Huit grandes tendances mondiales appelées à changer l’économie bancaire

Dossier : La BanqueMagazine N°622 Février 2007Par Jean-Christophe MIESZALAPar Stéphano VISALLIPar Félix WENGER

L’âge des marchés de capitaux

Les act­ifs financiers mon­di­aux devraient qua­si­ment quadru­pler et pass­er de 136 000 mil­liards de dol­lars en 2004 à plus de 500 000 mil­liards de dol­lars en 2020. Cette crois­sance des act­ifs financiers va dépass­er celle du PIB. Banque d’in­vestisse­ment, ges­tion d’ac­t­ifs et banque privée en prof­iteront massivement.

La crois­sance est générale­ment le pro­duit d’un cer­cle vertueux. Les tech­niques de titri­sa­tion devi­en­nent tou­jours plus sophis­tiquées à mesure que la tech­nolo­gie de la dés­in­ter­mé­di­a­tion s’améliore, tout cela per­me­t­tant au cap­i­tal de trou­ver des pro­fils de risque dif­féren­ciés (et non cor­rélés). Il est déjà pos­si­ble de titris­er et de négoci­er des risques aus­si dif­férents que les cat­a­stro­phes naturelles, le défaut de paiement sur un prêt ban­caire, la valeur d’un loge­ment indi­vidu­el ou la volatil­ité du marché d’une matière pre­mière. Cette ten­dance va se pour­suiv­re alors que de nou­velles class­es d’ac­t­ifs font leur appari­tion et per­me­t­tent aux investis­seurs d’amélior­er le pro­fil risque-ren­de­ment de leurs porte­feuilles. Si l’évo­lu­tion du marché améri­cain peut servir de guide, les ban­ques tireront béné­fice de la mise en place ou du ren­force­ment de leurs fran­chis­es de clien­tèle whole­sale et d’une atten­tion par­ti­c­ulière portée à des secteurs comme l’im­mo­bili­er. De nou­velles oppor­tu­nités vont égale­ment se présen­ter dans le secteur pub­lic, avec l’es­sor du finance­ment public-privé.

Cela n’empêche pas, naturelle­ment, la crois­sance de pro­duits titrisés plus tra­di­tion­nels. Depuis 1993, 29000 mil­liards de dol­lars de titres de dette privée ont été émis, soit plus du dou­ble de la dette des États. Le marché des titres de dette privée devrait croître plus rapi­de­ment que les autres pour représen­ter 29% des act­ifs financiers en 2010, soit juste au-dessus de leur part en 1980.

Les mou­ve­ments de cap­i­taux vont aus­si affecter la banque com­mer­ciale tra­di­tion­nelle, alors que les rela­tions entre l’o­rig­i­na­tion et l’un­der­writ­ing des prêts se dis­ten­dent. Les ban­ques dont les fortes fran­chis­es clients leur per­me­t­tent de maîtris­er l’art d’é­val­uer le prix du risque et de gér­er active­ment leur porte­feuille de crédit vont prospér­er. La banque d’in­vestisse­ment devrait cepen­dant se mon­tr­er gour­mande en fonds pro­pres alors que les opéra­tions pour compte pro­pre et les opéra­tions de cap­i­tal-investisse­ment génèrent une part tou­jours plus impor­tante de revenus.

L’âge du vieillissement

Le phénomène est con­nu : les pop­u­la­tions des pays les plus dévelop­pés et de cer­tains pays d’Asie vieil­lis­sent. Cela va d’abord affecter les flux d’é­pargne. Cette ten­dance démo­graphique com­binée au fait que chaque généra­tion épargne moins que celle qui l’a précédée pour­rait avoir pour effet de réduire les flux d’é­pargne indi­vidu­elle dans les vingt prochaines années, de 35 à 40%! C’est une mau­vaise nou­velle pour l’in­dus­trie mon­di­ale de la ges­tion d’actifs.

Il y a aus­si un effet sec­ondaire qui a moins retenu l’at­ten­tion : dans les dix prochaines années, dans un pays qui vieil­lit rapi­de­ment comme l’I­tal­ie, les act­ifs détenus par les retraités seront sept fois plus impor­tants que ceux de la pop­u­la­tion qui épargne pour sa retraite. Ces clients âgés auront des besoins rad­i­cale­ment dif­férents de leurs prédécesseurs liés à leur longévité, aux dépens­es sup­plé­men­taires de san­té, à l’in­fla­tion et à un éventuel et bru­tal effon­drement des marchés d’ac­tions au début de leur retraite. Les sociétés de ser­vices financiers vont devoir dévelop­per des pro­duits qui soient moins lourds pour leurs bilans et rel­a­tive­ment simples.

Les fron­tières entre assur­ance tra­di­tion­nelle, ges­tion d’ac­t­ifs et banque d’in­vestisse­ment vont s’estom­per et les nou­veaux acteurs auront vite fait de repér­er et de répon­dre à cette opportunité.

L’âge de la valeur client

His­torique­ment, les ban­ques se sont posi­tion­nées de la même manière que les avo­cats, avec des attrib­uts de mar­que comme la con­fi­ance, l’ex­ac­ti­tude et la dis­cré­tion. En dehors de cela, les offres de ser­vices et les gammes de pro­duits étaient virtuelle­ment inter­change­ables d’une banque à l’autre. Il y avait une bonne rai­son à cet état de choses. Les ban­ques étaient alors des lieux où on dépose son argent et effectue des paiements physiques. Désor­mais, la fréquen­ta­tion des agences évolue et la con­fi­ance dans les ban­ques est à un plus bas his­torique dans de nom­breux pays.

Dans d’autres indus­tries sophis­tiquées ori­en­tées vers la con­som­ma­tion, le posi­tion­nement des mar­ques est des­tiné à attir­er des seg­ments cibles défi­nis très pré­cisé­ment. Sur plusieurs marchés, les ban­ques directes et les ban­ques postales offrent le “pro­duit sim­ple à bas coût ” qui trou­ve pre­neur. À l’autre extrémité de l’échelle des prix, la banque privée offre la solu­tion haut de gamme bien que là encore il y ait large­ment de quoi faire pour amélior­er les propo­si­tions aux clients.

Entre ces deux extrêmes, il y a une pop­u­la­tion nom­breuse qui tombe dans toutes sortes de seg­ments de clien­tèle : les épargnants inqui­ets, les familles, les gens éduqués et atten­tifs au con­trôle des coûts, etc. Que ce soit à tra­vers l’of­fre de carte, le con­seil financier ou toute une myr­i­ade de ser­vices ban­caires, les ban­ques doivent saisir ce qui guide le com­porte­ment de ces seg­ments. Les mar­ques se ren­for­cent seule­ment si elles sont en phase avec les gens, et la mar­que n’est rien d’autre que la com­posante la plus vis­i­ble d’une stratégie ori­en­tée vers le client.

Les ban­ques seraient égale­ment avisées de faire preuve d’ex­cel­lence dans la ges­tion de l’ex­péri­ence des clients aux moments cri­tiques (les “moments de vérité”) et de l’idée que ceux-ci se font des prix et de la valeur. Le ser­vice au client pour­rait se révéler une arme déter­mi­nante de con­cur­rence à mesure que l’ap­proche com­mer­ciale passe de cam­pagnes cen­trées sur les pro­duits à un dia­logue avec le client sur ses besoins. La hausse con­stante des dépens­es de mar­ket­ing et de pub­lic­ité devrait ain­si accroître la pres­sion concurrentielle.

L’âge de l’innovation

La révo­lu­tion tech­nologique n’est pas ter­minée. La tech­nolo­gie en soi ne pro­duit pas l’in­no­va­tion mais elle la rend pos­si­ble. Des inno­va­tions bien con­nues comme le mod­èle en ligne d’ING, l’Open­Plan off­set mort­gage de Bar­clays, la nou­velle plate-forme de trad­ing de fonds de JP Mor­gan et le marché pri­maire sur actions en ligne d’UBS sont autant d’ex­em­ples de la façon dont les nou­velles tech­nolo­gies per­me­t­tent de pro­fonds change­ments de l’of­fre de pro­duits et des mod­èles de ser­vice des banques.

Aus­si pro­fondes mais peut-être moins spec­tac­u­laires sont les inno­va­tions de la dis­tri­b­u­tion dans l’ac­tiv­ité banque de détail : moins de guichets, plus de diver­sité dans l’or­gan­i­sa­tion des agences et con­cen­tra­tion des efforts sur la vente et le con­seil. Ces change­ments ne sont pas révo­lu­tion­naires. Ils ont été prédits depuis une ving­taine d’an­nées et se sont lente­ment imposés sur cer­tains marchés. En Europe, la part des coûts de per­son­nel est passée de 59% à 54% au cours des dix dernières années. Elle pour­rait tomber à 44% d’i­ci à 2020.

Autre effet de la tech­nolo­gie : la crois­sance régulière des paiements élec­tron­iques observée au cours des dernières années. NTT DoCo­Mo a util­isé l’In­ter­net et la tech­nolo­gie évo­lu­tive RFID pour met­tre en place un sys­tème de paiement élec­tron­ique qui com­mence à mor­dre le mono­pole des ban­ques japonaises.

L’âge du risque et de la réglementation

Dans un monde qui change rapi­de­ment, la capac­ité des ban­ques à gér­er le risque devient un fac­teur de dif­féren­ci­a­tion. Pour­tant, trop sou­vent, les ban­ques sont pris­es par sur­prise, y com­pris pour des caté­gories clas­siques de risques comme les risques de marché ou de crédit, notam­ment par la créa­tiv­ité de traders ou d’ar­bi­trag­istes créant des struc­tures de risque tou­jours plus com­plex­es. En même temps, les risques sys­témiques se mul­ti­plient et con­stituent de sérieux défis pour les ban­ques et les régu­la­teurs. Étant don­né l’im­por­tance des ban­ques dans l’é­conomie, les régu­la­teurs s’ef­for­cent de ne pas se laiss­er dépass­er par ces évo­lu­tions. Par­al­lèle­ment, Bâle II crée des oppor­tu­nités d’ar­bi­trage qui risquent de sur­ex­pos­er les ban­ques les moins sophistiquées.

En Europe, la régle­men­ta­tion joue aus­si un rôle act­if dans l’har­mon­i­sa­tion des marchés nationaux — d’abord dans la banque de gros et main­tenant dans la banque de détail. Elle facilite la con­cen­tra­tion trans­fron­tières afin de parachev­er le marché unique.

Ces évo­lu­tions représen­tent une très lourde charge finan­cière et une com­plex­ité opéra­tionnelle pour les ban­ques. Celles qui n’ont pas la taille suff­isante pour les maîtris­er et en prof­iter seront con­traintes de sim­pli­fi­er leur organ­i­sa­tion et de réduire la palette de leurs activités.

L’âge des plates-formes mondiales

Les ban­ques opèrent tou­jours plus à l’échelle inter­na­tionale : les 25 plus grandes ban­ques européennes réalisent presque la moitié de leurs affaires en dehors de leurs marchés nationaux.

Des pro­grammes Lean ou Six-Sig­ma, emprun­tés à l’in­dus­trie auto­mo­bile, ont été mis en place dans le cadre de pro­grammes de réduc­tion des coûts, d’amélio­ra­tion de la pro­duc­tiv­ité et de la qual­ité du ser­vice. Les proces­sus sont plus stan­dard­is­és et les vol­umes sont con­cen­trés là où des économies d’échelle peu­vent être réal­isées. Beau­coup de ban­ques exter­nalisent cer­taines tâch­es ou les délo­calisent dans des régions moins coûteuses.

Il n’est pas exagéré d’imag­in­er que, dans vingt ans, les grandes ban­ques inter­na­tionales auront des instal­la­tions off­shore de taille mon­di­ale qui rem­pliront des fonc­tions rem­plies aupar­a­vant par des unités indi­vidu­elles séparées. HSBC par exem­ple emploie plus de 10 000 per­son­nes dans huit cen­tres opéra­tionnels répar­tis au Brésil, en Chine, en Inde et en Malaisie. De même, Amer­i­can Express, Cit­i­group et d’autres grands émet­teurs de cartes de crédit ont créé des instal­la­tions off­shore pour servir leurs bases de clien­tèle mon­di­ale. Stan­dard Char­tered par exem­ple a 13% de son per­son­nel (hors call cen­ter) dans des instal­la­tions offshore.

Les ban­ques qui tirent avan­tage de la stan­dard­i­s­a­tion trans­frontal­ière des pro­duits et des plates-formes infor­ma­tiques glob­ales s’as­sureront un avan­tage com­péti­tif du fait de sub­stantielles économies d’échelle.

L’âge de la concentration

Entre 1980 et 2005, la part des act­ifs ban­caires mon­di­aux détenue par les 30 plus grandes ban­ques améri­caines et européennes a aug­men­té de 8 % à près de 30 %. En Europe, un quart des 100 pre­mières ban­ques opérant en 1993 a été racheté et un tiers a fusion­né. D’i­ci à 2010, nous pour­rions très bien voir des insti­tu­tions finan­cières dont la cap­i­tal­i­sa­tion bour­sière atteindrait les 500 mil­liards de dollars.

Ces “méga­ban­ques” opèrent dans 20 à 30 pays, emploient des cen­taines de mil­liers de per­son­nes, con­stru­isent des mar­ques mon­di­ales et ont entre 50 et 100 mil­lions de clients. La con­ver­gence des marchés et des sys­tèmes aidera ces ban­ques à faire des économies d’échelle crois­santes et à tra­vers­er les frontières.

Les investis­seurs sont de plus en plus con­va­in­cus que les ban­ques haute­ment per­for­mantes peu­vent créer de la valeur par des acqui­si­tions parce qu’elles sont des pro­prié­taires et des opéra­teurs de qual­ité supérieure.

La dif­fi­culté à diriger de telles organ­i­sa­tions est énorme. Dans les ban­ques d’au­jour­d’hui le quart du per­son­nel peut être con­sid­éré comme des pro­fes­sion­nels ou des tra­vailleurs qual­i­fiés. Ils créent de la valeur en générant ou en échangeant de la con­nais­sance avec leurs pairs. De nou­veaux mod­èles organ­i­sa­tion­nels et de ges­tion de la per­for­mance sont nécessaires.

L’âge du réalignement géographique

Avec la fameuse ” glob­al­i­sa­tion “, l’in­dus­trie ban­caire subit une véri­ta­ble sec­ousse sis­mique. Cepen­dant, il faut soulign­er que les États-Unis et l’Eu­rope auront encore la plus grande part des revenus sup­plé­men­taires générés — parce que le moteur des revenus ban­caires est davan­tage l’ac­cu­mu­la­tion totale des act­ifs financiers que la crois­sance du PIB. Même si la crois­sance future est en Asie, ce serait encore les grandes ban­ques à forte présence en Europe, aux États-Unis et peut-être au Japon qui vont con­tin­uer à domin­er les marchés ban­caires internationaux.

En Asie, en Europe et en Amérique latine, la dis­tri­b­u­tion des revenus tend à s’élargir à mesure que les revenus crois­sent. En out­re, dans un monde vorace en énergie, il y aura des oppor­tu­nités impor­tantes dans les douze pays qui con­trô­lent env­i­ron 70% des réserves mon­di­ales en énergie. Il y a donc de belles oppor­tu­nités à saisir dans les vingt prochaines années dans la ges­tion de patrimoine.

Enfin, il est trop tôt pour dire si les marchés ban­caires asi­a­tiques seront dom­inés par des ban­ques améri­caines ou européennes, comme c’est le cas en Europe ori­en­tale et en Amérique latine, ou si des acteurs locaux puis­sants vont les défi­er. La poli­tique va prob­a­ble­ment jouer un grand rôle dans la struc­tura­tion finale de l’industrie.

L’in­dus­trie ban­caire ressem­blera-t-elle en 2020 à celle de l’au­to­mo­bile aujour­d’hui ? Con­traire­ment à l’au­to­mo­bile, le méti­er de la banque est fondé sur la rela­tion per­son­nelle avec le client, où les com­para­isons de prix sont dif­fi­ciles à faire et où la sim­ple réal­i­sa­tion d’é­conomies d’échelle n’est pas une ques­tion de vie ou de mort.

Le sys­tème économique devrait rester riche. Il y aura certes plus de ban­ques glob­ales mul­ti­spé­cial­ités comme HSBC et Cit­i­group. À côté d’elles, il y aura des spé­cial­istes globaux ou régionaux opérant à l’échelle mon­di­ale mais sur des com­bi­naisons sélec­tives de pro­duits et de seg­ments. Les activ­ités comme la con­ser­va­tion, les paiements et le traite­ment seront prob­a­ble­ment le fait de quelques acteurs qui peu­vent s’ap­puy­er sur d’énormes économies d’échelle et servir la plu­part des ban­ques du monde. Les ban­ques de prox­im­ité et les ban­ques régionales vont con­tin­uer à prospér­er en se con­cen­trant sur le cœur de leur base clients et en util­isant les acteurs globaux pour tout ce qu’elles ne peu­vent pas faire elles-mêmes avec efficacité.

Poster un commentaire