Un industriel à la Banque centrale

Dossier : La banqueMagazine N°580 Décembre 2002
Par Jean-Pierre GÉRARD (60)

Ces deux exem­ples récents per­me­t­tent de saisir a pos­te­ri­ori l’in­térêt de la présence d’un indus­triel au sein du Con­seil de la Poli­tique moné­taire de la Banque de France1. Cela a été mon cas pen­dant les six années de mon man­dat, et je voudrais ici expli­quer l’u­til­ité des approches plus con­crètes car­ac­téris­tiques du monde de l’en­tre­prise, et sou­vent ignorées par notre haute admin­is­tra­tion, et les ban­quiers centraux.

Je voudrais égale­ment abor­der ici les points de la poli­tique moné­taire pour lesquels la cul­ture entre­pre­neuri­ale a un réel apport dans les organ­ismes où les aspects de crois­sance croisent les prob­lèmes financiers. J’ex­poserai la manière dont j’ai perçu les logiques au sein de la Banque de France, puis ce qui transparaît du fonc­tion­nement de la Banque cen­trale européenne. Mais avant cela il me faut revenir sur deux points qui con­di­tion­nent le développe­ment économique :

1) la néces­sité de l’en­det­te­ment pour le monde indus­triel et de ce que toute crois­sance économique vigoureuse va de pair avec une poli­tique moné­taire expansive ;

2) les logiques des financiers et des entre­pre­neurs s’op­posent : pour les pre­miers l’ar­gent est une fin et a une exis­tence en lui-même, pour les sec­onds c’est un moyen pour d’autres objectifs.

Les analy­ses que j’ex­pose cor­re­spon­dent à ma sen­si­bil­ité ; elles sont sans doute par­fois sub­jec­tives mais elles ont tou­jours été con­fron­tées à la réalité.

Développement économique et logique des acteurs

L’importance du développement de l’endettement

Quel que soit le pays, quel que soit son sys­tème économique, le développe­ment des activ­ités n’est qu’un gigan­tesque pari sur l’avenir, même dans les entre­pris­es exis­tantes. Quel que soit le pays, quel que soit son sys­tème économique, la total­ité des paris doivent être réus­sis en nom­bre suff­isant pour que les emprunts, pour les uns, les prêts, pour les autres, soient rem­boursés avec une rentabil­ité des cap­i­taux investis supérieure aux taux réels. Or tous les paris ne pour­ront pas réus­sir. Les réus­sites devront donc pay­er pour les échecs si l’on veut que le pays se développe, ce que, à ma con­nais­sance, tous les gou­verne­ments de gauche ou de droite recherchent.

En d’autres ter­mes, la rentabil­ité moyenne ex post doit être égale à la rentabil­ité prévue ex ante majorée d’un coef­fi­cient pro­por­tion­nel au taux d’échec. Con­traire­ment à l’idée répan­due mais fausse, pour dévelop­per l’emploi, il faut accroître le taux de prof­it des réus­sites2 afin de com­penser les con­séquences des échecs inévita­bles. La dette et sa rentabil­i­sa­tion sont le nœud du développement.

Selon une autre approche, plus his­torique, on con­state que les péri­odes de crois­sance sont allées de pair avec la mise sur les marchés financiers de nou­veaux instru­ments financiers. La décen­nie 80 avec Pierre Béré­gov­oy en France avait été par­ti­c­ulière­ment ” inven­tive ” même si l’essen­tiel venait de l’adap­ta­tion des pra­tiques anglo-sax­onnes et a con­duit à l’ex­pan­sion de la fin de la décennie.

De la même manière la poli­tique moné­taire expan­sive menée en France à par­tir de 1996 a per­mis de béné­fici­er en 1997, 1998, 1999 et 2000 de taux de crois­sance tout à fait excep­tion­nels. Mais tout nou­v­el instru­ment financier, quelle que soit la manière d’en­vis­ager les choses, recou­vre une seule réal­ité : un accroisse­ment de l’en­det­te­ment. Les seules nou­veautés, qui leur valent, à ce titre, quelques suc­cès, rési­dent dans l’or­gan­i­sa­tion de la répar­ti­tion du prof­it et tou­jours par l’ac­croisse­ment de la part réservée au financier en cas de suc­cès au détri­ment de l’é­conomie tout entière en cas d’échec3.

L’ex­em­ple du fonds LTCM4, auquel apparte­naient deux prix Nobel d’é­conomie, MM. Mer­ton et Scholes, est à cet égard par­ti­c­ulière­ment clair. Avec une mise ini­tiale de qua­tre mil­liards de dol­lars, les gains en péri­ode faste étaient du même ordre de grandeur. Mais avec la crise thaï­landaise et le retourne­ment des marchés, la perte glob­ale aurait dû être d’une cen­taine de mil­liards de dol­lars que les acteurs auraient été bien en peine de cou­vrir. Pour cou­vrir ce risque, la Fed­er­al Reserve Bank (la col­lec­tiv­ité) est inter­v­enue pour injecter des liquidités.

Si l’on se réfère aux péri­odes passées, on con­state tou­jours que le développe­ment des moyens moné­taires (soit par la sous-éval­u­a­tion de la mon­naie, soit par la baisse des taux d’in­térêt) a tou­jours été à l’o­rig­ine du développe­ment économique. Le développe­ment est par­fois inter­rompu par un krach comme celui que nous vivons en 2001 et 2002, non pas en rai­son de l’im­por­tance de la masse moné­taire mais parce que l’ensem­ble des pro­jets financés a une rentabil­ité insuffisante.

L’opposition des logiques des chefs d’entreprise et des banquiers

Si donc, comme je le pense, et comme les faits m’en con­va­in­quent, la crois­sance économique est d’au­tant plus vive que l’on peut s’en­det­ter, pourquoi y a‑t-il inter­rup­tion bru­tale de la crois­sance économique ? À notre sens, l’op­po­si­tion entre les logiques internes aux struc­tures ban­caires et aux struc­tures économiques joue un rôle cen­tral en ren­dant pos­si­ble le finance­ment de pro­jets à la rentabil­ité aléatoire.

1) La logique du chef d’entreprise

Ce qui lui importe, c’est la rentabil­ité des cap­i­taux investis, quelle que soit l’o­rig­ine de ces cap­i­taux. En effet cette rentabil­ité doit être supérieure au taux moyen des ressources.

Par nature le chef d’en­tre­prise cherche à inve­stir et doit donc s’en­det­ter5. Il promet pour cela une rentabil­ité future. Cette approche est la seule val­able pour pro­gress­er et lorsqu’elle a été pos­si­ble pour beau­coup d’en­tre­prenants, elle a per­mis les péri­odes de forte croissance.

2) La logique du banquier

Le ban­quier prête. Il prête sur des fonds qui ne lui appar­ti­en­nent pas, mais surtout il prête ce que la Banque cen­trale lui per­met de prêter. Plus les taux de refi­nance­ment sont bas, plus il peut prêter. L’en­det­te­ment intérieur total aug­mente. Cette aug­men­ta­tion de l’EIT assure à elle toute seule la crois­sance de l’activité.

Jusque-là rien que de très banal, mais com­ment prêter, à qui prêter, quels pro­jets soutenir. Par déf­i­ni­tion, le ban­quier ne croit à rien de pré­cis, sinon il serait chef d’en­tre­prise et met­trait en œuvre son pro­jet. Il est donc obligé de se référ­er à un cer­tain nom­bre de critères (qual­ité des hommes, passé de l’en­tre­prise, etc.).

3) L’op­po­si­tion des logiques

Nous avons donc d’un côté un homme qui croit à un pro­jet, qui sait le ven­dre et qui est habité par une vision du futur, de l’autre un homme écartelé entre la volon­té de dévelop­per la pos­ses­sion de signes moné­taires, la crainte de pass­er à côté de bonnes affaires, et le risque inhérent à des activ­ités qu’il com­prend d’au­tant plus mal qu’elles doivent être plus inno­vantes pour réussir.

Durant les péri­odes où les évo­lu­tions tech­niques ou soci­ologiques sont lentes, le sys­tème ban­caire se révèle grosso modo adap­té. Avec le temps les critères de sélec­tion des dif­férents pro­jets économiques se déga­gent. En revanche pen­dant les péri­odes d’évo­lu­tion rapi­de les anciens critères ne sig­ni­fient plus rien. Ain­si l’In­ter­net, les change­ments soci­aux liés à la mon­di­al­i­sa­tion et la social­i­sa­tion tou­jours aggravée de l’é­conomie ont, en quelques années, boulever­sé les per­spec­tives et ren­dent plus dif­fi­cile la sélec­tion des pro­jets des entrepreneurs.

C’est dans ce cadre que la ” mode ” fait des rav­ages en finançant des activ­ités qui ne mérit­eraient pas de l’être (sou­venons-nous de ces dot.com aux ser­vices totale­ment gra­tu­its, et financées alors qu’elles n’avaient aucun espoir de rentabil­ité) et en tuant les activ­ités sérieuses plus longues à se met­tre en place et qui arrivent dès lors trop tard.

Il me faut cepen­dant sig­naler que cette oppo­si­tion est beau­coup plus vive en Europe où les deux mon­des de la banque et de l’en­tre­prise s’in­ter­pénètrent peu, qu’aux États-Unis. La Fed, ain­si que le pou­voir poli­tique, est imprégnée de microé­conomie, et lors de mes déplace­ments à Wash­ing­ton, j’ai mesuré à quel point la vision était dif­férente. J’avais l’im­pres­sion d’être en phase avec les organ­ismes de la Fed, alors que j’avais le plus grand mal à Paris à faire pren­dre ces approches en con­sid­éra­tion. D’ailleurs je n’at­tribue pas à d’autre cause les suc­cès de la poli­tique moné­taire de M. Greenspan dans les années quatre-vingt-dix.

La logique de la Banque de France

L’op­po­si­tion entre banque et entre­prise est déjà dif­fi­cile à sur­mon­ter, mais cet obsta­cle devient car­ré­ment infran­chiss­able dès lors que la Banque cen­trale se com­porte en ” banque des ban­ques “, et n’a l’œil rivé que sur deux indicateurs :

  • la force de la monnaie,
  • l’inflation.


Sur ces deux ter­mes là encore, les logiques s’opposent.

La force de la monnaie

Pour la qua­si-total­ité de la Banque de France, et de la Banque cen­trale européenne, la force de la mon­naie (le franc puis l’eu­ro) se mesure par son pou­voir d’achat extérieur. Sur ce point l’ac­cord est total. La diver­gence vient de ce que, pour un indus­triel, le pou­voir d’achat vient de l’échange. On peut val­able­ment soutenir qu’une mon­naie est d’au­tant plus forte qu’elle est sous-val­orisée, amélio­rant ain­si les capac­ités d’échange6. Sans aller jusqu’à la sous-val­ori­sa­tion, une val­ori­sa­tion cor­recte autorise une poli­tique moné­taire plus expan­sive favor­able à la rentabil­ité des activités.

Seul Wim Duisen­berg a émis, en début de man­dat, des opin­ions de ce style qui lui per­me­t­taient de ne pas s’alarmer de la dépré­ci­a­tion de l’eu­ro et on l’a traité de gaffeur.

Qui ne voit que la val­ori­sa­tion de l’eu­ro à 0,88 dol­lar a été un fan­tas­tique atout, pour la crois­sance, pour la cohé­sion moné­taire de l’Eu­rope, et la réus­site de l’euro ?

Pour des raisons symétriques, l’ap­pré­ci­a­tion de l’eu­ro va intro­duire des ger­mes de ten­sions entre tous les pays d’Eu­rope alors même que les fac­teurs d’a­juste­ments moné­taires n’ex­is­tent plus et que la flex­i­bil­ité est mise à mal par les poli­tiques socialisantes.

L’inflation

De fait le prob­lème posé par la dérive des prix, dont il faut à l’év­i­dence com­bat­tre les excès, devrait être vu de manière moins dog­ma­tique. La Banque de France s’im­pose des con­traintes qui n’ont pas lieu d’être. Ainsi :

Les Ban­ques cen­trales ten­tent tou­jours de jus­ti­fi­er leur rôle par la men­ace de résur­gence de l’in­fla­tion, mais très sou­vent elles cri­ent ” au loup ” plus pour se jus­ti­fi­er qu’en rai­son du dan­ger. Il est vrai que dans nos pays où les rigid­ités sociales ont été aggravées, ce risque n’est pas nul car notre poten­tiel de crois­sance a été réduit à quelque 1,5 à 2 %.
 
La con­séquence en est que toute crois­sance supérieure à cette valeur nous serait inter­dite, même si nous savons par­faite­ment qu’avec ce taux le chô­mage ne peut que croître.
 
Pour la Banque de France et la Banque cen­trale européenne il faut frein­er la crois­sance avant même qu’elle ait ten­dance à repartir.

1) J’ai tou­jours pen­sé que nous devri­ons ignor­er l’in­fla­tion importée, c’est-à-dire celle qui vient du coût de l’én­ergie, du coût des matières pre­mières et surtout du coût des pro­duits importés. Peu nous importe que les pro­duits chi­nois aug­mentent, au con­traire c’est un atout pour nous. Que le prix du pét­role aug­mente est sans incon­vénient parce que l’aug­men­ta­tion est la même pour tous.

2) Il est égale­ment néfaste de penser que l’on doive lim­iter l’in­fla­tion à 2 % max­i­mum. Cette valeur, en effet beau­coup trop faible, surtout en péri­ode de muta­tion rapi­de de l’é­conomie, n’est pas souhaitable. L’é­conomie bouge, et il existe tou­jours à un moment ou à un autre des raretés et des rigid­ités (par exem­ple admin­is­tra­tives), qui accrois­sent le niveau des prix. Vouloir main­tenir à tout prix une infla­tion inférieure à 2 % peut con­duire à faire peser sur le sys­tème pro­duc­tif privé (le seul qui a fait la preuve de sa capac­ité à accroître la pro­duc­tiv­ité) un poids beau­coup trop lourd. Ain­si une moyenne à 1,5 % oblige l’in­dus­trie à faire baiss­er ses prix de 5 à 10 %, et la crois­sance indis­pens­able de la pro­duc­tiv­ité pour attein­dre cette moyenne est de même ampleur. Elle est impens­able sur une longue période.

On voit bien dès lors com­ment ces deux con­cep­tions s’op­posent. L’une est celle du ren­tier qui souhaite main­tenir son pou­voir d’achat nation­al et inter­na­tion­al et pour qui la mon­naie est un objec­tif en soi. Pour l’in­dus­triel que je suis, la rente ne m’im­porte que dans la mesure où elle me per­met de mesur­er mon effi­cac­ité. La con­séquence macroé­conomique du com­porte­ment des entre­pre­neurs est que l’ef­fi­cac­ité max­i­male sera obtenue dans la mesure où tout le poten­tiel pro­duc­tif de la nation aura été valorisé.

La Banque centrale européenne

Le Con­seil de la Poli­tique moné­taire de la Banque de France a su pen­dant toute une péri­ode tir­er prof­it des approches aus­si dif­féren­ciées mais com­plé­men­taires. Trois à qua­tre de ses mem­bres avaient acquis ces con­vic­tions par la pra­tique ou par le con­tact avec le monde de l’en­tre­prise, voire même par une approche uni­ver­si­taire fondée sur l’ob­ser­va­tion. Il exis­tait donc, au sein du Con­seil, un cer­tain équili­bre des posi­tions et un réel souci de favoris­er l’ac­tiv­ité dans un cadre per­me­t­tant aus­si de lim­iter l’in­fla­tion. Il est vrai que nous avons été aidés par la remon­tée du dol­lar à par­tir de novem­bre 1996 à la suite des débats de novem­bre 1996 sur les ten­sions au sein du SME en liai­son avec la sous-éval­u­a­tion du dol­lar à cette époque.

Depuis l’ar­rivée de l’eu­ro en 1999, la poli­tique moné­taire au niveau européen est menée par l’in­stance qui regroupe les mem­bres du direc­toire de la Banque cen­trale européenne ain­si que les gou­verneurs des ban­ques cen­trales. Ces hommes et ces femmes ont tous une cul­ture ban­caire et sou­vent celle-là seule­ment. Le statut d’indépen­dance don­né aux gou­verneurs ne per­met même pas aux Con­seils nationaux, dans la con­cep­tion de Maas­tricht, d’abor­der ces notions, de faire val­oir ces autres opin­ions et surtout d’en tenir compte.

On en a une illus­tra­tion récente. Alors que la crois­sance n’est plus au ren­dez-vous de la con­jonc­ture et que l’eu­ro s’est réap­pré­cié par rap­port au dol­lar, la poli­tique moné­taire aurait dû regag­n­er en expan­siv­ité par les taux, ce qu’elle avait per­du avec les changes. Cela fait donc au moins six mois que les taux de refi­nance­ment de la Banque cen­trale européenne, à l’in­star des taux améri­cains, auraient dû baiss­er. Nous sommes encore à 3,25 % alors qu’ils sont à 1,75 % aux États-Unis. Nous auri­ons évité une par­tie de la dépré­ci­a­tion des valeurs d’ac­t­ifs en par­ti­c­uli­er bour­siers7, et peut-être lim­ité la casse.

Si la BCE avait agi ain­si, elle aurait été mieux armée pour cri­ti­quer les gou­verne­ments sur leur poli­tique budgé­taire. Il est quand même éton­nant que J.-C. Trichet et la Banque cen­trale européenne, si prompts à accuser les déficits actuels pour 2004, aient été aus­si peu dis­erts lorsque le Gou­verne­ment français a, en 1999 et 2000, affec­té des recettes con­jonc­turelles à des dépens­es struc­turelles8. N’en déplaise aux ban­quiers cen­traux et aux marchés, Romano Pro­di a par­faite­ment rai­son de dire que le pacte de sta­bil­ité est stu­pide. Stu­pide il l’est pour trois raisons :

  • la pre­mière est qu’il ne tient aucun compte de la con­jonc­ture. De fait, les bud­gets nationaux devraient être oblig­a­toire­ment en excé­dent si l’ac­tiv­ité est élevée. Per­son­ne n’a fait cet effort en péri­ode de haute con­jonc­ture, trop soucieux de dépenser une ” cas­sette “, pour des raisons élec­torales. L’ab­sence de référence à l’ac­tiv­ité dans le pacte est totale­ment illogique ;
  • les pénal­ités prévues aggrav­eraient le phénomène qu’elles sont cen­sées punir (comme si on accélérait encore une voiture dont les freins chauffent) ;
  • il est égale­ment stu­pide car le déficit sig­ni­fie que l’on recourt à l’en­det­te­ment. Or s’en­det­ter n’est pas en soi cri­ti­quable. Mais on ne doit s’en­det­ter que pour pré­par­er le futur et inve­stir. Cela est nor­mal et souhaitable si les pro­jets financés sont suff­isam­ment rentables.


Mal­heureuse­ment les pays d’Eu­rope s’en­det­tent pour pay­er les dépens­es de fonc­tion­nement et des investisse­ments à rentabil­ité par trop néga­tive (SNCF, inef­fi­cac­ité de l’É­d­u­ca­tion nationale) sans pré­par­er le futur (démo­gra­phie, défense, etc.).

Au fond Romano Pro­di lève le voile sur une réal­ité, et on l’ac­cuse de gaffer. Il se com­porte comme ceux qui sont au con­tact des réal­ités humaines.

Au-delà des diver­gences nées de la con­cep­tion poli­tique de l’avenir, la présence de per­son­nal­ités du monde de l’in­dus­trie ou très proches a été un incon­testable enrichisse­ment pour la Banque de France et pour la poli­tique moné­taire française.

Je crois que la diver­sité des expéri­ences et surtout l’op­po­si­tion de cer­tains d’en­tre nous aux sché­mas et aux représen­ta­tions véhiculés par l’ad­min­is­tra­tion et la Banque cen­trale ont été très utiles. Aujour­d’hui, la Banque cen­trale européenne a repro­duit la con­cep­tion antérieure sans avoir en face d’elle une autorité poli­tique qui lui apporterait une autre vision ni sans avoir en son sein des per­son­nal­ités capa­bles d’ap­porter un autre éclairage.

La Bun­des­bank, la Banque de France indépen­dante, la Banque du Japon et la Banque d’An­gleterre ont ou avaient un pou­voir poli­tique en face d’elles et elles doivent ou devaient en tenir compte. Rien de cela pour la Banque cen­trale européenne. Fran­cis Mer a en face de lui l’é­dredon mou de l’Eu­rope moné­taire qui jus­ti­fie la poli­tique moné­taire de Paris par un risque d’in­fla­tion virtuelle que ferait peser sur l’eu­ro la hausse des prix à Bari, Val­ladol­id ou Dublin, pesant pour­tant très peu dans l’u­nivers européen.

J’ai ten­té ici en quelques lignes de mon­tr­er ce que mon expéri­ence a pu apporter, et l’analyse que j’ai pu faire, des oppo­si­tions que j’ai con­statées. Bien évidem­ment les sché­mas et les représen­ta­tions ont été sim­pli­fiés pour les ren­dre plus clairs.

Le poids poli­tique de la vision ren­tière de l’é­conomie s’est accru au détri­ment de la vision favor­able au développe­ment, et les choix de poli­tique moné­taire s’en ressen­tent. J’y vois là une des con­séquences néfastes, voire mortelles pour notre con­ti­nent, du vieil­lisse­ment de sa pop­u­la­tion, qui cherche à con­serv­er les signes moné­taires du cap­i­tal qu’elle croit avoir accu­mulé, sans com­pren­dre que ce cap­i­tal ne vaut que par la san­té et le développe­ment de l’é­conomie. Il est indis­pens­able que dans notre pays les voix plus favor­ables au développe­ment se fassent de nou­veau entendre.

La dif­férence de richesse entre Européens et Améri­cains qui s’é­tait resser­rée se réac­croît aujour­d’hui, et nous finançons le bien-être de la généra­tion actuelle par des traites sur l’avenir. Nous avons, à mon sens, trop tardé pour réa­gir. Inter­venir pour que la poli­tique moné­taire de la Banque cen­trale européenne intè­gre ces con­sid­éra­tions serait un pre­mier pas. 

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1. A con­trario on saisit le manque qui se man­i­feste aujour­d’hui au niveau de la Banque cen­trale européenne, dont le Con­seil est exclu­sive­ment bancaire.
2. Je rap­pelle que seules les réus­sites sont visibles.
3. Cela a été vrai avec la Com­pag­nie des Indes, la tulipo­ma­nia, etc. Voir les analy­ses de Galbraith.
4. Long Term Cap­i­tal Man­age­ment. Il s’ag­it d’un Hedge Fund dont la notoriété vint de la par­tic­i­pa­tion de MM. Mer­ton et Scholes, prix Nobel d’é­conomie 1997, grâce à leurs travaux sur les pro­duits dérivés, la spé­cial­ité de LTCM. Le mod­èle mis au point fonc­tion­nait remar­quable­ment à la hausse mais ne prévoy­ait pas de retourne­ment possible.
5. On doit con­sid­ér­er que tous les cap­i­taux d’une entre­prise doivent être rémunérés comme s’il s’agis­sait d’en­det­te­ment auprès du sys­tème bancaire.
6. L’opin­ion publique relaie d’ailleurs ce point de vue, car à quoi sert d’avoir une mon­naie sur- val­orisée, si du coup 12 % de la nation (les chômeurs) est inter­dite d’échange.
7. Quand les taux bais­sent, la valeur des act­ifs augmente.
8. CMU, 35 heures, etc., cela avait déjà été le cas dans la péri­ode 1987–1990.

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