L’hydrogène vert : un vecteur incontournable de la transition énergétique et de la décarbonation

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Frédéric CLAUX
Par Stephan GOBERT

Alors que nous enten­dons de plus en plus par­ler d’hydrogène vert depuis deux ans, ENGIE s’est intéressé à ce levi­er de la tran­si­tion énergé­tique dès 2018 et pour­suit une stratégie visant à accélér­er son développe­ment et son pas­sage à l’échelle. Frédéric Claux, Man­ag­ing Direc­tor Ther­mal Gen­er­a­tion and Sup­ply pour la zone Afrique, Moyen-Ori­ent & Asie, et Stephan Gob­ert, Chief Strat­e­gy & Inno­va­tion Offi­cer au sein du Groupe ENGIE, nous en dis­ent plus. Rencontre. 

L’hydrogène vert apparaît comme l’un des principaux leviers de la décarbonation. Comment appréhendez-vous cette dimension ? 

La feuille de route mon­di­ale pour décar­bon­er le secteur de l’énergie et attein­dre la neu­tral­ité car­bone en 2050, pub­liée par l’Agence Inter­na­tionale de l’Energie en mai 2021, s’articule notam­ment autour du déploiement mas­sif des éner­gies renou­ve­lables et du développe­ment des gaz décar­bonés, dont l’hydrogène vert. ENGIE a été précurseur sur le sujet en se dotant dès 2018 d’un départe­ment dédié à son développe­ment. En effet, nous sommes con­va­in­cus que l’hydrogène vert, pro­duit par élec­trol­yse de l’eau à par­tir d’une source d’électricité renou­ve­lable, a voca­tion à devenir un vecteur énergé­tique majeur pour ten­dre vers une économie neu­tre en car­bone, en com­plé­ment des éner­gies renou­ve­lables. Un nom­bre crois­sant de pays se dotent d’ailleurs de straté­gies nationales hydrogène et allouent des finance­ments spé­ci­fiques en faveur de la struc­tura­tion de la fil­ière hydrogène et du développe­ment de sa chaîne de valeur. 

L’hydrogène vert, en con­tribuant à la décar­bon­a­tion des usages, per­met de faire le lien entre les piliers stratégiques du groupe ENGIE : les éner­gies renou­ve­lables, les infra­struc­tures et la réduc­tion de l’empreinte car­bone de nos clients. Aujourd’hui, l’hydrogène est util­isé afin de décar­bon­er de nom­breux secteurs dif­fi­ciles à verdir, notam­ment l’industrie lourde (chimie, aci­er, verre) ou la mobil­ité longue dis­tance. Un avan­tage déter­mi­nant de l’hydrogène vert est sa capac­ité à être stocké sous forme gazeuse, ce qui per­met de palier l’intermittence des éner­gies renou­ve­lables, puisqu’il pour­rait alors être util­isé pour pro­duire de l’électricité décar­bonée. On peut égale­ment envis­ager de l’injecter dans le réseau gazier pour le verdir. Au-delà de ces usages, l’hydrogène, s’il est pro­duit locale­ment, favorise non seule­ment le développe­ment de cir­cuits courts, mais aus­si la créa­tion d’emplois locaux et l’émergence de nou­veaux écosys­tèmes industriels. 

Si des freins per­sis­tent, les pro­jec­tions de développe­ment du marché mon­di­al de l’hydrogène vert sont opti­mistes. La baisse sig­ni­fica­tive du coût de pro­duc­tion des éner­gies renou­ve­lables au cours de la dernière décen­nie et l’amélioration gradu­elle des tech­nolo­gies d’électrolyse et de stock­age ren­dent la pro­duc­tion d’hydrogène renou­ve­lable à échelle indus­trielle plus abor­d­able, voire com­péti­tive dans le con­texte actuel de hausse des prix des hydrocarbures. 

Quelles sont les perspectives de développement de l’hydrogène vert dans la zone AMEA ? 

La zone Asie, Moyen-Ori­ent et Afrique offre des oppor­tu­nités de développe­ment de la fil­ière de l’hydrogène vert par­ti­c­ulière­ment intéres­santes. La région béné­fi­cie, en effet, de nom­breux atouts ; d’importantes capac­ités d’énergies renou­ve­lables, un réseau d’infrastructures per­for­mant (logis­tique, gaz, élec­tric­ité…), une prox­im­ité géo­graphique avec les pays impor­ta­teurs dont l’accès aux éner­gies renou­ve­lables est limité. 

Aujourd’hui, plusieurs pays du Golfe, d’Asie et d’Afrique ont bien com­pris l’enjeu et l’intérêt de se posi­tion­ner rapi­de­ment sur le marché de l’hydrogène renou­ve­lable. Au Moyen-Ori­ent, l’Arabie Saou­dite et les Émi­rats Arabes Unis mis­ent sur le développe­ment rapi­de de la fil­ière hydrogène pour diver­si­fi­er leur économie et leurs expor­ta­tions. L’Arabie Saou­dite a d’ailleurs récem­ment annon­cé un ambitieux pro­gramme de pro­duc­tion et d’exportation d’hydrogène et d’ammoniac verts, et lancé la con­struc­tion d’une usine de pro­duc­tion d’hydrogène vert à NEOM (4GW), la pre­mière de cette taille en con­struc­tion, pour un investisse­ment de 5 mil­liards de dollars. 

Dans ce contexte favorable au développement de l’hydrogène vert, quelles sont les ambitions d’ENGIE ?

L’ambition d’ENGIE est d’accélérer la tran­si­tion vers un monde bas car­bone, en plaçant sa mis­sion au cœur des enjeux mon­di­aux du développe­ment durable en accord avec la rai­son d’être du Groupe : « agir pour accélér­er la tran­si­tion vers une économie neu­tre en car­bone, par des solu­tions plus sobres en énergie et plus respectueuses de l’environnement ». Dans cette per­spec­tive, un de nos objec­tifs est d’être un leader dans la pro­duc­tion d’hydrogène renou­ve­lable à grande échelle en nous con­cen­trant sur trois axes de développe­ment : les util­i­sa­tions indus­trielles, la mobil­ité et l’hydrogène comme vecteur d’énergie.

Actuelle­ment, nous avons plus de 30 pro­jets d’hydrogène vert à dif­férents stades de développe­ment dans le monde. Il s’agit main­tenant de pass­er à l’échelle indus­trielle. Cela implique de nouer des parte­nar­i­ats clés, de pro­mou­voir un tra­vail de fil­ière et de pou­voir s’appuyer sur un sou­tien pub­lic fort. Nous prévoyons ain­si de financer, con­stru­ire et exploiter 600 MW de capac­ité de pro­duc­tion d’ici à 2025 et 4 GW à l’horizon 2030 glob­ale­ment. En par­al­lèle, nous dévelop­pons un porte­feuille de réseau d’infrastructures (700 Km) et de stock­age (1 TWh) à l’horizon 2030.

Quels sont les projets qui vous mobilisent sur votre périmètre géographique ?

Nous sommes actuelle­ment engagés sur plusieurs pro­jets dans l’industrie et la mobilité. 

En Afrique du Sud, avec notre parte­naire Anglo Amer­i­can, l’un des plus grands acteurs mon­di­aux du secteur minier, nous avons inau­guré le pro­jet « Rhyno » pour la mine de pla­tine de Mogalak­we­na. Il s’agit du plus grand camion de trans­port minier à hydrogène du monde, capa­ble de trans­porter une charge utile de 290 tonnes. Dans ce cadre, nous four­nissons une solu­tion d’hydrogène inté­grée, qui inclut la pro­duc­tion, la com­pres­sion, le stock­age, et le rem­plis­sage en un temps record. L’objectif final est de réduire jusqu’à 80 % les émis­sions de CO2 issues de la mobil­ité minière. Ce pro­jet pilote a pour ambi­tion de décar­bon­er l’entièreté de la flotte de camions de cette mine, soit 40 camions et pour­rait être éten­du à d’autres sites à moyen terme.

Plus récem­ment, en décem­bre 2021, nous avons annon­cé la for­ma­tion d’une alliance stratégique avec « Mas­dar », un acteur majeur du secteur des éner­gies renou­ve­lables aux Émi­rats Arabes Unis. Ensem­ble, nous cher­chons à dévelop­per des pro­jets d’une capac­ité de pro­duc­tion totale de 2 gigawatts (GW) d’ici 2030, avec un investisse­ment total de l’ordre de 5 mil­liards de dol­lars US. Cette alliance stratégique vise à exploiter les syn­er­gies exis­tantes entre les deux groupes pour établir une posi­tion de précurseur sur le marché de l’hydrogène des Émi­rats Arabes Unis. 

Dans ce cadre, nous avons égale­ment signé un accord de col­lab­o­ra­tion avec « Fer­tiglobe », qui exploite une unité de pro­duc­tion d’ammoniac à Abu Dhabi. Nous tra­vail­lons avec ces deux parte­naires pour dévelop­per une instal­la­tion d’hydrogène vert d’une capac­ité pou­vant attein­dre 200 mégawatts (MW), afin d’alimenter la pro­duc­tion d’ammoniac (vert) de Fertiglobe.

Quels sont les défis et les freins qui persistent actuellement ?

Le coût, la sécu­rité et le stock­age de l’hydrogène restent les prin­ci­paux défis à relever. Le coût de pro­duc­tion de l’hydrogène est, en effet, dépen­dant du coût de pro­duc­tion et de l’abondance des éner­gies renou­ve­lables, mais aus­si du coût des élec­trol­y­seurs, ain­si que de la disponi­bil­ité de l’infrastructure exis­tante. On ne recense en effet que 5 000 kilo­mètres de pipelines de trans­port d’hydrogène dans le monde, con­tre plus de 3 mil­lions de kilo­mètres pour le gaz naturel. 

Pour sécuris­er et accom­pa­g­n­er le développe­ment de la fil­ière hydrogène, des investisse­ments lourds sur toute la chaîne de valeur, au-delà de la pro­duc­tion par élec­trol­yse, et le sou­tien des pou­voirs publics sont néces­saires, voire essen­tiels. Afin de relever ces défis, ENGIE est engagé au sein de l’initiative de la Dor­sale hydrogène européenne (Euro­pean H2 Back­bone), et sou­tient le déploiement d’un réseau de près de 40 000 km d’infrastructures hydrogène réu­nis­sant 21 pays, dont les deux tiers seraient con­sti­tués d’infrastructures exis­tantes recon­ver­ties. D’autres pro­jets de R&D en cours de déploiement – comme HyP­STER et Hygreen – ont pour objec­tif d’expérimenter le stock­age d’hydrogène dans des cav­ités salines, sur des sites jusqu’ici util­isés pour stock­er du gaz naturel.

Et pour conclure ? 

L’hydrogène renou­ve­lable intéresse aujourd’hui de nom­breux acteurs et secteurs d’activités, au point que l’on par­le désor­mais de la mise en place d’une « économie hydrogène ». Les gou­verne­ments et les entre­pris­es ont donc tout intérêt à adopter une stratégie de first mover sur l’hydrogène vert afin de pou­voir par­ticiper à ce marché d’avenir.

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