Le Général Faidherbe

Le Général Faidherbe (X1838) : soldat, administrateur et politique

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°776 Juin 2022
Par Jacques-André LESNARD

La France de la fin du XIXe siè­cle doit au général Faid­herbe la solid­ité de son implan­ta­tion en Afrique de l’Ouest. Notre cama­rade avait servi le Sec­ond Empire avec effi­cac­ité lors d’une car­rière entière­ment africaine qui à ce niveau était rare à l’époque, mais il était avant tout un répub­li­cain con­va­in­cu et se mua en poli­tique lors de l’avènement de la IIIe République.

Louis Léon César Faid­herbe est né à Lille le 3 juin 1818, d’extraction mod­este mais répub­li­caine – son père, bon­neti­er, a été un sol­dat de l’an II. Bour­si­er, Faid­herbe intè­gre Poly­tech­nique (pro­mo­tion 1838), puis suit l’école d’application de Méz­ières comme offici­er dans l’arme du Génie. Il sert aus­sitôt en Algérie pen­dant cinq ans de « cam­pagne mil­i­taire » entre 1842 et 1847, à l’époque de Bugeaud, cam­pagne suiv­ie d’un séjour de deux ans (1848–1849) en Guade­loupe, où il con­tribue à l’abolition de l’esclavage, avant de retourn­er pour un deux­ième temps algérien de trois ans. Fort appré­cié par ses chefs en rai­son de ses com­pé­tences et de son énergie, il reçoit la Légion d’honneur en 1852. Il est envoyé au Séné­gal en août de la même année pour y diriger le Génie… et les Ponts et Chaussées, avec Émile Pinet-Laprade (X1841), cap­i­taine du Génie aus­si. Cette tra­jec­toire hors de métro­pole alors rare, qui lui a per­mis d’approcher la cul­ture islamique, lui vaut d’être pro­mu, après la prise en mars 1854 puis la recon­struc­tion du fort de Podor, offici­er supérieur, à 36 ans…

Gouverneur du Sénégal à 36 ans

Quelques mois après, il est désigné comme gou­verneur du Séné­gal, le 1er novem­bre 1854, pour un « septen­nat ». Il y sera pro­mu colonel plein fin 1858, le plus jeune de sa généra­tion. Après une inter­rup­tion en métro­pole pour restau­r­er sa san­té, pro­mu com­man­deur de la Légion d’hon­neur, il rem­place à Saint-Louis en juil­let 1863 son suc­cesseur, le futur ami­ral Jau­réguiber­ry, pour un nou­veau séjour de deux ans. Son suc­cesseur sera alors Pinet-Laprade, fidèle appli­ca­teur de ses méth­odes, qui mour­ra du choléra en 1869 à Saint-Louis. Il cherche à éten­dre le ter­ri­toire sous con­trôle français, alors lim­ité à la région de Saint-Louis, à l’embouchure du fleuve Séné­gal et à l’île de Gorée qui ver­rouille la baie pro­tégée de la presqu’île du Cap-Vert. Il repousse les Toucouleurs d’El-Hadj Omar vers l’est et prend Médine (16 novem­bre 1857), loin en amont sur le fleuve Séné­gal. Il annexe la total­ité de l’aire Ouolof, repousse les Mau­res au nord avant de con­trôler les Sérères plus au sud (bataille de Logandème le 18 mai 1859). Il ouvre donc large­ment l’Ouest africain sub­sa­harien à la con­quête française, exposant le pre­mier l’idée d’un futur chemin de fer Séné­gal-Niger. Faute de troupes mét­ro­pol­i­taines suff­isantes, pour accroître ses forces il obtient la créa­tion des tirailleurs séné­galais par un décret du 21 juil­let 1857, signé par Napoléon III alors en cure à Plom­bières, qui fonde ain­si les troupes coloniales. 

Soldat, mais administrateur avisé

Au-delà du con­quérant qui promeut énergique­ment les intérêts français les armes à la main, il se révèle un admin­is­tra­teur avisé, qui améliore l’administration locale. Il crée des cer­cles de prox­im­ité, tri­bunaux locaux con­fiés aux autochtones, en con­trepar­tie d’écoles et d’internats pour for­mer à l’occidentale et retenir comme « otages » les fils et neveux des chefs indigènes, lesquels seront un vivi­er d’interprètes (à l’imitation de la méthode anglaise). Il s’intéresse à la géo­gra­phie du ter­ri­toire par divers­es pub­li­ca­tions et, véri­ta­ble ethno­graphe, aux langues ver­nac­u­laires dont il apprend plus que des rudi­ments : il pub­liera un annu­aire, petit dic­tio­n­naire en fait com­por­tant la tra­duc­tion du français en ouolof, sérère et soninké de plus de mille cinq cents mots. Sur le plan économique, il favorise la cul­ture expor­ta­trice de l’arachide, voire de l’indigo, fût-ce au détri­ment des cul­tures vivrières. Nom­mé, pour ordre, général à 45 ans, com­man­dant la sub­di­vi­sion de Sidi Bel-Abbès au print­emps 1863, il retourne à l’été au Séné­gal, parvient alors à paci­fi­er le Cay­or et donc à per­me­t­tre de reli­er Saint-Louis à Dakar (le chemin de fer pro­jeté sera achevé en 1880). Il implante la cul­ture de coton en rai­son de la pénurie induite par la guerre de Séces­sion out­re-Atlan­tique, mais elle ne prospér­era toute­fois pas… au-delà de 50 tonnes par an. L’île de Saint-Louis devient sous son gou­verne­ment une vraie ville mod­erne, reliée par un pont, recon­stru­it en fer et tour­nant en 1897, qui pren­dra son nom. Le Séné­gal con­stituera la base arrière de toute la con­quête de l’A‑OF dans le dernier quart du XIXe siècle.

Une belle guerre de 1870 

Com­man­dant de la sub­di­vi­sion de Bône (à nou­veau l’Algérie), il est en con­gé à Lille lors de la déc­la­ra­tion de guerre en 1870. Léon Gam­bet­ta lui con­fie le 23 novem­bre avec l’étoile sup­plé­men­taire de général de divi­sion le com­man­de­ment de l’armée du Nord, en suc­ces­sion de Bour­ba­ki. Il mène des batailles à Villers-Bre­ton­neux dès le 27 pour ten­ter de repren­dre Amiens, puis à l’Hallue et Bapaume le 3 jan­vi­er 1871, mais ne peut exploiter son suc­cès, faute de cav­a­lerie. Il subit un coup d’arrêt à Saint-Quentin le 19 : bien qu’encerclé, il parvient jusqu’à l’armistice à sauve­g­arder le ter­ri­toire de l’ancienne région « Nord-Pas-de-Calais » d’une inva­sion prussi­enne, ce qui sera une source de fierté pro­fonde pour les « chtis » et qui explique sa grande pop­u­lar­ité locale jusqu’en 1914. Aux côtés de Chanzy et d’Aurelle de Pal­adines, il est l’un des trois généraux cités sous l’urne de Gam­bet­ta au Pan­théon (avec les deux colonels Den­fert-Rochere­au et Teyssier).

“La République lui octroiera des funérailles nationales.”

Un républicain convaincu

La paix rev­enue, il entame une car­rière poli­tique comme élu répub­li­cain dans la Somme, démis­sionne de l’armée puis choisit le Nord lors des élec­tions du 8 juil­let 1871 (il avait été aus­si élu dans la Somme et le Pas-de-Calais à l’époque où il était pos­si­ble de se présen­ter dans plusieurs cir­con­scrip­tions), mais il démis­sionne dès le 20 août en cri­ti­quant vive­ment l’orientation con­ser­va­trice et pro-monar­chique de la majorité de la Cham­bre. Con­seiller général de Lille-Cen­tre en octo­bre 1871, il est élu séna­teur du Nord en 1879 (après un échec en 1876). Pro­mu grand-croix, il devient le grand chance­li­er de la Légion d’honneur de févri­er 1880 jusqu’à son décès, insti­tu­tion qu’il s’efforcera de mod­erniser, notam­ment les maisons d’éducation qui en dépen­dent. Son goût pour l’ethnographie nord-africaine, mar­qué par des pub­li­ca­tions avant le con­flit de 1870 sur les Libyens et les Numides, l’entraîne à diriger une mis­sion épigraphique en Haute-Égypte en 1872. Il entre à l’Académie des inscrip­tions et belles-let­tres (en 1884) comme mem­bre libre, ter­rain plus adap­té à son état que les joutes par­lemen­taires du fait de sa san­té chance­lante qui le con­traint au fau­teuil roulant. Dernier acte de sa vie poli­tique, Faid­herbe par une let­tre ouverte reten­tis­sante s’opposa au boulangisme : « La Pre­mière République fai­sait fusiller les généraux qui osaient se révolter con­tre le pou­voir civ­il. Elle avait rai­son : aucune indul­gence, aucune pitié n’est pos­si­ble en pareil cas. Où iri­ons-nous si nous toléri­ons de sem­blables écarts ? Il n’y aurait ni armée ni patrie. » La République – qu’il a ain­si servie avec con­stance – lui octroiera des funérailles nationales lors de son décès, le 28 sep­tem­bre 1889.

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