Un vélo intelligent

Dossier : TrajectoiresMagazine N°697 Septembre 2014
Par Sébastien MARTIN (11)
Par Alexis MOCELLIN (11)
Par Matthieu TOULEMONDE (11)

Le vélo fait par­tie inté­grante du paysage urbain. Ses util­isa­teurs, dont l’âge et le pro­fil sportif vari­ent large­ment d’un indi­vidu à l’autre, côtoient sur les voies de cir­cu­la­tion aus­si bien des pié­tons que des véhicules motorisés.

Garan­tir la sécu­rité des cyclistes (et des pié­tons) dans un tel milieu est un impératif auquel le mod­èle clas­sique de vélo à change­ment de vitesse manuel répond mal. En effet, le change­ment de vitesse manuel mobilise l’attention des util­isa­teurs et est sou­vent mal util­isé, en par­ti­c­uli­er par les moins sportifs et par les plus jeunes.

“ Créer l’intelligence artificielle”

Cette dif­fi­culté d’usage nuit au con­fort d’utilisation et peut met­tre le cycliste en dan­ger : par exem­ple, s’il oublie de pass­er à un rap­port plus petit en freinant à un feu rouge, il risque de faire une embardée dan­gereuse lorsque le feu passera au vert.

Une mau­vaise ges­tion du change­ment de vitesse est aus­si source de fatigue physique. L’ambition de notre pro­jet, SAM, est d’offrir aux citadins un vélo intel­li­gent qui remédierait aux défauts du vélo clas­sique que nous venons de décrire.

Ce vélo intel­li­gent devrait pou­voir choisir en per­ma­nence et de manière automa­tique le rap­port de vitesse le plus adap­té à chaque sit­u­a­tion, à la fois au regard des pro­priétés du ter­rain et du pro­fil du cycliste, que le vélo apprendrait au fil du par­cours. Et tout cela ne devrait bien sûr exiger aucun réglage préal­able de la part de l’utilisateur.

LE PROJET SCIENTIFIQUE COLLECTIF

Le projet scientifique collectif (PSC), auquel participent tous les élèves de deuxième année, consiste en un travail d’approfondissement scientifique piloté par les élèves eux mêmes, sur un sujet de leur choix, dans une démarche créative et collective. Ce travail en commun sur une durée longue permet d’acquérir des bases d’organisation et de découvrir l’importance des relations humaines.
Les groupes sont constitués de 5 à 7 élèves, dont au moins un étranger. Il apporte une première expérience de la réalisation de projet. Certains PSC donnent lieu à une création d’entreprise ou, comme dans le cas de SAM, à une collaboration avec un groupe industriel.

Passer les vitesses

Le pro­jet SAM est issu d’un Pro­jet sci­en­tifique col­lec­tif (voir encadré). Avec cinq cama­rades de pro­mo­tion, nous avons eu l’idée de nous lancer dans la con­cep­tion de ce vélo intel­li­gent. Suite à nos dis­cus­sions avec des chercheurs du départe­ment de math­é­ma­tiques appliquées, nous avons choisi d’utiliser des méth­odes d’apprentissage sta­tis­tique pour créer l’intelligence artificielle.

Si je prends du recul sur le tra­vail effec­tué en un an, je dirais que notre prin­ci­pal apport sci­en­tifique aura été là, dans le développe­ment d’algorithmes qui per­me­t­tent de pass­er automa­tique­ment les vitesses de notre vélo.

Nous avons égale­ment dévelop­pé un parte­nar­i­at avec l’entreprise Décathlon, qui nous a ent­hou­si­as­més au début (quelle chance que notre pro­jet intéresse une grande entre­prise !) mais qui s’est vite révélé dif­fi­cile à gér­er, notam­ment parce que l’entreprise ne respec­tait pas nos exi­gences con­cer­nant la pro­priété intellectuelle.

Nos moyens furent donc lim­ités et ne nous ont pas per­mis de men­er à bien, comme nous l’espérions, le développe­ment d’un pro­to­type fonctionnel.

Du PSC à la start-up

Con­scients et con­va­in­cus du poten­tiel du pro­jet, trois d’entre nous ont décidé de pro­longer l’aventure : du PSC à la start-up. Nous nous sommes d’abord ren­seignés sur les pos­si­bil­ités de dépos­er un brevet, idée que nous avons finale­ment décidé de reporter en rai­son du coût et de la lour­deur des for­mal­ités à effectuer.

C’est en dis­cu­tant avec la DRIP (ser­vice de l’École qui gère les parte­nar­i­ats et la pro­priété intel­lectuelle) que nous avons appris l’existence du prix Geron­deau- Zodi­ac Aerospace.

Si notre PSC n’avait pas été aus­si loin que nous le souhaitions, c’était prin­ci­pale­ment à cause d’un manque de fonds qui nous empêchait de dévelop­per notre pro­to­type. Nous avons donc sauté sur l’occasion. Nous avons tra­vail­lé avec ardeur en mai et juin 2013 afin d’effectuer les démarch­es néces­saires pour con­courir à ce prix.

Il s’agissait de con­stituer un dossier et pass­er deux sou­te­nances devant un jury d’industriels de Zodi­ac et de mem­bres de la Fon­da­tion de l’X. Notre tra­vail a finale­ment porté ses fruits puisque, retenus par­mi les trois pro­jets final­istes du con­cours, nous avons rem­porté la somme de 10 000 euros.

Consolider nos intuitions

De nom­breux pas­sages automa­tiques de vitesse exis­tent. Aucun n’a encore réus­si à percer sur le marché. Nous pen­sons que la prin­ci­pale rai­son de cet échec est que les sys­tèmes ne sont pas agréables pour l’utilisateur. En effet, tous les sys­tèmes exis­tants pren­nent unique­ment en compte la cadence de pédalage.

SAM EN BREF

L’idée de SAM est une intelligence embarquée qui reçoit les données fournies par différents capteurs (vitesse du vélo, couple dans le pédalier, accélération, etc.). Elle les enregistre et choisit en temps réel en fonction de ces données la meilleure vitesse sur laquelle doit se régler le vélo. Enfin, s’il y a lieu d’effectuer un changement, elle envoie l’information au passage électrique de vitesse. Une fois notre vélo équipé de tous les capteurs nécessaires, il s’agit encore de lui « apprendre » à changer de vitesse tout seul.
Les méthodes d’apprentissage statistique que nous avons choisies utilisent une base de données pour définir le comportement idéal dont on veut doter le vélo. Afin de construire l’algorithme qui choisira la vitesse adaptée, nous utilisons des enregistrements de cyclistes confirmés ayant roulé sur notre vélo.
Nous connaissons les valeurs relevées par les différents capteurs à chaque instant, mais aussi la vitesse choisie par le cycliste en fonction de la situation. L’ensemble de ces données constitue une base d’apprentissage, qu’il va falloir utiliser au mieux pour déterminer ensuite « à la volée » la meilleure façon de changer de vitesse.

Le sys­tème change la vitesse si la cadence est supérieure (ou inférieure) à une cer­taine valeur arbi­traire­ment définie. La cadence de référence est rad­i­cale­ment dif­férente entre une per­son­ne âgée, qui a ten­dance à pédaler lente­ment, et un sportif, qui préfère pédaler rapidement.

Une des inno­va­tions majeures de notre pro­jet est le fait que notre sys­tème soit capa­ble de s’adapter à son util­isa­teur. Il prend en compte un grand nom­bre de paramètres et sait recon­naître sur cette base le pro­fil du cycliste à par­tir de sa façon de pédaler.

Pour bien com­mu­ni­quer sur notre pro­duit, il nous faut encore com­pren­dre qui serait sus­cep­ti­ble d’acheter un vélo équipé de ce sys­tème, et à quel prix. De pre­mières dis­cus­sions avec notre entourage sem­blent indi­quer que les femmes de plus de quar­ante ans seraient nos prin­ci­pales clientes.

Fixer un prix attractif

Une étude de marché un peu plus poussée pour­rait nous per­me­t­tre de con­solid­er cette intu­ition. Quoi qu’il en soit, il reste dif­fi­cile aujourd’hui d’établir un busi­ness plan pour notre start-up, étant don­né que nous ne savons pas encore quand nous réus­sirons à pro­duire un pro­to­type fonc­tion­nel, ni com­bi­en coûteraient d’une part ce pro­to­type et d’autre part le sys­tème vendu.

Nous avons mené ce pro­jet sur notre temps libre, par­al­lèle­ment à nos deux années d’études à l’École poly­tech­nique. Nous avons bien avancé vers notre objec­tif : la con­cep­tion d’un pas­sage automa­tique de vitesse pour vélo qui s’adapte à tout utilisateur.

Ce pro­jet est ambitieux, car il requiert de tra­vailler con­join­te­ment sur de l’électronique, du pro­to­ty­page, des math­é­ma­tiques appliquées, ain­si que sur la créa­tion d’une start-up.

Face aux dif­férentes pos­si­bil­ités de stages et de qua­trième année à l’École, il nous faut aujourd’hui réfléchir en groupe à l’avenir de notre pro­jet. Pour le stage de recherche, nous par­tons tous aux qua­tre coins du monde et nos sujets seront prenants, c’est pourquoi nous avons mis SAM en pause au print­emps 2014.

En qua­trième année, nous serons tous à Paris. Nous réfléchissons dès à présent à la façon dont nous pour­rions repren­dre le pro­jet en l’intégrant à la suite de notre parcours.

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