Portrait Jean LOUCHET (71)

Jean Louchet (71), droit dans ses bottes

Dossier : TrajectoiresMagazine N°733 Mars 2018
Par Pierre LASZLO

Une ascen­dance de réfrac­taires : « Mon grand-père mater­nel s’est instal­lé au Maroc pour fuir l’ambiance délétère d’affrontement idéologique dans l’industrie en France dans les années 1910.

Ma grand-mère mater­nelle, à moitié espag­nole, était la fille d’un tech­ni­cien des chemins de fer français par­ti pour par­ticiper à la con­struc­tion du réseau fer­ré espagnol.

Ma grand-mère pater­nelle était descen­dante de huguenots émi­grés aux Pays- Bas à la suite de la révo­ca­tion de l’édit de Nantes.

Mon père a quit­té la France pour l’Afrique du Nord, par refus du joug nation­al-social­iste et pour par­ticiper à la Libéra­tion avec la 5e armée américaine. »

D’où une indépen­dance d’esprit qui car­ac­térise Jean Louchet.

LE TEMPS DES HUMANITÉS

Sa sco­lar­ité l’empreint, dès l’abord, des let­tres clas­siques : « Le latin et le grec sont indis­pens­ables à l’autonomie intel­lectuelle, à la fac­ulté de raison­ner et créer. »

“ Le latin et le grec sont indispensables à l’autonomie intellectuelle, à la faculté de raisonner et créer ”

À Louis-le-Grand à par­tir de la sec­onde, il trou­ve ses pre­miers enseignants remar­quables, tout par­ti­c­ulière­ment, en maths, Denis Ger­ll et André Warus­fel, Jacques Lecarme en français.

Puis, ayant inté­gré l’École, en maths et physique, Roland Omnès, Lau­rent Schwartz, Bernard Gre­go­ry, Alain Guichard­et : « De grands profs, le pied ! Mais pas seule­ment des enseignants.

Un exem­ple : Émile Canals, qui fut doyen de la fac­ulté de phar­ma­cie de Mont­pel­li­er et le patron de thèse (génie des procédés) de mon père, mais surtout un exem­ple de pas­sion pour la musique, qui n’était guère pra­tiquée dans ma famille. »

LE TEMPS DE LA MUSIQUE

Il se forme donc, pas seule­ment en maths et infor­ma­tique, en musique aus­si : rue Descartes, Patrice Holin­er, pro­fesseur de piano dès 1972, le recrute dans sa chorale.

Dessin : Lau­rent SIMON

Ensuite, de 1976 à 2002, Jean Louchet chante dans l’Ensemble Bach de Paris, que dirige Jus­tus von Web­sky (1932-), qui dis­ait : « Avec un chœur d’amateurs, j’ai la pos­si­bil­ité de pass­er beau­coup plus de temps sur une par­ti­tion, de tra­vailler en pro­fondeur, je peux créer mon pro­pre style.

Avec des pro­fes­sion­nels – je l’ai fait pen­dant des années… – je mets quinze jours à mon­ter une œuvre. Avec les ama­teurs, il me faut six mois. Seule­ment le résul­tat est là. »

Autre cita­tion de Web­sky, Messe en si (1999) Kyrie I : « On ne chante pas de l’opérette, ici, d’accord ! » Jean Louchet est cho­riste à par­tir de 2005 dans l’ensemble les Sor­bonne Schol­ars. À par­tir de 1984, élève de G. Rabol, É. Joyé puis M. L. Bar­ros, il tient le clavecin dans l’Orchestre de Brunoy.

LE TEMPS DE LA RECHERCHE

Par­al­lèle­ment, entré dans le corps de l’Armement à sa sor­tie de l’X, il a des postes suc­ces­sifs de recherche et d’enseignement à l’Ensta, à l’Inria et dans plusieurs uni­ver­sités, en région parisi­enne surtout : syn­thèse d’images, traite­ment d’image numérique, évo­lu­tion artificielle.

On lui doit l’algo­rithme FLY, représen­ta­tion d’images par un ensem­ble évo­lu­tif de points dans l’espace 3D, des « mouch­es ». Cet algo­rithme con­naît mainte util­i­sa­tion, en recon­struc­tion de clichés tomo­graphiques, entre autres.

Il se pas­sionne pour la pho­togra­phie, et se con­stitue toute une col­lec­tion d’appareils pho­tos prénumériques.

CODA

Mais la musique de clavier le happe, il lui donne son ent­hou­si­asme, ses loisirs – autres que ceux du cyclo­tourisme –, et lui ouvre large l’éventail de ses savoirs.

Qu’on en juge : recherch­es sur la con­struc­tion des cor­do­phones ( prin­ci­pale­ment clavecins et pianos-forte) du XVIIe au XIXe siè­cle ; créa­tion d’un reg­istre Web des pianos Pleyel des orig­ines à 1930 ; créa­tion d’un logi­ciel com­mer­cial de cal­cul de plan de cordes (pour le design et la restau­ra­tion des pianos et clavecins), « Strin­gIt » ; écri­t­ure de livres et d’articles sur les principes physiques du cordage des instru­ments à clavier : The Key­board String­ing Guide (2009) ; Le Guide du Cordage des pianos, clavecins, clav­i­cordes (2009).

Faut-il men­tion­ner out­re sa col­lec­tion de tels instru­ments, celle de vieilles Vol­vo ? Bref, Louchet est un homme-orchestre d’une impres­sion­nante richesse d’ intérêts et de com­pé­tences reconnues.

Cette appé­tence, sa joie de vivre, à l’en croire, sont ancrées dans sa foi : un domini­cain joua un grand rôle dans la mise en place de sa haute stature, pas seule­ment intel­lectuelle, morale aussi.

Son blog

Poster un commentaire