Jacques Stern

Jacques Stern (52) personnalité marquante de l’industrie informatique

Dossier : TrajectoiresMagazine N°764 Avril 2021
Par Jacques ARNOULD (54)

Décédé le 26 févri­er 2021, Jacques Stern a pro­fondé­ment mar­qué l’industrie infor­ma­tique française en créant une SSII renom­mée, la SESA, puis en prenant la tête de la société Bull à un moment très dif­fi­cile de son histoire.

Né le 21 mars 1931 à Paris, fils d’un tailleur juif immi­gré de Pologne, Jacques Stern a fait ses études au lycée Chap­tal et sa taupe à Saint-Louis. Après l’X, ce sera Supaéro puis un Mas­ter of Sci­ence à Har­vard en tant qu’ingénieur mil­i­taire. J’ai fait sa con­nais­sance en 1963 au Ser­vice tech­nique des télé­com­mu­ni­ca­tions de l’Air, où il a conçu un pro­jet très inno­vant, le Stri­da (sys­tème de traite­ment et de représen­ta­tion des infor­ma­tions de défense aéri­enne), per­me­t­tant à l’Armée de l’air d’assurer la défense aéri­enne du ter­ri­toire. Ce sys­tème était le pre­mier grand sys­tème infor­ma­tique dévelop­pé en France met­tant en œuvre des cal­cu­la­teurs numériques et des con­soles télévi­suelles spécialisées.

À l’issue du pro­jet et après avoir cher­ché en vain à con­stituer une unité sys­tème au sein de l’Armée de l’air, Jacques a décidé de créer en mai 1964 la société d’étude des sys­tèmes d’automation SESA. Je l’ai rejoint en octobre.

Un fleuron des SSII françaises

SESA restera une société excep­tion­nelle aus­si bien pour ses col­lab­o­ra­teurs que pour ses clients. Se situ­ant volon­taire­ment hors du domaine de la ges­tion et spé­cial­isée dans les pro­jets haute­ment tech­niques, SESA a réal­isé des sys­tèmes emblé­ma­tiques dont beau­coup sont con­nus, comme le péage automa­tique pour le métro et le RER à Paris, ou l’annuaire élec­tron­ique du Mini­tel. Mais sa réal­i­sa­tion la plus emblé­ma­tique reste le réseau pub­lic de trans­mis­sion de don­nées Transpac, l’ancêtre d’Internet. Une offre de 100 mil­lions de francs présen­tée quand le chiffre d’affaires annuel de SESA était de 50 mil­lions. Il a fal­lu toute la capac­ité de per­sua­sion de Jacques, qui était excep­tion­nelle, pour être choisi. Forts de cette référence, SESA a rapi­de­ment pris une posi­tion dom­i­nante dans le monde des réseaux publics en les four­nissant à une dizaine de pays comme l’Australie, la Chine ou le Brésil.

Pour tous les pro­jets Jacques Stern était tou­jours directe­ment con­cerné ; la présen­ta­tion interne des offres, qui lui était faite avant remise aux clients, était une étape red­outée des équipes. Il appor­tait sou­vent un point de vue sin­guli­er ouvrant des pistes restées inex­plorées et con­duisant à des solu­tions inno­vantes. Tous se remet­taient alors au tra­vail dans un esprit con­struc­tif. C’est une des grandes réus­sites de Jacques que d’avoir su créer une entre­prise exem­plaire par l’état d’esprit qui y rég­nait. Tout le monde fonc­tion­nait en con­fi­ance, la lutte interne et le men­songe étaient incon­nus, la col­lab­o­ra­tion la règle. Il a quit­té SESA à regret après l’avoir amenée à plus de 2 000 collaborateurs.

Les années Bull

Jacques Stern a été nom­mé en 1982 à la tête de CII-Hon­ey­well-Bull. Ce fut pour lui une rude tran­si­tion que de pass­er de la barre d’un croiseur léger et agile comme SESA à la passerelle d’un lourd tanker ! Les dif­fi­cultés au cours de son par­cours à la tête de Bull, jusqu’à la fin 1990, furent rudes mais on peut dire que son pas­sage aura redonné au per­son­nel moral et fierté.

Sur le plan per­son­nel Jacques était bien­veil­lant, loy­al, fidèle, intè­gre et respectueux des autres. Une anec­dote qui le car­ac­térise ; de retour d’un voy­age j’ai com­mis le péché véniel de héler un taxi à quelques dizaines de mètres de la file d’attente déjà large­ment pourvue. Après un regard assas­sin de sa part nous avons rejoint la file d’attente.

Janine, son épouse, ses trois fils et sa famille étaient essen­tiels pour lui, mais, pudique, il ne le dévoilait que très rarement. À la retraite il avait tou­jours une activ­ité débor­dante, suiv­ant des cours au col­lège de France, ani­mant la fon­da­tion qu’il avait fondée avec Janine et con­tin­u­ant à militer active­ment en faveur de l’industrie française. 

Per­son­nage attachant il laisse, chez tous ceux qui l’ont bien con­nu, le pro­fond sen­ti­ment d’une perte irremplaçable.

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