Vers un nouveau cycle d’entreprise

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°751 Janvier 2020
Par Antoine FRÉROT (77)

Veo­lia œuvre dans la ges­tion de l’eau, des déchets et de l’énergie. Dans le cadre de la loi PACTE adop­tée par le par­lement en avril dernier, Antoine Frérot (77), Prési­dent Directeur Général de Veo­lia, revient sur la “rai­son d’être” du Groupe, aujourd’hui leader mon­di­al des ser­vices à l’environnement.

Au cours des derniers mois, de grandes entreprises se sont saisies du concept de « raison d’être ». Vous en avez été un promoteur actif. Pourquoi ?

Le monde change et avec lui ce que l’on attend de l’entreprise. En ce début de XXIe siè­cle, on appelle l’entreprise à créer de la valeur sociale, en plus de créer de la valeur économique. Partout, on lui demande de jouer un rôle plus large et plus posi­tif envers les sociétés dans lesquelles elle évolue. Dès lors, il me sem­blait néces­saire de traduire cette évo­lu­tion dans sa gouvernance.

La loi PACTE y a répon­du, en invi­tant l’entre- prise à définir sa rai­son d’être. La for­muler est un moyen pour elle de rebâtir la con­fi­ance avec la société. C’est une néces­sité, car, alors même qu’aucune entre­prise ne saurait prospér­er longtemps dans un cli­mat de défi­ance, elle demeure mécon­nue et mal aimée. Bien qu’étant utile à toutes ses par­ties prenantes, on la croit au ser­vice des seuls action­naires ; bien qu’étant par nature col­lec­tive, on la trou­ve égoïste ; bien qu’étant d’intérêt général, on la pense d’intérêt par­ti­c­uli­er. En cette péri­ode de doute sur l’entreprise, la rai­son d’être vient rap­pel­er fort à pro­pos l’utilité de celle-ci, la portée de son action et la diver­sité des richess­es qu’elle crée, lesquelles ne se can­ton­nent pas au profit.

Veolia a défini sa propre raison d’être. Qu’avez-vous cherché à exprimer par cet exercice ?

Définir la rai­son d’être de notre Groupe, c’est répon­dre à plusieurs ques­tions : en quoi est-il utile ? Qui veut-il servir ? Que se pro­pose-t-il d’être ? C’est l’intérêt de notre Groupe d’expliquer ce qui l’anime et la façon dont il conçoit ses rela­tions avec ses par­ties prenantes car, comme toute entre­prise, il ne peut se dévelop­per har­monieuse­ment que si ses par­ties prenantes y trou­vent un intérêt pro­por­tion­nel à leur con­tri­bu­tion. Plus notre rai­son d’être exprimera que notre Groupe est à leur ser­vice, plus il sera accep­té, et plus il aura de marge de lib­erté pour se développer.

Pré­cis­er la rai­son d’être de notre entre­prise, c’est aus­si une manière de mon­tr­er l’horizon de son ambi­tion. En nous y référant régulière­ment, nous aurons davan­tage de recul pour pren­dre en compte le long terme et dévelop­per un « cap­i­tal­isme patient », qui se donne le temps de porter l’ensemble de ses fruits. De plus, en pro­posant une final­ité pro­fonde, sus­cep­ti­ble d’emporter l’adhésion de tous, la rai­son d’être ren­force la cohé­sion de l’entre- prise ; elle atténue les ten­sions nées de l’hétérogénéité des objec­tifs de ses par­ties prenantes.

Comment votre raison d’être a‑t-elle été définie ? A‑t-elle véritablement associé toutes les parties prenantes ?

Elle a été définie dans un dia­logue per­ma­nent entre le comité exé­cu­tif, le con­seil d’administration, un comité des par­ties prenantes internes, con­sti­tué de représen­tants du per­son­nel et des syn­di­cats, et un comité des Cri- tical Friends. Créé en 2013, ce dernier comité regroupe des par­ties prenantes externes, issues des mon­des asso­ci­atif, insti­tu­tion­nel et académique, et fait enten­dre leurs voix dans notre entre­prise. En par­al­lèle, les salariés de Veo­lia étaient invités à s’exprimer sur des thèmes relat­ifs à notre rai­son d’être, au sein d’une com­mu­nauté Google +. Au total, 13 ver­sions suc­ces­sives de rai­son d’être ont été rédigées pour tenir compte des avis et sug­ges­tions reçus. Le texte final a été validé par notre con­seil d’administration, puis présen­té à l’assemblée générale des actionnaires.

Veolia est une entreprise à forte intensité de main d’œuvre. Cette démarche n’est-elle pas un peu lointaine pour vos collaborateurs de terrain ? Comment peuvent-ils s’y retrouver ?

Quels que soient leurs niveaux de respon­s­abil­ité, tous les col­lab­o­ra­teurs d’une entre­prise ont besoin de sens et de percevoir que leur action est utile. Il en va de même pour notre Groupe. Nos col­lab­o­ra­teurs ne se mobilisent que parce que celui-ci donne du sens à leur tra­vail et qu’ils parta­gent ses valeurs. C’est l’utilité de notre entre­prise qui nour­rit leur engage­ment. Or exprimer la rai­son d’être de notre Groupe con­siste pré­cisé­ment à dire pourquoi et pour qui il est utile.

Notre rai­son d’être n’a rien de « loin­tain » pour eux, car elle s’inscrit en cohérence avec la mis­sion de notre Groupe et son his­toire. Lorsque notre entre­prise est née, la planète comp­tait moins de 1 mil­liard d’habitants. Aujourd’hui, elle en accueille plus de 7 mil­liards. Les défis d’autrefois se nom­maient préven­tion du choléra, ali­men­ta­tion des villes en eau potable, col­lecte des eaux usées et des déchets. Aujourd’hui, ils s’appellent rareté de l’eau, de l’énergie et des matières pre­mières, traite­ment des pol­lu­tions tox­iques, accès de tous aux ser­vices essen­tiels, tran­si­tion énergé­tique, change­ments cli­ma­tiques… Relever ces défis fait par­tie des tâch­es quo­ti­di­ennes de nos col­lab­o­ra­teurs. Comme notre rai­son d’être y ren­voie directe­ment, ils se retrou­vent aisé­ment dans celle-ci.

Comment allez-vous faire vivre cette raison d’être dans le temps ? Va-t-elle influencer le plan stratégique que vous êtes en train d’élaborer ?

Notre Groupe a adop­té plusieurs mesures pour faire vivre sa rai­son d’être. D’une part, notre Con­seil d’administration la pren­dra en compte dans ses déci­sions et éval­uera sa mise en œuvre. D’autre part, un Comité des par­ties prenantes, con­sti­tué d’experts issus de la société civile et de représen­tants de clients, de four­nisseurs, de salariés et des généra­tions futures, don­nera des avis à la direc­tion de Veo­lia sur le bon accom­plisse­ment de sa rai­son d’être.

Par ailleurs, chaque année, à l’aide d’une bat­terie d’indicateurs, notre Groupe dressera un bilan de sa per­for­mance mul­ti-dimen­sion­nelle, autour de 5 thèmes : économie et finances, envi­ron­nement, ges­tion des ressources humaines, sat­is­fac­tion des clients, éthique et con­for­mité. Ces indi­ca­teurs ont été inté­grés dans le tableau de bord de suivi de notre futur plan stratégique, et asso­ciés à des objec­tifs chiffrés. Ils ren­for­cent de fac­to la cohérence entre rai­son d’être et plan stratégique.

Vous avez, en tant que président de l’Institut de l’entreprise, promu l’avènement de l’entreprise « post-RSE ». En quoi celle-ci consiste-t-elle ? Et a‑t-elle partie liée avec l’entreprise à raison d’être ?

Les poli­tiques de développe­ment durable et les Chartes RSE témoignent de la volon­té des entre­pris­es d’assumer des respon­s­abil­ités crois­santes. Cela étant, la RSE demeure un objec­tif sec­ondaire par rap­port aux objec­tifs financiers. Cette dif­férence de traite­ment est en passe d’être comblée, puisque nous assis- tons à l’émergence d’un nou­veau type d’entreprises, bâties non seule­ment sur l’idée qu’elles doivent créer de la valeur économique, mais égale­ment sur l’intégration des objec­tifs de la RSE à leur rai­son d’être. On pour­rait les qual­i­fi­er d’entreprises « à per­for­mance glob­ale » ou « post-RSE ».

L’expression « post-RSE » ne sig­ni­fie pas que la RSE est délais­sée, mais au con­traire que celle-ci a été érigée au rang des objec­tifs fon­da­men­taux de l’entre- prise. Le mod­èle actuel, celui de l’entreprise action­nar­i­ale, a trou­vé ses lim­ites, car la créa­tion de richesse ne béné­fi­ci­ait qu’à un nom­bre réduit de par­ties prenantes, prin­ci­pale­ment les action­naires. Les cri­tiques qui lui sont adressées revi­en­nent tou­jours à l’utilité de l’entre- prise. Il y a une quar­an­taine d’années, la vision action­nar­i­ale affir­mait que c’est parce qu’une entre­prise est prospère qu’elle est utile. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui est vrai : c’est parce qu’une entre­prise est utile qu’elle est prospère.


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