Résolis au service du progrès social

Resolis : mettre des méthodes scientifiques au service du progrès social

Dossier : ExpressionsMagazine N°744 Avril 2019
Par Hubert JACQUET (64)

En créant Reso­lis, Philippe Kouril­sky a choisi d’appliquer à l’action sociale les méth­odes et usages qui ont per­mis le développe­ment sans précé­dent des sci­ences. En pub­liant et con­frontant en per­ma­nence les bonnes pra­tiques des asso­ci­a­tions human­i­taires et sol­idaires, Reso­lis per­met aujourd’hui de cap­i­talis­er, d’échanger et de mieux éval­uer les savoirs du terrain. 


Repères

Pro­fesseur émérite au Col­lège de France, mem­bre de l’Académie des sci­ences et ancien directeur général de l’Institut Pas­teur, Philippe Kouril­sky est un biol­o­giste de renom. Il a effec­tué une grande par­tie de sa car­rière au CNRS, où il a été directeur de recherche de classe excep­tion­nelle. Il s’est spé­cial­isé dans la géné­tique molécu­laire puis dans l’immunologie. En plus de ses activ­ités uni­ver­si­taires, il a par­ticipé à la créa­tion d’une biotech (Trans­gène, créée en 1979 avec Pierre Cham­bon) et tra­vail­lé dans l’industrie des vac­cins. Il a écrit plusieurs livres pour le grand public. 


Comment t’est venu ton intérêt pour le secteur caritatif ?

En tant que directeur général de l’Institut Pas­teur, j’ai eu à pilot­er son réseau inter­na­tion­al qui compte beau­coup d’institutions établies dans des pays pau­vres. Cela m’a don­né une con­science aiguë des dif­fi­cultés aux­quelles ils sont con­fron­tés. Lorsque j’ai quit­té ce poste, le gou­verne­ment m’a demandé de faire un rap­port sur le thème : « Com­ment, en matière de san­té mon­di­ale, amélior­er l’impact de la France. » Une de mes con­clu­sions était qu’il fal­lait dévelop­per une approche beau­coup plus sci­en­tifique des actions de ter­rain san­i­taires et human­i­taires. Ce rap­port étant resté let­tre morte, j’ai voulu lui don­ner une suite. J’ai d’abord été beau­coup aidé par Veo­lia, puis j’ai fondé Reso­lis avec l’aide d’autres grands partenaires.

Appliquer des méthodes scientifiques dans le domaine social n’est pourtant pas intuitif ?

J’ai tou­jours pen­sé que la méth­ode sci­en­tifique est très générale et s’applique à de nom­breux domaines. En éten­dant son usage, on gag­n­erait en effi­cac­ité. La base de la sci­ence est de s’appuyer sur des faits. Une règle d’or des sci­en­tifiques est de pub­li­er les résul­tats de leurs travaux et de faire con­trôler ces pub­li­ca­tions par des pairs.

Dans le domaine des acteurs du social, ces pra­tiques sont qua­si inex­is­tantes. Le préal­able est de savoir où sont les faits. Ils exis­tent, mais ne sont pas publics au sens où on l’entend dans les sci­ences et ne per­me­t­tent donc pas un partage de savoir effi­cace. Certes, beau­coup d’associations pub­lient des rap­ports d’activité, mais ces rap­ports sont sou­vent des­tinés à lever des fonds et ne sont pas soumis à des regards extérieurs et validés par des pairs. Enfin, leur dif­fu­sion est lim­itée. De ce fait, il n’y a pas cap­i­tal­i­sa­tion sur les bonnes pra­tiques dévelop­pées çà et là, pas d’échanges, pas de recon­nais­sance de la qual­ité des actions et pas d’évaluation. D’où beau­coup de dif­fi­cultés à bien pro­gress­er à l’échelle indi­vidu­elle comme collective.


Des centaines de milliers d’associations dans le domaine social

La France compte 1,5 mil­lion d’associations loi de 1901, dont 1,3 mil­lion sont actives. Leur bud­get cumulé, en inclu­ant celui des fon­da­tions, est estimé à 100 mil­liards d’euros avec évidem­ment d’énormes dis­par­ités : le bud­get de la Croix-Rouge est de 1,3 mil­liard d’euros, celui de microas­so­ci­a­tions se comp­tant en cen­taines d’euros. Elles réalisent 3,2 % du PNB et représen­tent 5 à 6 % de l’emploi des salariés publics et privés. Selon le CNRS, le tiers de ces asso­ci­a­tions œuvrent dans le social et dépensent les deux tiers de ces 100 mil­liards d’euros.


Quelles ont été les premières étapes du lancement de Resolis ?

Au départ, je me suis appuyé sur l’Institut Veo­lia qui, à ma sug­ges­tion, a lancé une revue, bap­tisée Facts Reports, qui con­tin­ue à pub­li­er de très beaux numéros con­tenant des arti­cles de type sci­en­tifique et bien doc­u­men­tés provenant de pays émer­gents. Comme je voulais aller plus loin et entr­er dans l’action, y com­pris en France, j’ai créé Reso­lis avec le con­cours de col­lègues du Col­lège de France comme Pierre Cor­vol ou Jacques Glowinski.

La pre­mière ques­tion qui s’est posée a été de trou­ver le bon moyen de col­lecter l’information. Il fal­lait d’abord iden­ti­fi­er les acteurs de ter­rain per­ti­nents pour le prob­lème traité : asso­ci­a­tions, CCAS (Cen­tres com­mu­naux d’action sociale), etc., et pren­dre con­tact avec eux. Pour cela, on peut s’appuyer sur les annu­aires, les munic­i­pal­ités, l’internet, etc. Mais il faut leur pro­pos­er une démarche sécurisante et val­orisante. Le plus sou­vent, nous employons des étu­di­ants qui aident les acteurs de ter­rain à rem­plir des fich­es syn­thé­tiques dont les ques­tions ont été mis­es au point par Reso­lis. Ces for­mu­laires ont été testés et rodés et sont désor­mais bien au point. L’intervention des étu­di­ants est bien ressen­tie par les asso­ci­a­tions. Ils vont sur le ter­rain, et sont bien accueil­lis. Cette expéri­ence con­stitue pour eux un enrichisse­ment per­son­nel très apprécié.

“Nous serions heureux
de pouvoir recruter un X fraîchement retraité”

Les rap­ports sont revus par un comité de lec­ture et, si néces­saire, resoumis pour cor­rec­tion aux acteurs de ter­rain, qui en endossent la pleine respon­s­abil­ité et qui les sig­nent. Ne sont donc ren­dus publics que des doc­u­ments revus et aval­isés par eux. En six ans, nous avons ain­si pu récolter 1 200 retours d’expérience ain­si validés d’acteurs de ter­rain, notam­ment d’associations.

Du fait de nos moyens lim­ités, nous nous sommes pour l’instant con­cen­trés sur deux domaines : la pau­vreté et la pré­car­ité d’une part ; et l’alimentation respon­s­able et durable d’autre part. Nous nous étions lim­ités à la France, mais notre pro­jet a fait des émules, et nous tra­vail­lons aujourd’hui dans une dizaine de pays étrangers.

Comment est exploitée l’information ainsi collectée et mise en forme ?

Nous pub­lions un jour­nal qui présente les résul­tats de nos travaux sous formes de fich­es de deux pages faciles à con­sul­ter car présen­tées de façon homogène. Ce jour­nal est gra­tu­it et libre­ment acces­si­ble sur notre site web (www.resolis.org). Il per­met un partage des retours d’expérience très rich­es que nous présen­tons : dif­fi­cultés ren­con­trées, solu­tions mis­es en œuvre, amélio­ra­tions en cours, fac­teurs de réussite…

Quels sont les apports concrets de cette démarche pour les associations ?

Le pre­mier béné­fice de la démarche est que les acteurs de ter­rain (dont les asso­ci­a­tions) appren­nent à for­malis­er et clar­i­fi­er leur action, ce qui les aide à éval­uer ce qu’elles font, et même à trou­ver des financements.

Surtout, nous nous efforçons de créer des syn­er­gies locales en rap­prochant des gens qui s’ignoraient. Ain­si, nous con­clu­ons générale­ment nos enquêtes par des réu­nions où sont invités les dif­férents con­tribu­teurs (respon­s­ables d’associations et autres acteurs de ter­rain). Sou­vent, bien que voisins, ils ne se con­nais­saient pas et trou­vent matière à col­la­bor­er. Cela s’est pro­duit à Lille et Roubaix. Des acteurs publics et para­publics, comme les CCAS, man­quent aus­si de vis­i­bil­ité, et nos inter­ven­tions peu­vent les aider. Autre exem­ple de béné­fice : une asso­ci­a­tion avait déposé un dossier de demande de finance­ment auprès de l’UE, qui avait été rejeté faute d’éléments de preuve pour étay­er le con­tenu. La « fiche Reso­lis » lui a per­mis d’obtenir la sub­ven­tion demandée.

Un sujet de préoc­cu­pa­tion impor­tant et com­mun à beau­coup d’acteurs du social est le non-recours aux droits : beau­coup de gens en dif­fi­culté, voire dans la mis­ère, ignorent ce dont ils peu­vent béné­fici­er. Après une enquête por­tant sur plus de soix­ante acteurs, et analysée avec l’aide d’une chercheuse, nous en avons rassem­blé une quar­an­taine pen­dant une demi-journée, et beau­coup sont repar­tis avec une meilleure com­préhen­sion des prob­lèmes, de nou­veaux con­tacts et des listes d’actions à men­er. Nous en avons fait un beau numéro spé­cial du Jour­nal Reso­lis.

Quels sont les projets de développement de Resolis ?

Nous pré­parons un déploiement à plus grande échelle. À cet effet, nous dévelop­pons deux nou­velles plate­formes dig­i­tales : une ver­sion mul­ti­lingue de notre site actuel qui per­me­t­tra de dévelop­per les échanges avec d’autres pays, et Kohop. Kohop est une plate­forme ambitieuse qui per­me­t­tra de col­lecter à plus grande échelle, de façon semi-automa­tique et assistée, des don­nées factuelles sur les actions de ter­rain et de référencer leurs auteurs et organismes.

Kohop sera un out­il de tra­vail très effi­cace per­me­t­tant aux asso­ci­a­tions de s’identifier, de se con­naître, d’échanger de l’information. La plate­forme va com­porter plusieurs volets. Le pre­mier per­me­t­tra de con­naître par secteur géo­graphique et par com­mune les asso­ci­a­tions opérant dans tel ou tel domaine sur le ter­ri­toire nation­al. Cela facilit­era la vie des acteurs du social et le développe­ment de syn­er­gies. Le sec­ond volet ouvri­ra l’accès à des acteurs autres que les asso­ci­a­tions, comme, par exem­ple, des PME, des uni­ver­sités, des ser­vices publics.

Nous enten­dons aus­si dévelop­per des out­ils pour faciliter et automa­tis­er le tra­vail de rem­plis­sage et de mise à jour des fich­es décrivant les travaux faits sur le ter­rain et des appli­cat­ifs basés sur l’intelligence arti­fi­cielle pour exploiter plus vite et mieux nos bases de con­nais­sance. Notre change­ment d’échelle se fera par essaim­age thé­ma­tique et géo­graphique, la cohé­sion résul­tant du partage d’une méthodolo­gie com­mune à tous et pro­duisant des résul­tats interopérables.

Quels sont les moyens dont dispose Resolis ?

En ter­mes de moyens humains, il y a une petite équipe de 4 per­ma­nents appuyés par une grosse ving­taine de bénév­oles et béné­fi­ciant du con­cours occa­sion­nel d’étudiants et de sta­giaires. Son action est soutenue par des col­lec­tiv­ités locales et son finance­ment assuré prin­ci­pale­ment par de grandes fon­da­tions privées. Cela ne per­met pas de chang­er d’échelle. Notre plan de développe­ment repose for­cé­ment sur un mod­èle économique dans lequel nous pour­rions tir­er des revenus en con­trepar­tie de la valeur ajoutée que nous appor­tons, tout en respec­tant la lib­erté des acteurs. Il fau­dra aus­si ren­forcer l’équipe actuelle. Les bonnes volon­tés sont bien­v­enues, et notam­ment, nous seri­ons évidem­ment heureux de pou­voir recruter un X fraîche­ment retraité. Si l’un de vos lecteurs est intéressé, il peut pren­dre con­tact avec moi (philippe.kourilsky[at]gmail.com).


Site Inter­net de Reso­lis : https://www.resolis.org/

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