Erik Egnell (57), vivre l’histoire, l’écrire

Dossier : TrajectoiresMagazine N°734 Avril 2018
Par Pierre LASZLO

Il inté­gra l’X très jeune, puis, passé par Sci­ences-Po Paris, fit l’ENA. Après des postes de con­seiller com­mer­cial dans nos ambas­sades, la retraite venue, il devint édi­teur pour pub­li­er entre autres ses réc­its historiques.

Je cit­erai d’abondance cet « usager impéni­tent de la plume puis du clavier », comme il se qual­i­fie, ne se prenant jamais tout à fait au sérieux, pétil­lant d’esprit, épris tant de Stend­hal que de la péri­ode napoléonienne.

LE SECOND PLUS JEUNE DE LA PROMO

Hypotaupe à Jan­son et taupe à Ginette. « À Ginette c’était le bol d’air mati­nal dans le parc et le pain au choco­lat de qua­tre heures dans la cour. Mon prof de français me fit décou­vrir Paludes de Gide (“Moi, j’écris Paludes”) et Les Mar­iés de la tour Eif­fel de Cocteau (“Puisque ces mys­tères nous dépassent, feignons de les organiser”). »

Inté­gré en 3/2, le sec­ond plus jeune de la pro­mo­tion, « entré à l’X grâce au français, à l’épreuve de résumé de texte (et aus­si à la chimie, ayant eu la chance de tomber sur un sujet que je savais par cœur) ».

Dessin : Lau­rent SIMON

« Sous-lieu­tenant, j’ai fait, à l’été 60, six mois sur un piton à quelque 10 km au sud de Djid­jel­li, en Petite Kabylie. Il y avait là une des plus belles plages de sable que j’aie jamais vues. Quand j’y descendais avec ma sec­tion, je dis­po­sais des fusils-mitrailleurs aux qua­tre coins et tout le reste de la troupe se met­tait à l’eau. J’étais artilleur, nous avions un canon (ou plusieurs, je ne sais plus) sur le piton, je suis par­ti une fois avec la Légion en DLO (Détache­ment léger d’observation), ils avaient si peur que l’obus leur tombât dessus qu’ils ne m’ont pas demandé un seul tir, de toute façon nous n’avons pas ren­con­tré un fel­lagha, je me rap­pelle sim­ple­ment une longue prom­e­nade sous les chê­nes­lièges jusqu’à l’oued Djen Djen dans une pro­fonde vallée. »

À L’ENA PAR LES ASSURANCES

« Admis au corps de con­trôle des assur­ances, qui n’avait reçu per­son­ne de l’X depuis des années, comme il n’y avait pas d’école d’appli et qu’on n’allait pas en créer une pour moi seul, je fus inscrit à Sci­ences-Po et j’y pré­parai l’ENA.

Mon caissier, Patrick Peu­geot, m’avait fait décou­vrir ce “petit corps”, où j’aurais la pos­si­bil­ité de pré­par­er l’ENA, où je ne pou­vais entr­er par le classe­ment, car, selon les règles de l’époque, il fal­lait être dans le pre­mier tiers : or nous étions 300 et je suis sor­ti 103e.

Début 62, après mon entrée à l’ENA, je suis repar­ti en Algérie pour un an, j’ai été affec­té à Alger (je n’ai mis qu’une fois mon uni­forme pour me présen­ter à Rocher-Noir) à la Caisse d’équipement pour le développe­ment de l’Algérie, qui dis­tribuait les crédits du plan de Constantine.

J’élaborai ain­si pour un siè­cle au moins l’avenir de ce beau pays. Qua­tre mois plus tard, ce furent les accords d’Évian et je ren­trai en métro­pole, rejoignant ma pro­mo­tion de l’ENA, qui avait com­mencé dès jan­vi­er son stage en préfecture. »

UN ÉNARQUE EN PRÉFECTURE

« J’arrivai à Nan­cy, où le préfet Ger­vais, le secré­taire général Paoli­ni et le directeur de cab­i­net Pan­draud me reçurent poli­ment. J’étais leur pre­mier sta­giaire de l’ENA, ils ne savaient pas trop quoi me faire faire, ils m’envoyèrent en représen­ta­tion à quelques céré­monies, où je m’exerçai à faire des discours.

Prov­i­den­tielle­ment survint Fall­ex, un exer­ci­ce de pro­tec­tion civile, la défense du départe­ment con­tre une attaque nucléaire : on me con­fia la respon­s­abil­ité de son organisation.

Pas de chance : mon parte­naire en charge des anciens com­bat­tants mobil­isés pour la cir­con­stance était un vieux mon­sieur, M. Bastien-Thiry. Se pro­duit alors l’attentat du Petit-Cla­mart et ce mon­sieur éploré vient m’apprendre qu’il est le papa et me demande d’être com­préhen­sif s’il se retire dudit exer­ci­ce, qui en pâtit sensiblement.

Je n’en pris pas moins pour sujet de mémoire de stage, Le rôle du préfet dans un con­flit atom­ique : ce n’était guère d’actualité, mal­gré la guerre froide, et, nonob­stant la qual­ité du tra­vail (j’ose le dire car j’ai relu ce fac­tum avec émo­tion il y a quelque temps quand je l’ai retrou­vé dans un car­ton !), je n’eus qu’une note médiocre. »

CAP VERS L’ÉCONOMIE

« Main­tenant, les stages en entre­prise. J’eus le priv­ilège d’en faire deux, car en fin d’école, j’utilisai la pos­si­bil­ité qui était accordée aux élèves de redou­bler pour amélior­er leur classe­ment de sor­tie, ce que je fis, sor­tant l’année suiv­ante à peu près au même rang. Je fis donc deux stages à la Société générale, où mon père avait un bon copain, le pre­mier à Stras­bourg et Cologne (l’allemand est avec l’équitation un des deux enseigne­ments dont je prof­i­tai à l’ENA), le sec­ond à Londres.

À Stras­bourg, où je pas­sai les deux dernières semaines de l’an 62, je ne vis pas une seule fois le soleil (je l’aperçus un dimanche au mont Sainte-Odile) et je me réfu­giai dans les caves, où je décou­vris la salade de cervelas. »

LA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE

À la sor­tie de l’ENA, en 1965, il est affec­té au min­istère de l’Économie. Il est attaché com­mer­cial près l’ambassade de France en URSS en 1967 – « je me suis mis à l’équitation, que j’ai pra­tiquée quelques années, notam­ment à Moscou, au manège cen­tral de l’Armée rouge » – avant de revenir à Paris en 1971.

Il est con­seiller com­mer­cial au Cana­da en 1974, puis chef des ser­vices d’expansion économique en Irak de 1977 à 1980 : au moment du choc pétroli­er et de la révo­lu­tion irani­enne, il est à Bag­dad, Jacques Chirac et Sad­dam Hus­sein voulaient inten­si­fi­er les échanges entre les deux pays. Il est nom­mé en Grande-Bre­tagne en 1980, puis à nou­veau au Cana­da de 1983 à 1987.

À cette date, il revient en France pour diriger le com­merce extérieur de la région Nord- Pas-de-Calais de 1987 à 1992. En sep­tem­bre 1992, il retrou­ve la fonc­tion de chef des ser­vices d’expansion économique, en Autriche : « Vienne est la ville dont je garde le meilleur sou­venir. Tout en se dévelop­pant à la périphérie, elle est restée la cap­i­tale d’empire mul­ti­eth­nique qu’elle était sous François-Joseph, qui régna près de soix­ante-dix ans, comme Louis XIV et Vic­to­ria, et qui, République ou pas, est tou­jours aujourd’hui le vrai chef de l’État, appa­rais­sant partout en effigie, un “culte de la per­son­nal­ité” qui sub­siste et s’est peut-être inten­si­fié cent ans après sa mort (Napoléon n’est pas aus­si présent à Paris).

Vienne a été depuis la fin du Sec­ond Con­flit mon­di­al un pont entre l’Est et l’Ouest. J’ai eu la chance d’y être au moment de la chute du com­mu­nisme, quand on s’y pré­cip­i­tait de l’ex-URSS et des ex-pays satel­lites et que nos entre­pris­es en fai­saient leur base pour don­ner l’assaut à l’ex-camp socialiste. »

Souhai­tant retrou­ver la voie lit­téraire, aban­don­née depuis le lycée, Egnell fon­da en 2006 les Édi­tions Cyra­no – il vit en effet une grande par­tie de l’année près de Bergerac.

Arti­cle d’Erik Egnell dans La Jaune et la Rouge n°600 (décem­bre 2004) : His­toire du Tigre celtique

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