Gérard Théry

Gérard Théry (52) acteur clé de la bataille du téléphone

Dossier : TrajectoiresMagazine N°769 Novembre 2021
Par Didier LOMBARD (62)

Gérard Théry nous a quit­tés le 18 juil­let dernier. C’était un homme excep­tion­nel qui a apporté beau­coup au monde des télé­com­mu­ni­ca­tions et à notre pays. Trois épo­ques de sa car­rière en témoignent particulièrement.

Pre­mière péri­ode, la plus impor­tante : le renou­veau des télé­coms en France. En 1974, la France était la risée de tous ses voisins avec un réseau télé­phonique sous dévelop­pé sans ambi­tion. Le sketch de Fer­nand Ray­naud « le 22 à Asnières » est resté le sym­bole de cette péri­ode noire. La moitié des Français attendaient d’être rac­cordés au réseau, l’autre moitié attendait la tonalité.

Six mil­lions de lignes seule­ment, une attente de plus de six mois pour rac­corder une mai­son ou un apparte­ment. Gérard Théry, prof­i­tant de la poli­tique d’expansion décidée par le prési­dent Gis­card d’Estaing, a réus­si à faire pass­er le réseau nation­al à plus de vingt et un mil­lions de lignes en moins de deux ans. Il a réus­si à gal­vanis­er l’énergie et la com­pé­tence des salariés de la direc­tion générale des télé­com­mu­ni­ca­tions. Ceux-ci se mor­fondaient depuis des années dans une DGT sans investisse­ments. Cette péri­ode a été celle d’un nou­veau souf­fle qui a révélé des tal­ents excep­tion­nels. Cette étape franchie, Gérard a intro­duit la com­mu­ta­tion élec­tron­ique dans le réseau pour rem­plac­er les vieux cen­traux élec­tromé­caniques, per­me­t­tant ain­si à l’opérateur de se démar­quer de ses con­cur­rents européens, améri­cains et asi­a­tiques. Le Mini­tel a égale­ment été une mar­que d’innovation excep­tion­nelle, qui aurait cer­taine­ment per­mis de lim­iter la dom­i­na­tion améri­caine sur inter­net ; mal­heureuse­ment ce pro­jet n’a pu béné­fici­er des investisse­ments néces­saires à son expan­sion dans les péri­odes suivantes.

Résister aux lobbys

Deux­ième péri­ode, le rap­port sur les satel­lites de dif­fu­sion de télévi­sion. Peu de temps après la fin des fonc­tions de Gérard Théry comme directeur général des télé­com­mu­ni­ca­tions, le gou­verne­ment, peut-être un peu hon­teux du sort qu’il lui avait réservé, déci­da de lui con­fi­er un rap­port sur la dif­fu­sion de la télévi­sion par satel­lite. Ce fut ma pre­mière occa­sion de tra­vailler en direct avec Gérard. J’ai pu appréci­er sa réac­tiv­ité : il a véri­fié tous les cal­culs des experts, nous avons vis­ité toutes les entre­pris­es con­cernées aux États-Unis et au Japon. Les con­clu­sions du rap­port étaient rad­i­cales : faire un sys­tème de dif­fu­sion par satel­lite à grande puis­sance était stu­pide et voué à l’échec… Gérard avait courageuse­ment résisté aux pres­sions des lob­bys. Cela n’a pas empêché le gou­verne­ment de l’époque de pren­dre la mau­vaise déci­sion et de per­dre 700 mil­lions de francs.

Par la suite Gérard Théry a tra­vail­lé auprès du prési­dent de la Société générale, puis au sein du comité de direc­tion du groupe Renault.

Un passage réussi à l’an 2000

Troisième péri­ode de mis­sion pour l’État : le pas­sage de l’an 2000. Quelques années plus tard, l’exécutif fait appel une nou­velle fois à ses com­pé­tence pour résoudre le dif­fi­cile prob­lème du pas­sage de l’an 2000. Dans de mul­ti­ples appli­ca­tions util­isées dans notre vie quo­ti­di­enne, les logi­ciels n’étaient pas prévus pour pass­er au deux­ième mil­lé­naire sans pannes graves. Atta­quer ce prob­lème de front était irréal­iste ; il aurait fal­lu per­suad­er tous les acteurs de véri­fi­er puis de repro­gram­mer leurs appli­ca­tions. Impos­si­ble de traiter ce sujet de façon régali­enne et direc­tive. Gérard s’est mis au tra­vail pen­dant plusieurs mois et a réus­si à per­suad­er les acteurs de pro­téger notre société. Le grand jour, rien ne s’est pro­duit ? Gérard avait réus­si sans bruit à résoudre une ques­tion impos­si­ble qui est restée incon­nue ; empêch­er sans bruit une cat­a­stro­phe n’est pas gratifiant !

Gérard Théry a égale­ment été à l’origine de la créa­tion de l’option Mines pour les ingénieurs des Télé­coms, pré­fig­u­rant la fusion des deux corps sur­v­enue quelques années après.


Il y a quelques mois, au moment du décès de Valéry Gis­card d’Es­taing, Gérard Théry nous livrait ses sou­venirs dans son arti­cle : La « Bataille du télé­phone » sous le septen­nat de Valéry Gis­card d’Estaing, La Jaune et la Rouge n° 761, jan­vi­er 2021

Commentaire

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Daniel CADErépondre
25 novembre 2021 à 11 h 14 min

J’a­jouterai un com­men­taire per­son­nel sur la pas­sion de Gérard pour la musique, en par­ti­c­uli­er pour Schu­bert et Wag­n­er. Il a créé la Fon­da­tion France Tele­com à la fin des années 70 pour soutenir entre autres l’Opera. Il m’avait chargé en 1981 d’au­diter l’IR­CAM dont Pierre Boulez voulait éval­uer le poten­tiel d’ap­pli­ca­tions indus­trielles. Il a aus­si jusqu’à la fin de sa vie pra­tiqué le piano et organ­isé des con­certs chez lui sur son Stein­way. J’ai ain­si été invité plusieurs fois à faire des réc­i­tals de musique du XIX° siè­cle dans les dernières années de sa vie. Nous avions alors des dis­cus­sions très nour­ries sur l’art de la tran­scrip­tion, sur les inter­pré­ta­tions des dernières sonates de Schu­bert, et l’ac­tu­al­ité de la vie musi­cale. C’é­tait donc un très grand man­ag­er mais aus­si un homme de grande culture.

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