin d’ingénieurs car le marché ne règle pas tout et la sous-trai­tance ne répond pas à tous les besoins. Dans un monde où la sci­ence et la tech­nique sont vues comme des men­aces, la dif­fu­sion des savoirs est un impératif. Et, dans un con­texte d’in­for­ma­tion surabon­dante, il faut tri­er pour éclair­er les décideurs.

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