Une visite à Louis le Grand

Dossier : Les prépasMagazine N°703 Mars 2015
Par Michel BERRY (63)

Nous sommes invités à pren­dre un café à la salle des pro­fesseurs. Nous étions man­i­feste­ment annon­cés : « Bon­jour, c’est vous qui faites une enquête sur les pré­pas ? Bienvenue. »

Nous dis­cu­tons de notre enquête et je ne peux m’empêcher de par­ler de mes anciens pro­fesseurs et de quelques-unes de mes aven­tures avec eux.

REPÈRES

Nous sommes accueillis dans une classe de taupe de Louis-le-Grand. Je retrouve avec émotion le cadre qui a marqué le meilleur moment de ma scolarité. Nicolas Tosel nous accueille à la pause de 10 heures. Cette matinée était entièrement consacrée aux mathématiques : de 8 heures à 10 heures cours, de 10 heures 15 à 12 heures, exercices.
Nicolas avait pensé qu’il serait plus commode pour nous d’assister à la deuxième période de la matinée pour pouvoir ensuite analyser la séance en déjeunant dans un des cafés proches du lycée.

Des professeurs marquants

Avec celui, par exem­ple, qui véri­fi­ait que je n’étais pas trop sou­vent au fameux café Le Luco à jouer au flip­per, et qui m’en a même extir­pé une fois en me ten­ant par le col. Les pro­fesseurs sont des coach­es, comme on dit maintenant.

Aucun des pro­fesseurs d’aujourd’hui n’a été le col­lègue de ceux qui m’ont éduqué, mais plusieurs ont été leurs élèves. Nous avons pu échang­er sur leur manière de faire, l’attention qu’ils nous por­taient. Ce sont des pro­fesseurs qui vous marquent.

Garder ses élèves

Je retrou­ve le cadre qui a mar­qué les meilleurs moments de ma scolarité.

Nous par­tons vers la classe. Elle ne com­prend que 36 élèves, nom­bre réduit qui tient à ce qu’il y a de moins en moins de 5/2. Il n’y en a que cinq dans sa classe cette année. Les élèves préfèrent entr­er à Cen­trale ou aux Mines plutôt que de ten­ter à nou­veau Nor­male ou l’X.

À LLG, six hypotau­pes ayant autour de 45 élèves ali­mentent neuf tau­pes. La diminu­tion du nom­bre d’élèves dans ces dernières s’explique par la baisse du nom­bre de 5/2 et non par l’exclusion d’élèves lors du pas­sage de la pre­mière à la deux­ième année.

Con­traire­ment à ce qu’on croit sou­vent, LLG s’attache en effet à garder ses élèves. En tout cas, Nico­las regrette qu’il n’y ait pas plus d’élèves : cela ne poserait pas de prob­lème péd­a­gogique et cor­re­spondrait à un meilleur usage des deniers publics. Pour cela, il faudrait sans doute créer au moins une hypotaupe supplémentaire.

Oublier tout sauf l’essentiel

Les exer­ci­ces d’aujourd’hui por­tent sur la con­ver­gence des séries. C’est un grand clas­sique des math­é­ma­tiques de pré­pa, et je me rap­pelle que j’appréciais l’esthétique des démon­stra­tions. Dans la suite du cours, je recon­naî­trai la forme des équa­tions qui se suc­cè­dent et le type de raison­nements, mais je n’arriverai pas à vrai­ment suivre.

“ Les professeurs sont des coaches, comme on dit maintenant ”

J’ai pu recon­naître, en quelque sorte, la musique mais pas com­pren­dre les paroles. La dimen­sion tech­nique est trop impor­tante, et elle s’oublie avec le temps. On oublie donc tout des math­é­ma­tiques, mais ce qui reste est sans doute l’essentiel : l’aptitude à raison­ner juste.

Un exercice collectif

Nico­las com­mence par un exer­ci­ce qu’il qual­i­fie de facile. Il attend que des élèves lui sug­gèrent une manière d’aborder le prob­lème. Une main se lève tout de suite, mais il fait celui qui ne la voit pas, atten­dant que d’autres se manifestent.

UNE INTRUSION FLATTEUSE

Nous arrivons à la salle. Les élèves sont déjà installés. Nicolas nous présente : « Deux professeurs de l’École polytechnique préparent une enquête sur les prépas et vont assister au cours. Vous faites comme s’ils n’étaient pas là. »
On sent que les élèves paraissent plutôt flattés de cette intrusion. Sur les 36 élèves, il y a 13 filles, la proportion est en augmentation.

Il revient finale­ment vers cette pre­mière main : « Arthur, que sug­gères-tu ? » – Nico­las tutoie ses élèves et ceux-ci le vou­voient, mais la plu­part des autres pro­fesseurs recourent au vou­voiement. Arthur dit quelque chose douce­ment, que j’ai du mal à enten­dre – et de toute façon à com­pren­dre – mais les autres parais­sent suivre.

C’était une bonne piste, et Nico­las écrit quelques équa­tions, s’arrête pour atten­dre d’autres sug­ges­tions. La classe arrive au bout du prob­lème. Je dis la classe car on assiste à un exer­ci­ce col­lec­tif. Nico­las efface une par­tie du tableau, réca­pit­ule sur la par­tie dégagée.

Puis après avoir lais­sé un peu de temps pour que les élèves notent, il efface tout et énonce un nou­v­el exer­ci­ce, plus dif­fi­cile celui-là.

Concentration

Il par­le vite, sans tou­jours finir ses phras­es. Il nous dit après sa séance qu’il n’est effec­tive­ment pas tou­jours facile à suiv­re et prévient ses élèves qu’il leur fau­dra peut-être une semaine pour s’habituer.

“ Ce qui frappe c’est leur capacité de concentration, et aussi la douceur des échanges ”

De ce fait, on sent que les élèves ten­dent l’oreille, ce qui paraît avoir para­doxale­ment un effet béné­fique sur leur con­cen­tra­tion. Ce qui frappe c’est leur capac­ité de con­cen­tra­tion, et aus­si la douceur des échanges.

Pas un mot plus haut que l’autre, de brefs sourires du pro­fesseur aux élèves qui font des sug­ges­tions per­ti­nentes, un petit mot d’esprit pour celui qui sug­gère une voie erronée, pas de rép­ri­mande donc, et encore moins d’humiliation.

Gérer l’excellence

Nico­las marche beau­coup. Il quitte l’estrade, cir­cule dans les rangs, allant par­fois jusqu’au fond de la classe pour nous dire un mot. C’est en étant en mou­ve­ment per­ma­nent qu’il dia­logue avec ses élèves. Cela lui per­met de dis­siper l’énergie dont il regorge, mais aus­si de s’assurer que tout le monde suit.

DES RITUELS ET DU SACRÉ

Il y a ici du sacré nous venant des Lumières : l’importance de la Raison, la place des mathématiques, la méritocratie républicaine qui se traduit par des concours de recrutement imperméables aux petits arrangements.
Ce sacré est soutenu par des rites précis : les cours, les exercices identiques pour tous et répertoriés, les colles, les interrogations écrites, etc.
Tout se tient et explique le terme qui m’est venu à l’esprit : c’était un vrai moment de communion entre le professeur et ses élèves.

Au fil des exer­ci­ces, les élèves inter­vi­en­nent de plus en plus nom­breux, et Nico­las dit sou­vent : « Non, pas toi, Arthur ! » Il nous explique plus tard qu’Arthur est trop fort et c’est un phénomène comme on n’en voit pas sou­vent, même à LLG.

Lau­réat du Con­cours général de math­é­ma­tiques, il lui arrive de sug­gér­er au pro­fesseur des démon­stra­tions plus élé­gantes. Il faut savoir gér­er ces élèves qui posent par­fois prob­lème quand ils s’ennuient, mais cela se passe apparem­ment très bien avec Arthur.

L’horizon des concours

Pour le troisième exer­ci­ce, Nico­las annonce à ses élèves : « Voici un exer­ci­ce qui n’est pas dans le pro­gramme, mais il est sou­vent pro­posé à l’oral. » On com­prend qu’il évoque les con­cours à Nor­male ou à l’X. Les élèves ont de petits gestes qui sem­blent man­i­fester un sur­croît d’attention, si c’était encore pos­si­ble, et la suite se déroule de façon har­monieuse et collective.

Nico­las donne des exer­ci­ces à tra­vailler chez soi pour le lende­main, avec quelques indi­ca­tions sur la manière de les abor­der et en expli­quant leur intérêt. La séance est ter­minée et les élèves s’éclipsent, sauf quelques-uns qui souhait­ent échang­er avec le professeur.

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