Françpis NICOLAS (67)

François Nicolas (67), le Monde-Musique

Dossier : TrajectoiresMagazine N°706 Juin/Juillet 2015
Par Pierre LASZLO

Qu’est-ce qu’un com­pos­i­teur ? François Nico­las vous con­va­inc que c’est un homme d’ou­ver­ture, aux autres, à l’in­tel­lec­tu­al­ité, à la musique d’au­jour­d’hui, pétri aus­si de l’his­toire de la musique, d’un savoir tech­nique et, surtout, vorace travailleur.

Ne s’être jamais coupé des math­é­ma­tiques, de la lec­ture des grands philosophes, de l’an­i­ma­tion de sémi­naires de recherche, en sci­ences humaines surtout, est le fait mar­quant de ce penseur, d’une richesse humaine évi­dente dès la pre­mière rencontre.

Il se plaît à dire : « La pen­sée doit se dévelop­per à la lumière des maths, à l’om­bre de la philoso­phie. » Enseignant-chercheur, il tra­vaille à l’ENS-Ulm et à l’IRCAM.

Avec un grand-père mater­nel et un père ayant appartenu tous deux au Corps des mines, il avait l’X dans le sang. Ain­si, François Nico­las fit une année sup­plé­men­taire à Louis-le-Grand (cinq-demi) de façon à entr­er à l’X. Cela accom­pli, il leva le pied : point de Corps des mines, pour lui.

Suivre un appel comme musicien

Suiv­re un appel comme musi­cien, plutôt que rester dans la tra­di­tion famil­iale, où « la musique n’é­tait pas une pro­fes­sion, mais une activ­ité en plus, une com­pen­sa­tion, un sup­plé­ment d”âme à l’aride méti­er d’ingénieur. La musique était pour les soirées et les week-ends. »

Déclare alors à ses par­ents, après son entrée à l’X, « main­tenant, les choses sérieuses com­men­cent ». Le Quarti­er latin lui était déjà fam­i­li­er par l’in­ter­nat à Louis-le-Grand, et ses hauts lieux, la librairie Maspéro, le ciné­ma Le Cham­po, et des per­son­nages folk­loriques, comme Mouna Aguigui.

La pré­pa l’avait forte­ment poli­tisé, par la fréquen­ta­tion des khâgneux althussériens. François Nico­las, alors catholique de gauche engagé, étu­dia atten­tive­ment le marx­isme. Il lut aus­si Les Cahiers pour l’analyse, édités par des normaliens.

À l’É­cole, qui se trou­vait encore sur la Mon­tagne Sainte- Geneviève, le dis­cours éli­tiste de Ray­mond Cher­adame, directeur des études depuis 1957, le révol­ta ; Françis Nico­las est fon­cière­ment égal­i­taire (et fraternel).

Militant tendance Mao

Ce qui se traduisit par un mil­i­tan­tisme poli­tique, ten­dance Mao avec Alain Badiou — dont il restera proche. Déjà poli­tisé en Mai 68, François Nico­las par­tic­i­pa avec déter­mi­na­tion et lucid­ité aux prin­ci­pales man­i­fes­ta­tions, ain­si qu’ « aux usines ».

Mai 68 fut pour lui « une sin­gu­lar­ité poli­tique. Liber­té et égal­ité y ont été ren­dues momen­tané­ment indis­cern­ables. » Il tra­vaille du reste à présent à une œuvre — une célébra­tion —, Égal­ité ’68, avec comme pre­mière esquisse une can­tate quadrilingue sur le poème Douze de Blok.

La séduction des mathématiques

Que tira-t-il, pour sa gou­verne, des cours de l’X ? Il avait déjà éprou­vé la séduc­tion des math­é­ma­tiques, par la beauté de leur con­struc­tion intel­lectuelle : coupures de Dedekind, enseignées en hypotaupe par Jacques Siros. Le cours de Lau­rent Schwartz lui con­fir­ma la beauté de leur archi­tec­ture, le grand math­é­mati­cien pen­sait tout haut.

En revanche, ni la physique, ni l’é­conomie, telles que ces matières étaient enseignées, ne lui plurent. Faute de mieux, après Mai 68 et sa sor­tie de l’École en 1970, François Nico­las devint écon­o­miste, par rai­son, à la direc­tion de la prévi­sion du min­istère des Finances.

Du jazz à la composition

À la fin des années 1970, François Nico­las fit du jazz dans de petits ensem­bles (Bob­by Few, Alan Sil­va, François Tusques). La ren­con­tre d’un com­pos­i­teur améri­cain, Robert Carl, en 1981, déci­da de la suite : François Nico­las s’élança vers la com­po­si­tion. Il se don­na d’abord tout un bagage, en audi­teur libre au Con­ser­va­toire de 1981 à 1985, avec, entre autres, le cours de com­po­si­tion de Michel Philip­pot et celui d’orchestration de Mar­ius Constant.

Épousa la musique con­tem­po­raine, y con­tribuant de ses pro­pres com­po­si­tions, une trentaine de numéros d’opus depuis 1986 : « Une œuvre en entraîne une autre. J’ai besoin d’un “énorme chau­dron”, je fais beau­coup de cal­culs préalables. »

Prime pour lui le moment-faveur d’une œuvre : « L’écoute est – doit être – un ravisse­ment, où se mélange la sen­sa­tion (d’être ravi) – avec ses délices et ses angoiss­es – et l’ouverture de pen­sée qu’elle entraîne vers l’aventure qui s’engage. C’est un peu comme l’enthousiasme en poli­tique : à la fois affect et con­vic­tion, assur­ance et promesse. » Sa musique, savante, est raf­finée, déli­cate, somptueuse même.

Un instrument de musique

L’image qu’il se fait de lui ? Un instru­ment de musique : qu’on pense aux instru­ments à vent, un tuyau dans lequel l’air entre, puis ressort. Les trous ser­vent aux doigts à y mod­uler un chant.

Un homme : générique, banal (les pèlerins d’Emmaüs ne recon­nais­sant pas Jésus), glo­rieux dans un incog­ni­to à la Kierkegaard, que facilite son patronyme passe-partout, Nicolas.

Une reven­di­ca­tion bien éloignée de la réal­ité de l’homme, avec son charisme, sa con­stante atten­tion à autrui, et sa joie de penser.


Pour en savoir plus

Le Monde-Musique, tome I, L’Œuvre musi­cale et son écoute, Aedam Musi­cae, 2014.

On y trou­vera, ciselé, comme tout ce qu’il fait, une admirable exégèse d’un texte de saint Paul.

Le disque Infi­nis…, Tri­ton (voir la chronique de Jean Salmona, La Jaune et la Rouge n° 672, févri­er 2012).

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