Une alternance réussie

Dossier : Le BrésilMagazine N°626 Juin/Juillet 2007Par : Jean AVRIL Consultant, conseiller du Commerce extérieur de la France (CCEF) à São Paulo

Au sec­ond semes­tre 2002, au terme des deux man­dats prési­den­tiels de FHC, l’é­conomie du pays a été très per­tur­bée par la per­spec­tive de l’élec­tion pos­si­ble du can­di­dat de gauche, le syn­di­cal­iste Luiz Iná­cio Lula da Sil­va. Cette per­spec­tive a eu des réper­cus­sions sur les paramètres économiques, en par­ti­c­uli­er sur le taux de change, exprimé en dol­lar, qui s’est dégradé pro­gres­sive­ment au cours de l’an­née — un dol­lar valait 2,4 réals en jan­vi­er 2002, il atteignait 4 réals par dol­lar cer­tains jours de sep­tem­bre 2002.

En décem­bre 2001 le pro­gramme pub­lié par le Par­ti des Tra­vailleurs (PT), cofondé par Lula, avait comme slo­gan : « Nous arrivons pour tout chang­er ». Très rapi­de­ment Lula a com­pris qu’avec une telle affir­ma­tion il n’avait aucune chance d’être élu con­tre le can­di­dat social-démoc­rate (PSDB), José Ser­ra. Fort judi­cieuse­ment, en juin 2002, Lula a pub­lié sa Let­tre au Peu­ple Brésilien dans laque­lle il affir­mait que le nou­veau gou­verne­ment respecterait tous les engage­ments du Brésil (dettes internes et externes), tout en assur­ant le con­trôle des dépens­es de l’É­tat et de l’in­fla­tion. C’est dans un cli­mat de tran­quil­lité qu’en octo­bre 2002 Lula a gag­né la prési­den­tielle au sec­ond tour.

De suite, en jan­vi­er 2003, Lula a sur­pris en nom­mant des hommes et des femmes capa­bles aux min­istères clés — Finances, Indus­trie et Com­merce, Plan, Envi­ron­nement, Agri­cul­ture, Jus­tice et Affaires étrangères. De plus, il nomme, à la tête de la Banque cen­trale, un député de la nou­velle oppo­si­tion (PSDB social-démoc­rate), mais qui, au Brésil puis aux USA, avait été prési­dent de la Banque Boston. Au cours du mois de décem­bre 2002, la trans­mis­sion des pou­voirs entre le gou­verne­ment sor­tant et le nou­veau que Lula venait de mon­ter, s’est faite dans la plus grande har­monie, qual­i­fié d’un « sans-faute » par les Marchés.

Par con­tre pour cer­tains autres min­istères et les prési­dences des entre­pris­es de l’É­tat, le prési­dent a été moins heureux. Il a cédé aux pres­sions de son par­ti (PT) et de ses alliés. La com­pé­tence n’a pas été le critère des choix — atti­tude qui, par la suite, a créé au Prési­dent de nom­breuses déceptions.

Dans le domaine économique la con­ti­nu­ité et la volon­té, jamais démen­tie de Lula, de main­tenir une poli­tique de rigueur, assurent le con­trôle de l’in­fla­tion et la force de la mon­naie. La courbe ci-après mon­tre, fin 2006, une valeur annuelle pour l’in­fla­tion offi­cielle voi­sine de celles des pays dévelop­pés — tous les divers indices sont dans la fourchette, 2 à 3 %. Depuis 1994, l’in­stru­ment de con­trôle de l’in­fla­tion est le Taux directeur de la Banque cen­trale que le Comité de poli­tique moné­taire, (Copom) — com­posé de mem­bres de la Banque cen­trale et du min­istère des Finances — altère, lors de sa réu­nion men­su­elle, en fonc­tion de la ten­dance du taux d’in­fla­tion et d’événe­ments internes ou externes qui pour­raient influ­encer l’économie.

Depuis juil­let 1994, la Banque Cen­trale tra­vaille aus­si à la sta­bil­i­sa­tion de la mon­naie brésili­enne, le réal. En jan­vi­er 1999 (déval­u­a­tion), elle a pu établir la lib­erté du change, lequel, après des fluc­tu­a­tions en 2002 (année élec­torale) s’est sta­bil­isé pro­gres­sive­ment vis-à-vis des mon­naies fortes — un dol­lar US vaut 2,17 réals au 31 décem­bre 2006 con­tre 2,20 en juin 2001. Pour les expor­ta­teurs, le réal à sa valeur actuelle est con­sid­éré fort et cette force gêne les indus­triels — leurs marges à l’ex­por­ta­tion sont faibles ou nulles. De plus, sur le marché interne ils subis­sent la con­cur­rence des pro­duits importés les oblig­eant à con­trôler leurs prix.

Mal­gré ce change fort, le Brésil devient un pays expor­ta­teur, dégageant chaque année un excé­dent de sa bal­ance com­mer­ciale impor­tant et crois­sant pro­gres­sive­ment depuis 2001. Ce résul­tat, que Lula s’at­tribue, ne s’est pas fait au cours des qua­tre dernières années. Il est le fruit d’un long effort des indus­triels et des gou­verne­ments suc­ces­sifs. Déjà en 1992, le prési­dent Col­lor a amor­cé une réduc­tion des droits de douane, met­tant la pro­duc­tion brésili­enne en con­cur­rence avec les pro­duits importés — de meilleure qual­ité et moins chers. Tous les secteurs de l’é­conomie ont dû inve­stir pour se mod­erniser afin d’at­tein­dre les niveaux inter­na­tionaux. Ils ont fait par­al­lèle­ment un long tra­vail de prospec­tion des marchés mon­di­aux, obtenant les pre­miers résul­tats en 2000 (tableau ci-con­tre). Depuis le com­merce extérieur dégage, chaque année, un excé­dent crois­sant qui a per­mis de liq­uider les dettes externes du Brésil, en par­ti­c­uli­er celles qu’il avait avec le FMI et d’ac­cu­muler, fin 2006, des réserves en mon­naies fortes, exprimées en dol­lars, de 90 milliards.

La poli­tique de rigueur et un Taux directeur de la Banque cen­trale main­tenu en moyenne à une valeur élevée ont eu une influ­ence sur l’évo­lu­tion du PIB dont la vari­a­tion reste à un niveau rel­a­tive­ment faible pour un pays en développe­ment. Sa crois­sance moyenne, au cours des qua­tre années de la prési­dence de Lula, n’est pas très dif­férente de celle obtenue par son prédécesseur. Pour génér­er un taux de crois­sance supérieur, Fer­nan­do Hen­rique Car­doso puis Lula se sont heurtés à un vol­ume de l’é­pargne publique et privée insuff­isant pour financer des nou­veaux investisse­ments. De plus, l’É­tat a des dépens­es fix­es trop élevées — une con­séquence de la con­sti­tu­tion de 88 — lais­sant peu de moyens pour inve­stir dans les infra­struc­tures, insuff­isantes pour accom­pa­g­n­er un taux de crois­sance supérieur à l’actuel. Enfin les investisse­ments directs étrangers (IDE), dimin­u­ent en rai­son d’une charge fis­cale glob­ale élevée (38 % du PIB) et de règles du jeu insta­bles qui effraient les investis­seurs étrangers — dans le cas des PPP (Par­tic­i­pa­tion Pub­lic Privé), pour les investisse­ments en infra­struc­tures, le Gou­verne­ment exige, pour des raisons idéologiques, d’avoir un vote majoritaire.

Dans le domaine des affaires étrangères, le min­istre de Lula, Cel­so Amor­in, au cours de l’an­née 2003, a organ­isé de nom­breuses ren­con­tres du Prési­dent avec ses homo­logues des pays dévelop­pés de l’hémis­phère Nord. Mais, après ces nom­breux con­tacts, le Brésil a décidé de ne pas les pour­suiv­re, en par­ti­c­uli­er avec les États-Unis, qui voulaient créer le grand marché com­mun (ALENA) éten­du de l’Alas­ka à la Terre de Feu. Depuis, la Poli­tique étrangère du Brésil a don­né la pri­or­ité au dia­logue Sud/Sud, aboutis­sant (au moment du som­met OMC de Can­cun) à la créa­tion du G20, con­tre­poids du G7 — aux réu­nions duquel Lula a été en général invité.

Cette évo­lu­tion de la poli­tique externe a pour le Brésil un dou­ble intérêt : éten­dre les pos­si­bil­ités de son com­merce extérieur et obtenir des appuis impor­tants, pou­vant le soutenir dans sa recherche d’un siège per­ma­nent au Con­seil de Sécu­rité de l’ONU. Le G20, au sein duquel trop d’in­térêts sont con­flictuels, n’a cepen­dant pas apporté au Brésil le sou­tien atten­du pour le siège de l’ONU (Chine et Afrique).

De même le Brésil en 2005 n’a pas obtenu l’ap­pui de ces pays pour désign­er ses can­di­dats à la Direc­tion générale de l’Or­gan­i­sa­tion mon­di­ale du Com­merce, OMC, gag­née par le Français, Pas­cal Lamy, et à la prési­dence de la Banque inter­améri­caine de Développe­ment, BID, octroyée au Colom­bi­en, Alber­to Moreno.

Évo­lu­tion du com­merce extérieur
Mil­liards de USD Import Export Solde R$/USD
1995 49,66 46,50 ‑3,16 0,895
1996 53,28 47,74 ‑5,54 0,993
1997 61,52 52,98 ‑8,54 1,065
1998 57,55 51,12 ‑6,43 1,140
1999 49,27 48,01 ‑1,26 1,693
2000 55,78 56,08 0,30 1,810
2001 55,58 58,23 2,65 2,216
2002 47,24 60,36 13,12 2,704
2003 48,20 73,08 24,88 3,095
2004 62,77 96,47 33,70 2,942
2005 73,54 118,31 44,77 2,458
2006 91,39 137,47 46,07 2,213


De même le Brésil a des prob­lèmes presque per­ma­nents avec l’Ar­gen­tine qui au sein du Mer­co­sur a tou­jours voulu un traite­ment de faveur. Enfin l’ap­pui du Brésil pour que le Venezuela, du prési­dent Chávez et main­tenant la Bolivie d’E­vo Morales, entrent dans le Mer­co­sur a com­pliqué les rela­tions internes en par­ti­c­uli­er avec l’U­ruguay qui est ten­té de sign­er un accord de libre-échange avec les États-Unis (mod­èle Chilien). L’im­por­tance que prend Hugo Chávez qui espère devenir le leader des pays de l’Amérique du Sud, posi­tion que Lula pen­sait détenir de droit, favorise main­tenant un rap­proche­ment des USA. Le prési­dent Bush voit en Lula, face au remuant Chávez, l’élé­ment mod­éra­teur du con­ti­nent Sud Américain.

L’an­née 2005 a été mar­quée par la décou­verte de scan­dales qui impliquent le Par­ti des tra­vailleurs (PT) et ses alliés : caiss­es occultes, pour le finance­ment de ses cam­pagnes élec­torales de 2002 et 2004, ali­men­tées par des moyens illé­gaux ; achat des votes de députés des par­tis alliés et même du PT (verse­ments men­su­els en liq­uide) pour assur­er au cas par cas la majorité néces­saire à la Cham­bre. Toutes ces affaires sont entre les mains de la police et de la jus­tice et suiv­ent leur cours. Le prési­dent Lula n’a pas été impliqué, il a tou­jours pré­ten­du qu’il n’é­tait pas au courant et avait été trahi.

Le 29 octo­bre, les Brésiliens, en majorité sat­is­faits de la ges­tion du prési­dent Lula, ont donc choisi de le réélire : au 2e tour, Lula (Par­ti des Tra­vailleurs, PT) obtient 60,82 % des votes valides ; Alck­min (Social démoc­rate, PSDB) : 39,18 %.

Les résul­tats de ce sec­ond tour ont mon­tré un pays divisé. Dans tous les États, situés au nord d’une ligne coupant le Brésil d’est en ouest pas­sant au som­met de l’É­tat de Rio, Lula est forte­ment majori­taire, par con­tre dans les États les plus rich­es — indus­trie, éle­vage et agri­cul­ture inten­sive — situés au sud de cette ligne c’est Alck­min qui est en tête.

Lula, au cours de son sec­ond man­dat, devra tenir compte de cette divi­sion. Il aura besoin de ces États rich­es pour pour­suiv­re sa poli­tique économique de rigueur, main­tenir le con­trôle de l’in­fla­tion et de la mon­naie tout en assur­ant une crois­sance du PIB supérieure à celle des douze dernières années — en moyenne, 2,5 à 2,8 % par an.

Pour tenir la promesse du soir de son élec­tion (assur­er une crois­sance du PIB de 5 % par an au cours des qua­tre années de son sec­ond man­dat), le prési­dent Lula a lancé, le 22 jan­vi­er 2007, son Plan d’Ac­céléra­tion de la Crois­sance (PAC) qui sera, annonce-t-il, la grande œuvre de son sec­ond man­dat. Ce Plan prévoit d’in­ve­stir, spé­ciale­ment dans les infra­struc­tures et l’én­ergie, 503,9 mil­liards de réals (€ 183 mil­liards). Le Tré­sor inve­sti­ra 13,4 % du total, les entre­pris­es d’É­tat 43,5 % — dont Petro­brás 34 % — enfin le secteur privé 43,1 %.

Le PAC est loin de faire l’u­na­nim­ité des milieux poli­tiques et économiques : la par­tie la plus à gauche de l’échiquier poli­tique le trou­ve trop libéral, l’op­po­si­tion timide et incon­sis­tant. Les écon­o­mistes et le secteur privé con­sta­tent le faible investisse­ment de l’É­tat et font ressor­tir que l’in­vestisse­ment des entre­pris­es de l’É­tat et en par­ti­c­uli­er de la Petro­brás serait réal­isé sans le PAC — il fait par­tie de son plan à dix ans, déjà ancien, d’as­sur­er et de main­tenir l’au­to­suff­i­sance en brut du Brésil et depuis 2006 en gaz, suite aux prob­lèmes créés par la rena­tion­al­i­sa­tion en Bolivie. Ils lui reprochent aus­si de ne pas faire men­tion des réformes indis­pens­ables pour le pays (poli­tique, fis­cale et de la sécu­rité sociale). Le gros effort sera donc du secteur privé. D’ailleurs le gou­verne­ment réalise qu’il doit le mobilis­er, ce que fait le min­istre des Finances, Gui­do Man­te­ga. Il a accordé une entre­vue au jour­nal O Esta­do de São Paulo, pub­liée le 28.01.2007, inci­tant les indus­triels à croire au PAC et insiste : « Il n’ex­iste pas de développe­ment induit par l’É­tat. Ce que nous voulons c’est que le secteur privé assume son rôle d’in­vestis­seur. »

Enfin, pour assur­er le démar­rage du PAC, le Prési­dent devra, avec deux Cham­bres moins dociles que les précé­dentes, obtenir un vote rapi­de des Mesures pro­vi­soires qu’il a signées et envoyées au Congrès.

Depuis juil­let 1994 le Brésil a beau­coup évolué. Au cours des trois derniers man­dats prési­den­tiels, il a acquis une notoriété économique et poli­tique par­mi les grandes nations du monde, con­séquence de ses pris­es de posi­tion dans le domaine des affaires étrangères qu’ac­com­pa­gne la maîtrise des paramètres de son économie. Ces actions et résul­tats font que les milieux économiques et poli­tiques mon­di­aux con­sid­èrent le Brésil déjà au-delà d’un pays en développe­ment, en voie de rejoin­dre ceux du 1er monde.

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