Marie-Aleth Grard, conseillère au CESE, vice-présidente de l’Association ATD Quart Monde.

Une école de la réussite de tous

Dossier : ExpressionsMagazine N°720 Décembre 2016
Par Jacques DENANTES (49)
Par Claude SEIBEL (54)

La per­sis­tance de jeunes ter­mi­nant leur sco­lar­ité en sit­u­a­tion d’échec a amené le CESE à con­duire une enquête, dirigée par Marie-Aleth Grard, siè­gant au CESE en tant que vice-prési­dente de l’Association ATD Quart Monde. Après de nom­breuses audi­tions, des vis­ites de ter­rain, l’avis du CESE se traduit en 59 pré­con­i­sa­tions que la min­istre de l’Éducation s’est engagée à met­tre en œuvre.

Nous avons à plusieurs repris­es évo­qué dans le Forum social le gaspillage économique et la men­ace pour la cohé­sion sociale résul­tant du fait que, chaque année, env­i­ron 120 000 jeunes ter­mi­nent leur sco­lar­ité sans aucune qualification. 


Marie-Aleth Grard, con­seil­lère au CESE, y siège en tant que vice-prési­dente de l’Association ATD Quart Monde.

Les com­para­isons de l’OCDE mon­trent la France mal classée par rap­port aux autres pays dévelop­pés aus­si bien pour les per­for­mances des élèves que pour le chô­mage des jeunes. Elles font notam­ment appa­raître à quel point, dans notre pays, l’appartenance d’un enfant aux milieux pop­u­laires est pénal­isante pour ses résul­tats scolaires. 

Le CESE avait déjà con­staté en 2011 que « loin de combler les iné­gal­ités dues à l’origine sociale ou cul­turelle des enfants, l’école française ren­forçait ces inégalités ». 

Il a pris en 2014 l’initiative d’une nou­velle enquête sur la sco­lar­ité oblig­a­toire qui a débouché sur un rap­port inti­t­ulé Une école de la réus­site pour tous où sont for­mulées 59 « pré­con­i­sa­tions » à l’intention du Ser­vice pub­lic de l’éducation1.

Nous avons ren­con­tré l’animatrice et la rap­por­teure de la démarche, Marie-Aleth Grard, qui siège au CESE en tant que vice-prési­dente d’ATD Quart Monde. 

UNE DÉMARCHE DU CESE

La démarche a été con­duite par la sec­tion de l’éducation, de la cul­ture et de la com­mu­ni­ca­tion du CESE qui regroupe trente con­seillers de toutes orig­ines (entre­pris­es, syn­di­cats, asso­ci­a­tions, etc.). 

“ Chaque année, environ 120 000 jeunes terminent leur scolarité sans aucune qualification ”

Pour la sec­tion, il s’agissait d’un point d’étape dans la mise en œuvre de la loi de Refon­da­tion de l’école du 8 juil­let 2013 laque­lle, « insis­tant sur la nature inclu­sive de l’école, devait en faire le lieu de la réus­site pour tous ». 

Le min­istère de l’Éducation qui avait de son côté con­fié à Jean-Paul Dela­haye, inspecteur général de l’Éducation nationale (IGEN), une mis­sion sur le thème « Grande pau­vreté et réus­site sco­laire » a décidé de la coor­don­ner avec celle du CESE. 

ASSOCIER LES ACTEURS DE L’ÉDUCATION DANS LE PUBLIC ET DANS LE PRIVÉ

Suiv­ant une démarche très atyp­ique par rap­port aux méth­odes habituelles du CESE, la rap­por­teure a con­sti­tué un groupe de trente per­son­nes com­posé de cinq chercheurs, cinq enseignants, cinq acteurs de quartiers (édu­ca­teurs, per­son­nel de cen­tres soci­aux, etc.), cinq par­ents sol­idaires et dix par­ents en sit­u­a­tion de grande pauvreté. 

Le CESE
Le CESE a pris en 2014 l’initiative d’une enquête sur la sco­lar­ité oblig­a­toire qui a débouché sur un rap­port intitulé
Une école de la réus­site pour tous.

La rap­por­teure ayant réal­isé plus de 200 audi­tions de per­son­nes impliquées dans l’éducation (enseignants, directeurs d’établissement, inspecteurs généraux, représen­tants syn­di­caux, asso­ci­at­ifs, chercheurs, représen­tants d’associations de par­ents d’élèves, élèves, élus locaux, etc.), le groupe a par­ticipé à dix de ces audi­tions qui avaient lieu devant la sec­tion du CESE. 

Il est ensuite venu tra­vailler avec les con­seillers de la sec­tion au cours de trois réu­nions à l’occasion desquelles le groupe a intro­duit six thèmes sur lesquels éla­bor­er ensem­ble des pré­con­i­sa­tions visant l’objectif de la réus­site de tous à l’école.

Les con­seillers du CESE n’étaient pas habitués à tra­vailler sur un pied d’égalité avec des per­son­nes en sit­u­a­tion de grande pau­vreté aus­si, afin de pré­par­er les trois réu­nions, Marie-Aleth Grard a‑t-elle mis en œuvre la méth­ode du croise­ment des savoirs et des pra­tiques ini­tiée par ATD Quart Monde : cela a com­mencé par la réu­nion de sous-groupes, les uns homogènes et les autres en par­tic­i­pa­tion croisée. 

C’est ensuite au cours des trois réu­nions du groupe avec les con­seillers de la sec­tion du CESE qu’a été pro­duit un avis qui a une autre « couleur », car ont pu s’y exprimer des par­ents en sit­u­a­tion de grande pauvreté. 

DES VISITES DE TERRAIN

Par­al­lèle­ment au tra­vail du groupe, Marie-Aleth Grard et Jean-Paul Dela­haye se sont ren­dus dans huit académies où ils ont vis­ité une ving­taine d’établissements, écoles mater­nelles, pri­maires ou col­lèges, qui avaient été repérés parce que les équipes enseignantes y avaient pris des ini­tia­tives qui allaient dans le sens de la réus­site de tous les élèves. 

“ Un avis qui a une autre « couleur », car ont pu s’y exprimer des parents en situation de grande pauvreté ”

Le rap­port du CESE donne une descrip­tion d’établissements « qui cherchent, créent, innovent dans le but de ne laiss­er aucun élève au bord de la route. Ils sont peu nom­breux » et méri­tent d’être connus. 

Ain­si, dans une école mater­nelle de cen­tre-ville à Lyon où l’éventail des orig­ines sociales est très ouvert, l’équipe enseignante met l’accent sur la coé­d­u­ca­tion des enfants avec les par­ents, lesquels sont accueil­lis dans l’école et invités à par­ticiper à la vie sco­laire. Pour combler l’écart cul­turel entre les enfants, l’école développe des activ­ités cul­turelles et val­orise les langues et cul­tures d’origine : des par­ents vien­nent dans les class­es lire dans leur langue. 

Autre exem­ple de vis­ite, celle d’un nou­veau bâti­ment à Saint-Ouen‑l’Aumône. À l’occasion de la con­struc­tion d’un nou­veau bâti­ment, élus et enseignants ont adop­té la solu­tion de class­es ouvertes dans une archi­tec­ture ronde, réal­isant une école d’où aucun élève ne doit sor­tir sans maîtris­er la lec­ture, l’écriture et le calcul. 

Les class­es regroupent des élèves en trois cycles de trois class­es, depuis le début de la mater­nelle jusqu’en CM2, ce qui facilite l’étalement sur plusieurs années des acqui­si­tions des con­nais­sances de base tout en éduquant les élèves à coopérer. 

AMIENS ET TORCY

À Amiens, Marie-Aleth Grard a pu vis­iter un col­lège dans un quarti­er défa­vorisé où on met l’accent sur le tra­vail en équipe de pro­fesseurs de dif­férentes dis­ci­plines. Les élèves tra­vail­lent en coopéra­tion sur des pro­jets. Aucun n’est lais­sé de côté, l’entraide est de mise, la réus­site d’un pro­jet néces­si­tant la par­tic­i­pa­tion de tous. 

Toute la sec­tion du CESE s’est déplacée pour vis­iter l’école Bel-Air de Tor­cy, une école atyp­ique où, pour rétablir le vivre ensem­ble dans un quarti­er gan­grené par la vio­lence, l’équipe enseignante s’est don­né les moyens de con­fron­ter les élèves avec la tra­di­tion (une mini-ferme avec des ani­maux) et avec la moder­nité (un réseau infor­ma­tique de 80 ordinateurs). 

Pour le faire, elle s’est appuyée sur les forces vives du quarti­er (élus locaux, tra­vailleurs soci­aux, par­ents, retraités, anciens élèves) ce qui lui a per­mis de faire vivre et de péren­nis­er ses ini­tia­tives2.

UNE ÉCOLE ADAPTÉE À TOUS LES ÉLÈVES

Ren­dant compte des résul­tats de l’enquête, le rap­port du CESE met l’accent sur le fait que, en tri­ant très tôt les élèves, le sys­tème édu­catif main­tient une dépen­dance étroite des iné­gal­ités sco­laires avec les orig­ines sociales. Il en résulte que « notre sys­tème sco­laire pro­duit des élites sociale­ment homogènes tan­dis que plus de 20 % des élèves en sor­tent sans maîtris­er les élé­ments du socle com­mun de con­nais­sances et de compétences ». 

“ En triant très tôt les élèves, le système éducatif maintient une dépendance étroite des inégalités scolaires avec les origines sociales ”

Ceux des par­ents mem­bres du groupe qui vivaient en sit­u­a­tion de grande pau­vreté ont témoigné de l’immense espoir qu’ils met­taient dans l’école pour assur­er l’avenir de leurs enfants et de leur décep­tion de les voir vic­times de pra­tiques qui les mar­quaient dès leur plus jeune âge comme élèves en dif­fi­culté et qui, en fin de troisième, les ori­en­taient sur des par­cours sco­laires sans issue. 

L’article 2 de la loi de Refon­da­tion de l’école du 8 juil­let 2013 pré­cise que le ser­vice pub­lic de l’éducation « veille à l’inclusion sco­laire de tous les enfants » : il en résulte qu’au terme de la sco­lar­ité oblig­a­toire chaque élève doit pos­séder la maîtrise du socle com­mun de con­nais­sances, de com­pé­tences et de cul­ture et doit béné­fici­er d’une ori­en­ta­tion qui prenne ses vœux en compte. 

59 PRÉCONISATIONS

Faisant suite à l’enquête, l’avis du CESE se traduit en 59 pré­con­i­sa­tions fondées sur le pos­tu­lat que l’école doit être inclu­sive et donc s’adapter à tous les élèves en respec­tant leurs rythmes d’apprentissage et en les éduquant à l’autonomie. On peut som­maire­ment résumer ces pré­con­i­sa­tions en trois points. 

Des élèves d'une classe
Le rap­port du CESE met l’accent sur le fait que, en tri­ant très tôt les élèves, le sys­tème édu­catif main­tient une dépen­dance étroite des iné­gal­ités sco­laires avec les orig­ines sociales.
© LUCKYIMAGES / SHUTTERSTOCK.COM

Le pre­mier met l’accent sur la néces­sité pour les enseignants de tra­vailler en équipe. 

Le deux­ième est de dévelop­per une prise de con­science du fait que toutes les péd­a­go­gies ne se valent pas pour attein­dre l’objectif de la réus­site pour tous. L’avis met l’accent sur les péd­a­go­gies qui explici­tent les proces­sus d’apprentissage et les con­di­tions de la réus­site des tâch­es en les ver­bal­isant, les péd­a­go­gies qui sus­ci­tent la coopéra­tion entre les élèves avec la mise en œuvre de pro­jets, les péd­a­go­gies dif­féren­ciées qui pren­nent en compte la diver­sité des élèves avec une atten­tion par­ti­c­ulière pour chacun. 

Une pré­con­i­sa­tion s’en déduit qui recom­mande un ren­force­ment des for­ma­tions ini­tiales et con­tin­ues des enseignants. 

Le troisième souligne la néces­sité d’accueillir tous les par­ents à égal­ité. L’avis recom­mande un con­tact per­ma­nent des enseignants avec les par­ents, de la mater­nelle au col­lège. Pour réc­on­cili­er l’école avec les familles de milieux défa­vorisés, il recom­mande de sus­citer des « moments d’apprentissage » en invi­tant les par­ents à assis­ter à une classe et à par­ler ensuite avec les enseignants. 

Une pré­con­i­sa­tion s’en déduit qui est de for­mer les enseignants à la con­nais­sance des milieux sociaux. 

UN SUIVI DE LA MISE EN ŒUVRE DES 59 PRÉCONISATIONS

La min­istre de l’Éducation a assisté à la séance de présen­ta­tion du rap­port en séance plénière du CESE et elle a déjà adop­té et noti­fié à ses ser­vices un grand nom­bre des 59 pré­con­i­sa­tions. De son côté, Marie-Aleth Grard s’est investie dans le suivi de ces pré­con­i­sa­tions et elle s’y emploie avec enthousiasme. 

Depuis la pub­li­ca­tion du rap­port, elle est invitée deux à trois fois par semaine par des rec­torats et par des étab­lisse­ments à le présen­ter devant des enseignants, des inspecteurs, des chefs d’établissement.

Au cours de l’année sco­laire 2015–2016, elle a ren­con­tré plus de 12 000 per­son­nes et pour l’année 2016–2017, son agen­da se rem­plit à nou­veau3.

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1. L’avis du CESE fait l’objet d’un rap­port pub­lié en 2015 par la Doc­u­men­ta­tion française sous le titre Une école de la réus­site pour tous.
2. La Jaune et la Rouge a con­sacré un Forum social à l’école Bel-Air de Tor­cy dans le n° 708 d’octobre 2015.
3. Télécharg­er l’avis du CESE 

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