Les facteurs stratégiques de succès dans la “ vision équilibrée de l’entreprise"

Un outil intégrateur de la création de valeur dans l’entreprise : le tableau de bord prospectif

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°579 Novembre 2002
Par Ramdane BOUMRAR
Par Dominique ROSSIER (61)

Le con­seil en entre­prise, en matière de stratégie et d’or­gan­i­sa­tion, a vu foi­son­ner au cours de la dernière décen­nie une mul­ti­tude de con­cepts et de méth­odes, dont cer­tains obéis­sent à des effets de mode. Il n’est pas tou­jours facile pour une entre­prise cher­chant à met­tre en évi­dence des oppor­tu­nités de créa­tion de valeur, ou à trans­former son organ­i­sa­tion, de faire son choix par­mi l’of­fre de ser­vices. Mais aucune entre­prise ne doit oubli­er que le suc­cès est avant tout dans la bonne exé­cu­tion des déci­sions pris­es, que ce soit dans le déploiement de la stratégie en plans opéra­tionnels, ou dans le pilotage de la trans­for­ma­tion des organisations.

Cette étape cru­ciale est trop sou­vent nég­ligée du point de vue de la rigueur méthodologique et du sup­port à lui apporter. Pour­tant elle se prête bien à une démarche du type Man­age­ment par la Qual­ité et ” Busi­ness excel­lence “. L’en­tre­prise aurait tort de se priv­er du cadre et des out­ils offerts par ces démarch­es : ces out­ils ont le mérite d’avoir été large­ment rodés et éprou­vés au cours de la décen­nie passée, par un large pan­el d’en­tre­pris­es des deux côtés de l’Atlantique.

Par­mi les out­ils éprou­vés, les ” bal­anced score­card ” (BSC) sont de plus en plus appré­ciés et pra­tiqués ; en effet ils appa­rais­sent comme de véri­ta­bles leviers per­me­t­tant d’in­té­gr­er la créa­tion de valeur dans la ges­tion de l’en­tre­prise, depuis sa vision stratégique jusqu’au pilotage opéra­tionnel con­duisant à l’at­teinte des objectifs.

Il n’y a pas de tra­duc­tion sat­is­faisante du terme anglais : on adoptera l’ex­pres­sion ” tableau de bord prospec­tif ” dont la for­mu­la­tion est plutôt en retrait, mais qui a le mérite de la simplicité.

L’ar­ti­cle mon­tre les avan­tages décisifs apportés par les BSC, grâce aux liens étab­lis entre les qua­tre axes : Finance, Sat­is­fac­tion des clients, Proces­sus, Ges­tion des compétences.

Les règles de bonne gouvernance d’entreprise suffisent-elles pour le retour de la confiance ?

Les sec­ouss­es subies depuis deux ans par l’é­conomie mon­di­ale ont mis au pre­mier plan de l’ac­tu­al­ité le rôle tout-puis­sant de la finance sur le des­tin même des entre­pris­es. Elles ont con­duit à un réex­a­m­en utile des méth­odes et des out­ils de com­mu­ni­ca­tion des entre­pris­es cotées avec leur con­seil d’ad­min­is­tra­tion, leurs action­naires et plus générale­ment avec le marché financier.

Mais autant l’adop­tion d’un code de bonne con­duite et de règles de bonne gou­ver­nance est pour l’en­tre­prise une démarche qui peut être ron­de­ment menée, autant la dif­fu­sion de bonnes pra­tiques de man­age­ment à tous les niveaux de l’en­tre­prise est une affaire de temps et de lead­er­ship interne, dont l’ex­péri­ence mon­tre qu’elle n’a rien d’év­i­dent. Or si la reven­di­ca­tion de règles de bonne gou­ver­nance n’est pas accom­pa­g­née de pro­grès sub­stantiels dans l’at­teinte des objec­tifs de l’en­tre­prise, l’il­lu­sion ne peut pas être longtemps main­tenue : le dis­cours aux action­naires, aux ban­quiers, ou aux ana­lystes financiers risque vite de tourn­er au ” win­dow dress­ing “, voire à la dissimulation.

Retour aux fondamentaux : croissance interne, satisfaction du client

Le par­a­digme du développe­ment externe, avec son cortège de fusions-acqui­si­tions, a lais­sé der­rière lui beau­coup d’échecs et de désil­lu­sions ; sa capac­ité à ” créer de la valeur ” est main­tenant remis en cause. Beau­coup d’en­tre­pris­es ou de groupes redé­cou­vrent les ver­tus de la crois­sance par développe­ment interne.

Ce qui oblige à des pro­grès qual­i­tat­ifs sub­stantiels en matière de pra­tiques de man­age­ment : c’est dans ce domaine, nég­ligé pen­dant l’emballement de l’é­conomie de la fin des années qua­tre-vingt-dix, qu’il est indis­pens­able, doré­na­vant, d’in­tro­duire l’in­no­va­tion… ou de redé­cou­vrir les valeurs anci­ennes de l’art du man­age­ment. Celles-ci con­duisent à recen­tr­er une fois de plus sur la rai­son d’être de l’en­tre­prise : la sat­is­fac­tion du client.

Comment créer de la valeur à l’intérieur même de l’entreprise, dans le contexte actuel de crise financière mondiale et de perte de confiance des économies ?

Com­ment l’en­tre­prise peut-elle assur­er le lien entre l’at­tente des investis­seurs d’une part, et le man­age­ment de ses affaires d’autre part, dans le quo­ti­di­en aus­si bien que dans le long terme ? Et sans que ce lien tourne à l’ob­ses­sion du court terme et au sac­ri­fice de la durée ?

Un des moyens con­siste dans l’in­té­gra­tion de la créa­tion de valeur dans la ges­tion de l’en­tre­prise, l’in­té­gra­tion étant enten­due à tous les niveaux,  tant stratégique que opéra­tionnel, et faisant ain­si de la créa­tion de valeur une véri­ta­ble dimen­sion de la cul­ture d’entreprise.


L’ar­ti­cle présente une méthode et un out­il qui per­me­t­tent cette inté­gra­tion en pro­fondeur de la créa­tion de valeur dans l’en­tre­prise : le ” tableau de bord prospec­tif ” — ” bal­anced score­card “, ou ” BSC ” en jar­gon anglo-sax­on.

Toute­fois, la méthode et l’outil ne sont pas présen­tés pour eux-mêmes, mais en rela­tion étroite avec le cadre man­agér­i­al qui doit les sup­port­er et les pro­mou­voir au sein de l’en­tre­prise. Ce cadre peut être directe­ment emprun­té à la démarche de type Man­age­ment par la Qual­ité et à la référence uni­verselle­ment recon­nue de ” Busi­ness excel­lence ” de l’E­FQM ou du Bal­bridge. En même temps, la méthode BSC est bien adap­tée à la mise en place et au suivi d’une poli­tique de man­age­ment glob­al des risques des affaires, par la prise en compte per­ma­nente de la rentabil­ité et du retour sur investissement.

La méthode et les outils BSC, historique et définition : vers une vision équilibrée de l’entreprise

Nor­ton & Kaplan ont intro­duit le con­cept de ” bal­anced score­card ” ou tableau de bord prospec­tif en 1996 dans un ouvrage qui fait référence dans ce domaine. Au point de départ de leur réflex­ion, il y a le con­stat que ni les direc­tions d’en­tre­prise, ni l’ensem­ble du man­age­ment ne peu­vent plus se con­tenter des seuls indi­ca­teurs financiers. La total­ité de l’en­tre­prise, et pas seule­ment les dirigeants, a besoin d’un tableau de bord qui per­me­tte de com­mu­ni­quer autour de la stratégie de l’en­tre­prise et de mon­tr­er com­ment à chaque niveau les employés peu­vent men­er à bien cette stratégie.

Au-delà de l’outil, somme toute banal, de tableau de bord, il y a donc une nou­velle méthode de man­age­ment. BSC est une méthode de pilotage de la créa­tion de valeur en rela­tion directe avec la stratégie de l’en­tre­prise ; elle inter­vient à deux niveaux :

  • au niveau de l’étab­lisse­ment de la stratégie et de la poli­tique d’objectifs ;
  • au niveau opéra­tionnel du déploiement de la stratégie et de l’at­teinte des performances.


Elle procède par l’i­den­ti­fi­ca­tion des proces­sus-clés et des indi­ca­teurs de suivi. Le but est, grâce à l’outil de tableau de bord prospec­tif, de main­tenir la focal­i­sa­tion sur les pri­or­ités stratégiques ; de déploy­er celles-ci et de les met­tre en œuvre en mobil­isant tous les act­ifs incorporels.

La méthode et l’outil BSC ont le mérite d’avoir été rodés et éprou­vés au cours de la décen­nie passée, par un large pan­el d’en­tre­pris­es des deux côtés de l’Atlantique.

La rai­son du suc­cès de la méthode réside dans son car­ac­tère con­cret et attrayant pour tous les acteurs de la créa­tion de valeur dans l’en­tre­prise. Mais surtout, l’outil BSC a per­mis de trans­fér­er la respon­s­abil­ité de la ” mesure ” et du ” pilotage ” de la direc­tion finan­cière à d’autres secteurs de l’en­tre­prise. L’ob­jec­tif des BSC n’est pas de met­tre en place un autre type de tableau de bord, plus com­plet, mais de dis­pos­er d’un out­il de stratégie.

Le tableau de bord prospec­tif, qui est la face vis­i­ble du proces­sus BSC, n’est pas un tableau à l’aspect ardu, incom­préhen­si­ble pour les non-ini­tiés. Il donne une vision ” équili­brée ” de l’en­tre­prise : c’est le sens du terme ” bal­anced “, dans la dénom­i­na­tion anglo-sax­onne de ” bal­anced score­card “. ” Équili­brée ” parce que don­nant une juste place, comme cela sera illus­tré plus loin, aux paramètres non-financiers, à côté des indis­pens­ables critères économiques. ” Équili­brée ” aus­si dans son souci d’é­clair­er aus­si bien le passé, et les caus­es, que le futur, et les effets prévis­i­bles, le ” hiérar­chique ” aus­si bien que le ” trans­ver­sal “, voir fig­ure 1.

En effet, pour que chaque acteur recon­naisse dans le tableau de bord sa con­tri­bu­tion à la créa­tion de valeur, ne faut-il pas qu’il puisse y plac­er les critères et paramètres qui sont ceux de son méti­er, de son marché et de ses clients ?

Modèle budgétaireModèle de valeur-clients


Un exemple de mise en œuvre de la méthode BSC

L’ex­em­ple est pris auprès d’une société cliente AAA, dont le nom restera confidentiel.

La pre­mière étape, on l’a vu, est de s’as­sur­er avec l’en­tre­prise, qu’il existe une poli­tique exprimée en ter­mes d’ob­jec­tifs, issue de la vision du marché et de la stratégie.

Vient ensuite la sec­onde étape, tout à fait déter­mi­nante, et qui fait l’o­rig­i­nal­ité de la méthode. Les fac­teurs de suc­cès sont sélec­tion­nés suiv­ant les qua­tre axes ou per­spec­tives qui seront présents tout au long du ” proces­sus BSC ” :

  • finance,
  • clients,
  • processus,
  • compétences.


Bien sûr, on recon­naît là plusieurs des caté­gories de base du mod­èle EFQM.

Ces axes sont artic­ulés entre eux par des liens de causal­ité clairs, défi­nis au cas par cas, qui expri­ment la stratégie de l’en­tre­prise et per­me­t­tent de mesur­er les effets des déci­sions pris­es. Il peut y avoir autant de tableaux de bord que d’ac­tiv­ités. L’axe financier reste ” clas­sique “, et est exprimé en ter­mes de chiffre d’af­faires, de retour sur investisse­ment, de ratios…

Pour chaque fac­teur stratégique, les indi­ca­teurs de per­for­mance sont iden­ti­fiés ; mais comme cette étape est de loin la moins évi­dente, elle a recours à des mod­èles déjà rodés sur un grand nom­bre d’en­tre­pris­es. Puis fac­teurs stratégiques, gains opéra­tionnels et indi­ca­teurs sont déclinés aux niveaux N‑1 (et N‑2 si néces­saire) de l’en­tre­prise et suiv­is mois par mois.

Comme exem­ple, la fig­ure 2a mon­tre le mod­èle budgé­taire et la fig­ure 2b le mod­èle ” valeur-clients “, mod­èles qui ont été mis au point avec plusieurs sociétés opérant dans des marchés différents.

La fig­ure 3 donne l’ap­pli­ca­tion du mod­èle au fac­teur stratégique ” clients “, par l’ac­tiv­ité ” ser­vices ” de la société AAA. Ayant bien inté­gré l’im­por­tance du développe­ment de ses com­pé­tences pro­fes­sion­nelles et de man­age­ment pour l’at­teinte de ses objec­tifs stratégiques, la société AAA leur a don­né toute leur impor­tance, dans l’ap­pli­ca­tion de la méthode, comme l’il­lus­tre la fig­ure 4.

La méthode BSC assure la cohérence entre les objec­tifs ” clients ” des activ­ités de niveau N‑1, ou N‑2 (mar­ket­ing, pro­duc­tion, ser­vices, ventes…), avec ceux de la direc­tion de la société.


Conclusion

La méthode ” BSC “, liée au mod­èle EFQM, a été implan­tée avec notre con­cours depuis trois ans dans plusieurs sociétés dans des secteurs très dif­férents : indus­trie de biens de grande con­som­ma­tion, sociétés de ser­vice, infor­ma­tique de gestion…

Le retour d’ex­péri­ence per­met de porter un pre­mier juge­ment sur son impact réel.

Son pre­mier avan­tage recon­nu est dans son apti­tude à focalis­er tous les niveaux de l’en­tre­prise sur les pri­or­ités stratégiques, et à franchir les obsta­cles man­agéri­aux qui s’op­posent sou­vent au déploiement.

Le sec­ond se traduit par la sat­is­fac­tion, partagée par toutes les entre­pris­es clientes, de voir mobil­isés dans la même direc­tion tous leurs act­ifs incor­porels : com­pé­tence humaine, moti­va­tion du per­son­nel, nou­velles tech­nolo­gies, man­age­ment par les proces­sus… Ce résul­tat est en grande par­tie lié à la dis­ci­pline naturelle et con­crète qu’im­pose ” BSC ” en matière de com­mu­ni­ca­tion interne dans l’entreprise :

  • organ­i­sa­tion de la com­mu­ni­ca­tion des per­for­mances, par la com­mu­ni­ca­tion graphique et automa­tique des tableaux prospectifs,
  • revue sys­té­ma­tique des performances,
  • plans d’ac­tion aux dif­férents niveaux., tant stratégique que opéra­tionnel, et faisant ain­si de la créa­tion de valeur une véri­ta­ble dimen­sion de la cul­ture d’entreprise.


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Bib­li­ogra­phie
R. Kaplan and D. Nor­ton : Com­ment utilis­er le tableau de bord prospec­tif. Édi­tions d’Organisation.

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