Portrait de Gérard BERRY (67)

Gérard Berry (67), l’esprit d’enfance

Dossier : TrajectoiresMagazine N°708 Octobre 2015
Par Pierre LASZLO

Une marque d’éminence intel­lec­tuelle serait-elle la pré­ser­va­tion chez l’adulte d’un esprit d’enfance ? C’est ce qui frappe en Gérard Ber­ry, sa démarche pro­cède d’un esprit ludique, du « fai­sons comme si », de jeux de mots et de langue et même, à l’occasion, de la ‘Pata­phy­sique, puisque Gérard Ber­ry est un membre émi­nent, « défor­ma­ti­cien », de son Col­lège, dont firent par­tie, en leur temps, Ray­mond Que­neau ou Boris Vian.

Rigolard et jubilatoire

Il s’inscrit, de toute évi­dence, dans leur lignée : par la for­ma­tion scien­ti­fique, un côté rigo­lard et jubi­la­toire, et la volon­té arrê­tée d’user du par­ler de tous les jours, y com­pris dans des expres­sions familières.

“ Dès 1968, il faisait joujou à l’École avec un ordinateur ”

Cepen­dant, Gérard Ber­ry n’est pas (encore) roman­cier, il est d’abord infor­ma­ti­cien et pro­fes­seur dans un autre Col­lège, celui de France. Se vou­lant à la hau­teur de cet éta­blis­se­ment pres­ti­gieux, il pré­pare ses cours scrupuleusement.

Spontanément altruiste

Ses grands-pères étaient un agri­cul­teur et un com­mis­saire de police. Sa mère, une vraie péda­gogue pas­sée par l’École nor­male supé­rieure de Fon­te­nay-aux-Roses, ensei­gna les maths. Son père, véri­table socio­logue, nor­ma­lien lui aus­si (ENS Saint-Cloud), après seule­ment trois jour­nées d’exercice du métier d’enseignant, élut d’être com­mis­saire de police, par appel de l’action sociale ; qu’il trans­mit sur­tout à son fils Michel (63). Gérard, qui tient plu­tôt de sa mère sa voca­tion d’enseignant, reste spon­ta­né­ment altruiste.

Des bosses et des fractures

Son enfance, à Châ­tillon-sous-Bagneux, fut celle d’un gamin doué, dont l’avance en classes de deux ans fit un petit par­mi les grands, d’où de mul­tiples bosses et frac­tures ; qui pas­sait son temps (je résume), d’une part dans les albums de bandes des­si­nées, dont les Tin­tin ; d’autre part à faire jou­jou, expé­ri­men­ta­teur en herbe, avec sa boîte de petit chi­miste rapi­de­ment trans­for­mée en vrai laboratoire.

Michel Ber­ry (63) est son aîné de cinq ans. S’il eut beau­coup d’influence sur son frère, il « n’eut pas le temps de l’étouffer ».

Un séducteur

Égo­cen­trique, conscient de sa valeur et de son ori­gi­na­li­té, spon­ta­né­ment séduc­teur – on se remé­more dans sa famille l’épisode d’un train en Alle­magne dont le jeune Gérard fit à 11 ans l’entière conquête – Gérard Ber­ry est un homme plein d’assurance.

Sa sco­la­ri­té tout entière lui fut facile. À la suite de son frère aîné, il entra à l’X et, tout comme lui, en sor­tit dans le Corps des mines. Dès 1968, il fai­sait jou­jou à l’École avec un ordi­na­teur, un antique SETI PB250.

“ Soyez géniaux ”

Au Corps des mines, il contour­na l’interdiction de faire de la recherche et, à l’incitation de Pierre Laf­fitte (44), s’installa en 1977 dans les labo­ra­toires de Sophia-Anti­po­lis, près d’Antibes. Il put s’y adon­ner à l’informatique et suivre l’injonction de Laf­fitte : « Soyez géniaux. »

Pas­sion­né jusque-là de mon­tagne, il s’y don­na un style de vie cali­for­nien, anti­ci­pant sur la manière d’être des pion­niers de la Sili­con Val­ley, fai­sant de la planche à voile, puis de la voile – avec son bateau col­lec­tif nom­mé Le bar est ouvert.

Le tour­nant de sa car­rière lui vint de l’informatique embar­quée : en 1982, le maga­zine Micro­sys­tèmes lan­çait un concours de voi­tures-robots, dans lequel les auto­ma­ti­ciens de son labo furent seconds. Par une inno­va­tion vision­naire, il pos­tu­la, ce qui à cette époque d’ordinateurs lents était auda­cieux, une sim­pli­fi­ca­tion majeure : faire comme si le temps de cal­cul était infi­ni­ment court.

Il enté­ri­na cet axiome dans le logi­ciel syn­chrone Este­rel. La socié­té Das­sault com­prit le puis­sant inté­rêt de ce logi­ciel dans des ordi­na­teurs de bord, pour le contrôle auto­ma­tique d’avions, comme le Rafale conçu alors (années 1980).

La socié­té Este­rel Tech­no­lo­gies fut créée par la suite en 2000 pour com­mer­cia­li­ser l’environnement Este­rel Stu­dio, et Gérard Ber­ry la rejoi­gnit de 2001 à 2009 comme direc­teur scien­ti­fique. Ses clients furent Das­sault, Tha­lès, mais aus­si Intel, Texas Ins­tru­ments, ST Microe­lec­tro­nics pour une ver­sion d’Esterel dédiée à la concep­tion des cir­cuits élec­tro­niques. On y trouve main­te­nant tous les avion­neurs, entre autres.

L’enfant et l’ordinateur

Gérard Ber­ry, imbu de la force d’une idée simple, cultive le contraste de l’enfant et de l’ordinateur : le pre­mier intel­li­gent, approxi­ma­tif et lent ; le second, d’une exac­ti­tude maniaque, rapide comme l’éclair, mais stu­pide. Il pous­sa très loin cette intui­tion magistrale.

Il est péné­tré de l’importance de l’informatique, 30 % de la R & D mon­diale ; point tou­jours pro­phète, à l’époque, à pré­sent archaïque, d’Altavista, il ne voyait pas l’importance à venir des moteurs de recherche.

Cet homme, médaille d’or du CNRS en 2014, atti­ré par l’Inde, à l’intellect péné­trant et se pro­je­tant vers l’avenir, épris de mots et de bons mots, est pro­fon­dé­ment attachant.

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