Financer le développement industriel

Dossier : La renaissance industrielleMagazine N°710 Décembre 2015
Par Pascal LAGARDE (82)

L’indus­trie a‑t-elle des besoins spé­ci­fiques en matière de finance­ment ? La réponse est assuré­ment oui. L’industrie se dis­tingue d’abord par des cycles d’investissement rel­a­tive­ment longs, comme en témoigne le temps néces­saire pour con­cevoir un nou­veau mod­èle d’automobile ou un nou­veau médica­ment : cela se traduit par un besoin de fonds pro­pres rel­a­tive­ment élevé.

L’industrie con­tribue ensuite à près des trois quarts des dépens­es de R&D des entre­pris­es en France : cet engage­ment dans l’effort d’innovation jus­ti­fie un sou­tien pub­lic spé­ci­fique, compte tenu des risques inhérents aux pro­jets de R&D et de leurs béné­fices pour la col­lec­tiv­ité (exter­nal­ités de connaissances).

REPÈRES

Bpifrance a pour mission de mobiliser les financeurs privés sur les besoins déterminants pour notre compétitivité à long terme. En témoigne la place importante de l’industrie dans ses financements : en 2014, le secteur industriel a capté près d’un quart des montants d’intervention de Bpifrance, soit 5,1 milliards d’euros, bien qu’il ne représente que 14 % du produit intérieur brut.
Ces financements ont bénéficié à 12 300 entreprises industrielles, totalisant environ 410 000 emplois. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont bien représentées, puisqu’une ETI industrielle sur trois a bénéficié d’un soutien de Bpifrance en 2014 (soit plus de 500 entreprises distinctes).

Risques élevés

L’industrie est un secteur dans lequel le risque perçu par les appor­teurs de cap­i­taux est rel­a­tive­ment élevé : out­re son expo­si­tion à la con­cur­rence inter­na­tionale, le secteur affronte aujourd’hui un con­texte de muta­tions tech­nologiques inédites, avec le déploiement du numérique et de la robo­t­ique ain­si que la prise en compte des enjeux du réchauf­fe­ment climatique.

Ces muta­tions s’accompagnent certes d’opportunités con­sid­érables, mais aus­si d’une remise en cause pro­fonde des mod­èles économiques en place.

À cet égard, on peut men­tion­ner de toute évi­dence le car­ac­tère « dis­rup­tif » du numérique, ain­si que les boule­verse­ments qu’il induit sur la chaîne de valeur, y com­pris pour des secteurs dits « tra­di­tion­nels », mais aus­si l’impact qu’ont les biotech­nolo­gies sur l’industrie pharmaceutique.

Il en découle une forte incer­ti­tude con­cer­nant les mod­èles et les tech­nolo­gies qui s’imposeront dans les années à venir, ce qui con­tribue à frein­er l’investissement privé.

Marges et compétivité

L’industrie française fait en out­re face à des prob­lèmes spé­ci­fiques de com­péti­tiv­ité et une sit­u­a­tion de marges con­traintes, qui réduit ses capac­ités d’autofinancement.

“ L’industrie contribue à près des trois quarts des dépenses de R&D en France ”

Depuis le début de la crise s’ajoutent des ten­sions per­sis­tantes sur la tré­sorerie des indus­triels, qui se traduisent par un niveau de défail­lances encore élevé.

Assur­er la péren­nité de l’outil de pro­duc­tion à court terme dans un con­texte économique mon­di­al encore frag­ile et peu por­teur, le mod­erniser et l’adapter aux pro­fondes muta­tions tech­nologiques en cours afin de pré­par­er le long terme, lui don­ner la capac­ité de servir les marchés étrangers : les enjeux du secteur indus­triel sont donc nombreux.

Et pour répon­dre à ces enjeux, les out­ils de finance­ment doivent eux-mêmes s’adapter.

Des réponses multiples

Ces enjeux con­stituent une préoc­cu­pa­tion con­stante pour Bpifrance, qui mobilise toute une gamme de finance­ments, de l’investissement en fonds pro­pres aux prêts de tré­sorerie, afin de répon­dre aux besoins très hétérogènes des industriels.

Par exem­ple, dans l’industrie agroal­i­men­taire, neuf béné­fi­ci­aires sur dix sont des TPE dans une prob­lé­ma­tique d’accès au crédit et béné­fi­cient à ce titre de garanties de prêts ban­caires, tan­dis que dans le secteur de l’énergie, les entre­pris­es financées sont plutôt des PME et ETI, mobil­isant des prêts de long terme pour installer des unités de pro­duc­tion d’énergie (notam­ment des fer­mes éoliennes).

Accélérer les mutations

Il faut accélér­er la tran­si­tion vers des usines intel­li­gentes. © NATALIYA HORA / FOTOLIA

De manière générale, les enjeux liés à la com­péti­tiv­ité hors-prix du secteur indus­triel (mon­tée en gamme, mod­erni­sa­tion de l’outil de pro­duc­tion) requièrent des finance­ments adap­tés, sou­vent mal servis par le marché.

L’industrie capte ain­si les trois quarts des aides à l’innovation de Bpifrance (qui pren­nent la forme de sub­ven­tions, d’avances rem­boursables ou de prêts à taux zéro pour des pro­jets indi­vidu­els ou col­lab­o­rat­ifs) et 40 % des fonds engagés par Bpifrance dans le cadre du pro­gramme d’investissements d’avenir (PIA).

La gamme des « prêts de développe­ment » s’inscrit égale­ment dans cet objec­tif de soutenir la mon­tée en gamme : il s’agit de prêts sans cau­tion ou garanties per­son­nelles, avec un dif­féré de rem­bourse­ment de deux ans, visant à financer des investisse­ments immatériels ou à faible valeur de gage.

Ils per­me­t­tent d’accélérer la tran­si­tion vers des usines dites « intel­li­gentes », inté­grant les tech­nolo­gies du numérique et de la robo­t­ique, ain­si que les enjeux de la tran­si­tion énergé­tique et environnementale.

À titre d’exemple, les « prêts verts », dis­tribués entre 2010 et 2013 dans le cadre du PIA, ont per­mis à des indus­triels déjà soucieux de leur empreinte envi­ron­nemen­tale d’amplifier leurs investisse­ments des­tinés à réduire leur con­som­ma­tion énergé­tique et leurs émis­sions de gaz à effet de serre.

Ces pro­jets se sont par­fois traduits par une refonte totale du proces­sus de pro­duc­tion : pour la moitié des béné­fi­ci­aires des prêts verts, le pro­jet financé reve­nait à plus que dou­bler l’appareil pro­duc­tif immobilisé.

Développer des actions transversales

Mais la com­péti­tiv­ité de l’appareil expor­ta­teur français se joue au-delà du seul secteur man­u­fac­turi­er. En effet, la com­péti­tiv­ité des expor­ta­teurs français dépend sig­ni­fica­tive­ment du coût de leurs intrants : une récente note du Con­seil d’analyse économique estime que les coûts salari­aux directs des expor­ta­teurs français ne représen­tent que 23 % de leurs coûts totaux : les trois quarts restants se parta­gent entre les coûts salari­aux des autres branch­es util­isées en con­som­ma­tions inter­mé­di­aires (21 %) et les autres con­som­ma­tions inter­mé­di­aires (prix de l’énergie, pro­duits importés, immo­bili­er, 56 %).

“ Les enjeux de compétitivité requièrent des financements adaptés”

Les con­som­ma­tions inter­mé­di­aires de ser­vices représen­taient env­i­ron 16 % de la pro­duc­tion man­u­fac­turière en 2011, soit presque autant que les coûts salariaux.

Pro­mou­voir le développe­ment indus­triel néces­site donc une action trans­ver­sale sur l’ensemble des secteurs, ce qui est l’approche retenue par Bpifrance.

Cette approche est cohérente avec l’imbrication crois­sante entre indus­trie et ser­vices et la néces­sité pour les indus­triels d’intégrer des com­pé­tences en dehors de leur champ traditionnel.

Accompagner l’entrepreneur

Le développe­ment indus­triel ne néces­site pas seule­ment des finance­ments, mais aus­si un réel accom­pa­g­ne­ment pour sus­citer des straté­gies de développe­ment ambitieuses. L’atteinte d’une taille cri­tique, la con­quête de marchés étrangers, la con­cep­tion de nou­veaux pro­duits ou la con­sti­tu­tion d’alliances sont autant de démarch­es com­plex­es et chronophages, qui exi­gent préal­able­ment une prise de con­science du dirigeant con­cer­nant les change­ments stratégiques à met­tre en œuvre.

Ces pris­es de con­science peu­vent mal­heureuse­ment découler d’une crise grave (perte d’un don­neur d’ordre, arrivée de nou­veaux con­cur­rents très agres­sifs), comme cela a été le cas pour de nom­breux sous-trai­tants de l’industrie lors de la crise finan­cière de 2008- 2009.

Encour­ager des démarch­es plus proac­tives néces­site non seule­ment de com­pléter l’écosystème du finance­ment avec des ser­vices d’accompagnement « sur-mesure » pour les entre­pris­es les plus promet­teuses (à l’instar de l’accélérateur de PME mis en place par Bpifrance et la Direc­tion générale des entre­pris­es), mais aus­si de lever cer­tains freins psy­chologiques (refus de cer­taines entre­pris­es famil­iales d’ouvrir leur cap­i­tal, sous-esti­ma­tion des oppor­tu­nités de crois­sance à l’étranger par cer­taines ETI, etc.).

C’est en brisant ain­si l’isolement des chefs d’entreprise que l’industrie française pour­ra pleine­ment exploiter son potentiel.

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