Portrait de Alain NICOLAÏDIS (62)

Alain Nicolaïdis (X62), bourlingueur

Dossier : TrajectoiresMagazine N°716 Juin/Juillet 2016
Par Pierre LASZLO

L’his­toire d’A­lain Nico­laï­dis, est celle d’un fran­çais et métèque gré­co-ange­vin-bre­ton, reçu en sept demi parce qu’il pré­fé­rait le fran­çais aux maths, qui n’a jamais réa­li­sé son rêve de des­si­ner des bateaux, et a fini par plon­ger dans l’in­for­ma­tique et est deve­nu grand diri­geant de sociétés.

Un bour­lin­gueur, grand diri­geant de socié­tés : Matra Data­vi­sion (1979−1987), à la tête de la CAO 3D, puis Matra Trans­port (1987−1990), avec l’aventure du métro auto­ma­tique Val, adop­té par Tai­pei, l’aéroport O’Hare de Chi­ca­go et pour la des­serte d’Orly ; Spie Auto­ma­tion et Jeu­mont Schnei­der Auto­ma­tion (1990- 1995), « triste métier qui consiste à mettre beau­coup de monde au chô­mage » ; Spie Bati­gnolles Inter­na­tio­nal, avec l’épopée du tun­nel sous la Manche et le métro de Cara­cas (1995−2000).

Ani­ma­teur d’équipe, homme ouvert, cha­leu­reux, d’expression facile, ses métiers d’une car­rière riche et variée l’ont emme­né sur tous les conti­nents, « je me nour­ris­sais au kérosène ».

Citoyen du monde

« Ma famille pater­nelle est ori­gi­naire de Cas­to­ria (nord de la Grèce, plus slave que médi­ter­ra­néenne). Mon grand-père avait un négoce de four­rures (au XIIIe siècle déjà, Cas­to­ria était un comp­toir véni­tien ache­tant des peaux aux chas­seurs slaves), avec des antennes à New York, Düs­sel­dorf et Paris.

Lorsque mon père a déci­dé de deve­nir chi­rur­gien, il a choi­si la France car il par­lait déjà très bien le fran­çais, tra­di­tion des familles démo­crates (pour les familles roya­listes, c’était l’allemand). Il a épou­sé une Fran­çaise, méde­cin elle aus­si, ce qui m’a valu de naître fran­çais et métèque gréco-angevin-breton.

Je dois énor­mé­ment à ma famille, à mes grands-parents, à mes parents et à la diver­si­té de leurs ori­gines et cultures. Ayant épou­sé une métisse fran­co-viet­na­mienne, vous ima­gi­nez le mélange géné­tique de mes enfants. Mes parents m’ont aimé, mais jamais cou­vé, et, aus­si loin que puisse remon­ter ma mémoire, ils m’ont tou­jours consi­dé­ré comme un adulte. »

Puis, des études d’abord aisées : « De la cin­quième à la pre­mière : lycée Man­gin (aujourd’hui Mohamed‑V) à Mar­ra­kech où mes parents avaient ins­tal­lé leur clinique.

Vie de rêve : ten­nis en face du lycée, ski à une heure et demie, les fastes de l’Orient à la “cour” du Glaoui, le pacha de Mar­ra­kech. » Plus mou­ve­men­tées, ensuite.

Dessiner des bateaux

Math sup et math spé : Hen­ri-IV. Pas très bonne pré­pa (pas plus de quatre ou cinq à l’X sur cin­quante) mais, en fait, pas la bosse des maths et sur­tout une vie très dis­so­lue (une maî­tresse très jet set, incon­tes­ta­ble­ment plus agréable que les livres de maths).

“ Je dois énormément à ma famille, à la diversité de ses origines et cultures ”

Col­lé par­tout en cinq demi (admis­sible seule­ment à l’X, grâce au fran­çais mais petit oral impi­toyable pour ceux qui sont admis­sibles grâce à un 18 dans cette matière). Exi­lé à Cler­mont-Fer­rand au lycée Blaise- Pas­cal. Vie mona­cale, bacho­tage et remar­quables pro­fes­seurs. Résul­tat : admis par­tout, en par­ti­cu­lier à l’X (mal­gré 9,5 et 10,5 aux deux épreuves de maths, notes peu glo­rieuses pour un sept demi, mais grâce à un 18 en phy­sique en plus du 18 habi­tuel en français).

« En fait, j’ai beau­coup ramé pour entrer à l’X car, bien que plu­tôt lit­té­raire, je vou­lais des­si­ner des bateaux, et on m’avait dit que c’était impos­sible sans pas­ser par le Génie mari­time et le préa­lable de la rue Des­cartes. Ce qui était évi­dem­ment faux.

En fait, des­si­ner des bateaux, c’est peut-être la seule chose que je n’ai jamais faite. La Marine n’avait d’yeux que pour l’électronique. Donc, Supé­lec : dure, dure, l’immersion en troi­sième année. »

L’essor de l’informatique

Pas très pas­sion­né par les radars de pour­suite, Alain Nico­laï­dis se donne à Sciences-po un ver­nis éco­no­mique, et pro­pose l’informatisation de la ges­tion des arse­naux : « Une période fabu­leuse : bien que borgne au pays des aveugles, je me suis sen­ti utile comme jamais ; en fait indis­pen­sable au point de refu­ser – le temps d’un week-end seule­ment – un poste d’attaché scien­ti­fique à Washing­ton, qui me per­mit de décou­vrir le fabu­leux essor de l’informatique aux États- Unis. »

“ La voile a sûrement été ma meilleure école pour la direction des hommes ”

Impli­qué dans les négo­cia­tions État-Honey­well, il se retrouve au minis­tère de l’Industrie. Sous-direc­teur à la direc­tion des indus­tries élec­tro­niques et de l’informatique, il y fut res­pon­sable de 1974 à 1979 du Plan cal­cul, « qui fut pour­tant, j’en suis très fier, à l’origine de la puis­sance de l’industrie fran­çaise du logiciel ».

Il créa alors la Socié­té Data­vi­sion, reven­due à Matra, dix-sept mois après sa créa­tion, seize fois la mise : « Jean-Luc Lagar­dère se plai­sait à répé­ter que c’était la seule socié­té ache­tée par Matra qui n’avait jamais eu à appe­ler au secours la mai­son mère. »

Meneur d’hommes

La voile, qu’il a pra­ti­quée au plus haut niveau, lui a déve­lop­pé des qua­li­tés de meneur d’hommes, Alain Nico­laï­dis en est per­sua­dé. En course de haute mer, en par­ti­cu­lier, on apprend à éva­luer les risques, « on a peur, on se demande ce qu’on fait là, on est frus­tré quand on a fait un mau­vais choix tactique.

La voile a sûre­ment été la meilleure école pour le seul métier que, sous diverses formes, j’ai exer­cé avec un cer­tain bon­heur : la direc­tion d’entreprises c’est-à-dire des hommes, d’un équipage. »


Pour en savoir plus

Alain Nicolaïdis, Fiordalisa (2 tomes)

L’amour de la régate lui infli­gea son plus grand échec : mal­gré trois ten­ta­tives, point de sélec­tion pour les jeux Olympiques.

Aujourd’hui, il conti­nue d’être plei­ne­ment heu­reux. Retrai­té, il par­tage sa vie entre l’écriture, d’abord un roman his­to­rique, Fior­da­li­sa, et la croi­sière : après un demi-tour du monde jusqu’en Nou­velle- Calé­do­nie sur un cata­ma­ran de quinze mètres, il conti­nue encore à bourlinguer.

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