Des journées portes ouvertes à l'usine Clextral

Une entreprise en symbiose avec son territoire

Dossier : La renaissance industrielleMagazine N°710 Décembre 2015
Par Georges JOBARD

L’entre­prise mécani­ci­enne Clex­tral, ETI dont j’ai été respon­s­able entre 1992 et 2014, a pris une place de choix dans son domaine grâce à un effort durable d’innovation dans des machines spé­ciales en codéveloppe­ment avec ses clients et des uni­ver­sités, ain­si qu’à une con­quête méthodique des marchés internationaux.

À ce jour, elle a ven­du des biens d’équipement indus­triel dans 92 pays, sur les cinq continents.

REPÈRES

De nombreuses PMI sont devenues ETI en choisissant l’exportation, puis l’internationalisation, pour agrandir leurs marchés et se développer. Simultanément, pour être compétitives, elles sont montées en gamme, se sont spécialisées et ont intégré des méthodes avancées de management. Elles ont amélioré leurs processus, notamment pour anticiper et satisfaire les besoins de leurs clients mieux que leurs concurrents.
Cette proximité avec leurs réseaux aurait pu les éloigner du territoire sur lequel elles étaient établies. En fait, on observe que certaines ETI ont plutôt choisi de développer les liens de proximité avec leur territoire, conscientes du potentiel de ressources qu’il représente.

Quarante ans dans la Loire

L’idée de resser­rer les liens avec notre ter­ri­toire m’est venue lorsque nous avons décidé, en 1996, de fêter les quar­ante ans de l’arrivée de la tech­nolo­gie d’extrusion bivis à Firminy, petite ville proche de Saint-Éti­enne, où en 1956 la CAFL (Com­pag­nie des aciéries et forges de la Loire) avait acquis puis mis en œuvre une licence de cette invention.

Par l’effet des fusions et restruc­tura­tions, Clex­tral était dev­enue fil­iale de Creusot-Loire en 1970, puis en 1984 de Fram­atome, groupe dont la com­mu­ni­ca­tion était cen­tral­isée au siège parisien.

J’ai fait val­oir que le méti­er de Clex­tral était très dif­férent de celui de sa mai­son mère et qu’un anniver­saire à Saint-Éti­enne serait beau­coup plus vis­i­ble qu’à Paris. Ces argu­ments ont porté, et cette pre­mière coopéra­tion avec le ter­ri­toire stéphanois a mar­qué le début d’autres parte­nar­i­ats très fructueux.

Congrès internationnal

Le quar­an­tième anniver­saire a don­né lieu à un con­grès sci­en­tifique, moment de réflex­ion et de ressource­ment sur les con­nais­sances, appli­ca­tions et poten­tiels de développe­ment de la tech­nolo­gie bivis.

Cet événe­ment a été créé avec des clients et uni­ver­si­taires inter­na­tionaux spé­cial­isés dans les tech­nolo­gies de Clex­tral, et avec la par­tic­i­pa­tion des respon­s­ables poli­tiques locaux, des écoles d’ingénieurs et de l’université de Saint-Éti­enne, ain­si que des organ­ismes de développe­ment économique du départe­ment de la Loire.

250 con­gres­sistes, venus de 23 pays, ont décou­vert en marge du con­grès, selon les souhaits des respon­s­ables locaux, le musée d’Art mod­erne de Saint-Éti­enne et le musée de la Mine de Firminy.

Des liens de proximité

Des journées portes ouvertes font décou­vrir aux jeunes les réal­ités de l’entreprise.

La pré­pa­ra­tion de cet événe­ment a été l’occasion d’inviter dans l’entreprise les respon­s­ables locaux : maires, écoles, uni­ver­sité, cham­bre de com­merce, organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles, organ­ismes de développe­ment économique, ain­si que des jour­nal­istes locaux – presse écrite, radios et télévisions.

Nous avons pris le temps d’approfondir cha­cun de ces con­tacts pour établir une rela­tion de con­fi­ance et de con­sid­éra­tion mutuelle.

À l’époque, le rôle essen­tiel de l’industrie dans le développe­ment économique et social du pays était plutôt dénié ; néan­moins, l’histoire indus­trielle de la région, et le fait que Clex­tral fasse par­tie des quelques PMI et ETI locales qui avaient survécu à l’effondrement de Creusot-Loire et de Manufrance, ont dopé l’enthousiasme de nos nou­veaux parte­naires territoriaux.

Complémentarité

Ces liens per­son­nels ont per­mis l’émergence d’idées nou­velles, dans une logique de com­plic­ité et de com­plé­men­tar­ité enrichissantes entre l’entreprise et son ter­ri­toire. Ain­si nous avons pris l’habitude de faire des con­férences de presse à l’occasion de réus­sites de l’entreprise, et aus­si pour présen­ter chaque année le bilan de l’année écoulée et les per­spec­tives de l’année à venir.

Avec le temps, ce tra­vail méthodique a créé une image pos­i­tive de l’entreprise, ce qui a engen­dré con­fi­ance et fierté chez nos salariés, nos four­nisseurs et autres parte­naires locaux.

Encour­agés, nous avons témoigné de la glob­al­i­sa­tion des marchés telle que nous la viv­ions et telle qu’elle per­me­t­tait la créa­tion locale d’emplois. Dans une France en manque de con­fi­ance pour faire face aux réal­ités de la glob­al­i­sa­tion et aux prob­lèmes actuels, qui recherche sou­vent en vain des solu­tions dans le passé plutôt que d’imaginer col­lec­tive­ment des solu­tions inno­vantes tournées vers l’avenir, on peut espér­er créer un effet d’entraînement entre­pre­neur­ial en prenant de la hauteur.

Dans les instances locales

Locale­ment, cet état d’esprit génère du dia­logue utile et con­struc­tif entre gens de bonne volon­té, quelles que soient la nature des respon­s­abil­ités exer­cées, les croy­ances ou étiquettes.

ÉNERGIE COMMUNICATIVE

Le creuset de proximité se conjugue pour Clextral avec les autres creusets culturels spécifiques aux métiers de l’entreprise, ou d’autres d’envergure nationale et internationale.
Trois cadres ont fait partie du réseau des conseillers du commerce extérieur de la France, et certains d’entre nous ont pris des responsabilités nationales dans des organisations professionnelles de développement.
Cela m’a convaincu de la richesse de la formation permanente multidimensionnelle qui irrigue tous ces réseaux, ainsi que de l’énergie communicative de ceux-ci.

Les jeux de rôles tant prisés au niveau nation­al, empreint de dog­ma­tisme et de con­formisme, parais­sent vains dès qu’il s’agit d’aborder des prob­lé­ma­tiques locales de façon empirique et coopérative.

De ce fait, les cadres de l’entreprise ont été sol­lic­ités pour inter­venir sur le plan local : mem­bres act­ifs de la cham­bre de com­merce, de con­seils d’administration d’écoles d’ingénieurs et de com­merce, d’organisations pro­fes­sion­nelles, d’associations de créa­tion d’entreprise, d’organismes de développe­ment économique, etc.

Par l’addition des expéri­ences, des com­pé­tences, des car­ac­tères, des moti­va­tions, ce mail­lage local engen­dre du récon­fort chaleureux, de l’émulation intel­lectuelle, et per­met d’apprendre plus vite les réal­ités du monde d’aujourd’hui. Ain­si, l’entreprise béné­fi­cie d’un creuset cul­turel de proximité.

Intéresser les jeunes

Une part impor­tante de l’action ter­ri­to­ri­ale a été tournée vers les jeunes. Régulière­ment, des portes ouvertes font décou­vrir les réal­ités de l’industrie d’aujourd’hui et explici­tent nos tech­nolo­gies, nos métiers. Les meilleurs ambas­sadeurs des métiers de l’entreprise sont les jeunes salariés, qui savent com­mu­ni­quer dans le lan­gage des étu­di­ants ou élèves.

Ce plon­geon dans le réel est très utile pour des col­légiens et lycéens qui cherchent leur voie. Qui d’autre que les entre­pris­es locales peut offrir ces infor­ma­tions concrètes ?

Il est val­orisant pour les respon­s­ables et les salariés d’une entre­prise d’apporter leur con­tri­bu­tion. Ce sen­ti­ment d’utilité et de respon­s­abil­ité améliore les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être du cap­i­tal humain de l’entreprise.

Partenariats enrichissants

Nous avons util­isé les com­pé­tences nou­velles qui nais­saient dans les écoles locales pour aider l’entreprise à pro­gress­er plus vite que ses con­cur­rents. Ain­si, l’école des Mines de Saint-Éti­enne ayant créé une spé­cial­i­sa­tion autour du développe­ment durable, des étu­di­ants ont mené un audit sur la matu­rité de l’entreprise en regard de la norme ISO 26000.

Cette analyse a débouché sur des actions con­crètes, par exem­ple en accélérant l’innovation dans l’intensification des procédés. Les tech­nolo­gies conçues et com­mer­cial­isées par Clex­tral sont par­ti­c­ulière­ment sobres par rap­port aux tech­nolo­gies con­cur­rentes en matière de con­som­ma­tion de matières pre­mières, d’énergie et d’eau.

Innover avec ses clients

Nous avons aus­si cher­ché de nou­veaux champs d’application de la tech­nolo­gie d’extrusion bivis. Alors que le brevet ini­tial con­cer­nait l’élaboration de mélanges de polymères syn­thé­tiques, notam­ment des matières plas­tiques, Clex­tral, en se dotant de ses pro­pres cen­tres de R&D, a créé avec ses clients les appli­ca­tions agroal­i­men­taires et papetières de cette technologie.

Aujourd’hui, de nom­breux fab­ri­cants de céréales pour petit-déje­uner, snacks, cro­quettes pour ani­maux domes­tiques et pour pois­sons d’élevage ont opté pour cette technologie.

Depuis 2005, la France a décidé d’exploiter mieux ces gise­ments d’innovation tech­nologique de prox­im­ité avec la créa­tion des pôles de com­péti­tiv­ité. Clex­tral, au sein du pôle Axel­era, pôle chim­ique à voca­tion mon­di­ale, a instal­lé deux bivis de R&D à Lyon, en vue de créer avec ses parte­naires les appli­ca­tions de demain dans le domaine de la chimie réactive.

LE PAPIER MONNAIE

Billets de banqueNous avons créé en 1989, en partenariat avec la Banque de France de Clermont- Ferrand et le Centre technique du papier à Grenoble, un procédé révolutionnaire pour fabriquer la pâte à papier des billets de banque en utilisant la technologie bivis. Breveté par les trois partenaires, il consomme dix fois moins d’eau et deux fois moins d’énergie que les procédés traditionnels, ce qui nous a permis, grâce à la référence de proximité à la Banque de France, de nous lancer à la conquête du marché mondial : aujourd’hui, l’Angleterre, l’Espagne, la Suisse, la Russie, la Chine et l’Inde produisent leur pâte à papier pour billets de banque avec des bivis Clextral.
En vingt-cinq ans, Clextral a pris les trois quarts du marché de l’investissement mondial dans la production de pâte à papier fiduciaire. Cette coopération technologique régionale s’est traduite par un succès commercial d’envergure mondiale. La proximité a facilité la naissance de cette innovation car elle a permis des interactions rapides durant les trois années nécessaires pour prouver sa viabilité industrielle.

Reconnaissance internationale

Pour val­oris­er les suc­cès obtenus et fonder les meilleures con­di­tions de créa­tion de nou­veaux champs tech­nologiques et com­mer­ci­aux, nous avons à nou­veau organ­isé en 2006, pour les cinquante ans, un con­grès sci­en­tifique à Saint-Éti­enne avec l’appui de parte­naires locaux et régionaux, sous le dou­ble thème « san­té et environnement ».

Trois cents con­gres­sistes venus de trente-huit pays ont pu, en marge du con­grès, décou­vrir les richess­es du ter­ri­toire, notam­ment la cui­sine de Trois­gros à Roanne, le musée d’Art et d’Industrie de Saint-Éti­enne ain­si que le site Le Cor­busier, fierté de Firminy. Un tel événe­ment donne de la matière aux médias locaux, ren­forçant les liens de con­fi­ance et de coopéra­tion entre l’entreprise et ses vecteurs de communication.

Env­i­ron mille vis­i­teurs d’une quar­an­taine de pays vien­nent à Firminy chaque année tester leurs idées nou­velles dans le cen­tre de recherche de Clex­tral. Les habi­tants, qui voient flot­ter chaque jour au fron­ton de l’entreprise les dra­peaux de ces pays, touchent du doigt que les savoir-faire locaux sont recon­nus mon­di­ale­ment, et que ces clients font vivre l’entreprise et le ter­ri­toire. Les hôtels, taxis et restau­rants locaux béné­fi­cient aus­si de ces visites.

Communiquer au niveau local

Il est utile que les entre­pris­es s’expriment locale­ment et con­crète­ment sur leurs con­tri­bu­tions à la créa­tion de la richesse nationale. Elles doivent aus­si s’exprimer sur les réal­ités con­crètes et com­plex­es qu’elles vivent, ain­si que sur les solu­tions inno­vantes et con­struc­tives qu’elles met­tent en œuvre, pour ne pas laiss­er tout l’espace médi­a­tique occupé par des pen­sées économiques et sociales sim­plistes, paresseuses et désuètes, qui relèvent sou­vent plus de la pro­pa­gande politi­ci­enne que d’une préoc­cu­pa­tion respon­s­able de com­préhen­sion des réalités.

La pen­sée com­plexe des entre­pris­es est mieux véhiculée à l’échelon local que par les médias nationaux.

Le fonds de dotation

Lorsque les organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles, UIMM, FIM et FIEEC, ont créé en 2009 un Fonds de dota­tion pour l’innovation indus­trielle, F2i, nous avons, au sein du con­seil d’administration com­posé d’industriels et de représen­tants du monde académique, décidé d’apporter notre sup­port cul­turel et financier à des pro­jets qui accélèrent la mise en place de liens entre les PMI et le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, afin que ces PMI utilisent mieux les ressources externes appro­priées à leurs pro­jets d’innovation.

Plus de 50 pro­jets sont aujourd’hui soutenus par le F2i, la plu­part en codéveloppe­ment entre les PMI et les écoles, uni­ver­sités et cen­tres tech­niques situés à prox­im­ité. Ain­si, nous avons pro­mu auprès des PMI des pra­tiques déjà bien maîtrisées par des ETI (et de grandes entreprises).

Vers l’avenir

L’ancrage local, oppor­tu­nité de coopéra­tion entre des acteurs qui sont des ressources les uns pour les autres, est prop­ice à une amélio­ra­tion de com­péti­tiv­ité de cha­cun, donc à un ray­on­nement plus fort, notam­ment à l’international. Dans une France con­stru­ite his­torique­ment en ver­ti­cal­ité cen­tral­isatrice, il existe de vrais gise­ments de pro­grès et de développe­ment dans la trans­ver­sal­ité, plus facile à met­tre en œuvre sur le ter­rain à l’échelon local, et plus adap­tée à la com­plex­ité crois­sante du monde d’aujourd’hui.

Les nom­breuses PMI que nous voyons, au F2i, saisir les oppor­tu­nités des pro­jets d’innovation en se gref­fant mieux sur leur envi­ron­nement tech­nologique, ain­si que les ETI qui démon­trent les ver­tus cul­turelles et com­péti­tives de la trans­ver­sal­ité sur les ter­ri­toires, ne con­stituent pas la « France d’en bas », mais plutôt la « France d’avant-garde » tournée vers l’avenir.

Poster un commentaire