Gestion de fortune : quelles pistes pour le redressement ?

Dossier : La banqueMagazine N°580 Décembre 2002
Par Sylvain DURANTON (88)

Une année noire pour la richesse des ménages

Une année noire pour la richesse des ménages

L’é­clate­ment de la bulle finan­cière a mis un terme à la crois­sance régulière de la richesse des ménages. Au cours de l’an­née 2001, elle a bais­sé de 4,4 %, soit une destruc­tion de richesse de 2 900 mil­liards de dol­lars au niveau mon­di­al. L’Amérique du Nord a été la moins touchée, avec une baisse inférieure à 0,5 %, alors que l’Eu­rope et l’Amérique du Sud ont con­nu une baisse de 2,5 % et 3 % respec­tive­ment. Quant à l’Asie, c’est elle qui a le plus souf­fert, avec une baisse de 10,9 %.

Au niveau mon­di­al, les ménages for­tunés ont été sévère­ment affec­tés par la destruc­tion de richesse : leurs avoirs ont fon­du de 5,6 % et ils sont désor­mais 2 mil­lions de moins à dépass­er le seuil de 250 000 dol­lars de pat­ri­moine (seuil retenu ici pour la déf­i­ni­tion des ménages for­tunés). La France est l’un des pays européens les plus con­cernés, avec une baisse du nom­bre de ménages for­tunés de 10,6 %, soit le dou­ble de la moyenne du continent.

L’in­ter­rup­tion de la péri­ode d’en­richisse­ment des ménages, et par­ti­c­ulière­ment des plus for­tunés d’en­tre eux, a porté un coup d’ar­rêt à la crois­sance de l’ac­tiv­ité de ges­tion de fortune.

Une détérioration des résultats des banques privées

Con­séquence du retourne­ment de con­jonc­ture, les revenus des activ­ités de banque privée ont bais­sé en 2001. D’une part, le mon­tant des act­ifs sous ges­tion a dimin­ué, amputant mécanique­ment les revenus tirés de la ges­tion. D’autre part, les investisse­ments ont été réori­en­tés vers des pro­duits à marges plus faibles (oblig­a­tions, dépôts…). Enfin, les clients sont devenus plus exigeants : moins fidèles, ils négo­cient beau­coup plus sys­té­ma­tique­ment les frais et les man­dats ; plus inqui­ets, ils aspirent à un suivi de meilleure qualité.

Le PNB des ges­tion­naires de for­tune de notre échan­til­lon a bais­sé de 6 % dans le monde et de 14 % en Europe (voir graphique 1).

En Europe, où les coûts ont bais­sé de 1 % en 2001, la chute de la con­tri­bu­tion a atteint 34 % (voir graphique 2).


 

Certains acteurs toujours très rentables

Au sein de notre échan­til­lon, les écarts de rentabil­ité vont de 1 à 2,5 pour les ban­ques européennes. Des raisons struc­turelles expliquent en par­tie ces dif­férences. Par exem­ple, les effets d’échelle peu­vent don­ner un avan­tage aux étab­lisse­ments les plus impor­tants. Cepen­dant, de réelles dif­férences d’ef­fi­cac­ité exis­tent, comme le mon­trent les écarts impor­tants de pro­duc­tiv­ité con­statés entre les activ­ités de back-office et de mid­dle-office d’ac­teurs de taille comparable.

Dans notre échan­til­lon, cer­tains ges­tion­naires de for­tune ont con­tin­ué de croître avec un retour sur fonds pro­pres de plus de 20 %. L’analyse détail­lée de leurs modes de fonc­tion­nement per­met de com­pren­dre les raisons de leurs suc­cès et de dégager des pistes pour l’amélio­ra­tion de la performance.

Segmenter et cibler

L’ap­proche suiv­ie par les ges­tion­naires de for­tune pour répon­dre aux besoins de leurs clients est de plus en plus dif­féren­ciée : Fam­i­ly Offices pour les pat­ri­moines de plus de 100 mil­lions d’eu­ros, approche ” sur mesure ” dans des cen­tres de ges­tion de for­tune pour les Very High Net Worth (5 mil­lions d’eu­ros et plus), suivi ” per­son­nal­isé ” pour les High Net Worth (1 mil­lion d’eu­ros et plus), et enfin ser­vice de type banque de réseau pour les Afflu­ents (250 000 euros et plus).

Les ges­tion­naires de for­tune les plus per­for­mants ont réus­si à adapter leur mod­èle de ser­vice, et donc leur mod­èle économique, au(x) segment(s) qu’ils ciblent. Ils sont aus­si plus rigoureux dans la sélec­tion de leurs clients. Aujour­d’hui, deux tiers des étab­lisse­ments de notre échan­til­lon gèrent des pat­ri­moines en dessous de leur seuil de ges­tion déclaré.

En moyenne, 70 % des comptes sont en dessous du ” cœur de cible ” que se fix­ent les ges­tion­naires et 50 % d’en­tre eux n’at­teignent pas le seuil min­i­mum de ges­tion déclaré. L’idée que de ” petits comptes ” peu­vent se dévelop­per pour attein­dre un jour le seuil de ges­tion est séduisante, mais elle n’est sou­vent qu’un leurre : nos analy­ses mon­trent que 50 % des comptes en dessous du seuil de ges­tion l’é­taient déjà trois ans auparavant.

S’attaquer aux coûts

La plu­part des ban­ques privées n’ont pas encore pris la mesure de l’ef­fort de réduc­tion des coûts qui s’im­pose. Au niveau mon­di­al, alors que le PNB a bais­sé en 2001, les coûts ont con­tin­ué d’aug­menter en moyenne de 2 %. L’é­tude révèle que seule une faible minorité de ges­tion­naires con­sid­ère que la réduc­tion des coûts est un enjeu stratégique pri­or­i­taire, la grande majorité d’en­tre eux préférant une stratégie de crois­sance du porte­feuille de clients. Un impor­tant poten­tiel de réduc­tion des coûts existe dans l’ensem­ble des fonc­tions, les ban­ques privées les plus per­for­mantes ont déjà com­mencé à s’y attaquer.

Renforcer l’efficacité des conseillers

Les con­seillers de clien­tèle coû­tent cher, ils représen­tent en moyenne 40 % des coûts d’une banque privée. Plusieurs leviers per­me­t­tent de ren­forcer leur effi­cac­ité. Les con­seillers de clien­tèle passent moins de 50 % de leur temps avec leurs clients : l’al­lége­ment des tâch­es admin­is­tra­tives doit leur per­me­t­tre de con­sacr­er plus de temps au développe­ment com­mer­cial. Ensuite, notre étude mon­tre qu’or­gan­is­er les con­seillers en équipes per­met de tra­vailler plus effi­cace­ment, avec un opti­mum pour des équipes de qua­tre à six con­seillers. Or, près de 80 % des ban­ques privées fonc­tion­nent encore sur le mod­èle du con­seiller unique.

Notre étude mon­tre que les acteurs les plus per­for­mants ont des con­seillers capa­bles de génér­er un PNB supérieur tout en coû­tant moins cher en moyenne que ceux de leurs con­cur­rents (graphique 3).

En opti­misant l’ef­fi­cac­ité de leurs réseaux de con­seillers, ces acteurs sont ain­si par­venus à con­stru­ire à la fois un avan­tage de coûts et un avan­tage de revenus.

Reprendre en main la tarification

La tar­i­fi­ca­tion est un levi­er impor­tant d’amélio­ra­tion de la rentabil­ité. Les ges­tion­naires améri­cains dont les revenus dépendaient surtout des com­mis­sions sur trans­ac­tions ont vu leur rentabil­ité baiss­er de 109 % ! Leurs pertes révè­lent l’i­nadap­ta­tion de leur struc­ture de tar­i­fi­ca­tion aux con­di­tions de marché.

Même si les ban­ques européennes ont été moins touchées, elles doivent néan­moins faire évoluer leurs grilles tar­i­faires afin de se pré­mu­nir con­tre ce type de risques.

La rigueur dans l’ap­pli­ca­tion des con­di­tions tar­i­faires est tout aus­si pri­mor­diale que la struc­ture de la grille. Trop sou­vent lais­sés à la libre appré­ci­a­tion du con­seiller, les taux des com­mis­sions peu­vent vari­er de 1 à 2 pour des clients com­pa­ra­bles au sein de la même insti­tu­tion. Les acteurs qui ont entre­pris des démarch­es de ratio­nal­i­sa­tion de leur poli­tique tar­i­faire ont sou­vent pu amélior­er leur rentabil­ité de plus de 10 %.

Adapter les gammes de produits

La demande des clients a évolué avec la crise finan­cière. Les pro­duits dits ” décor­rélés ” (hedge funds, pri­vate equi­ty) sus­ci­tent un intérêt crois­sant de la part des investisseurs.

Soutenus par un effort de mar­ket­ing adéquat, ces nou­veaux pro­duits à fortes marges offrent un poten­tiel de crois­sance sig­ni­fi­catif. Leur intro­duc­tion va aug­menter la com­plex­ité déjà impor­tante des gammes des ges­tion­naires de for­tune. Elle engen­dre mécanique­ment une aug­men­ta­tion des coûts de ges­tion : mul­ti­pli­ca­tion des inter­faces avec des four­nisseurs externes, besoin crois­sant de for­ma­tion des con­seillers, com­plex­ité accrue du report­ing, hausse du nom­bre de cam­pagnes mar­ket­ing nécessaires…

Pour y faire face, les ban­ques les plus per­for­mantes de notre échan­til­lon ont une ges­tion active de leur gamme et préfèrent élim­in­er cer­tains pro­duits pour mieux maîtris­er leurs coûts de gestion.

Préparer l’avenir

Comme d’autres secteurs, la ges­tion de for­tune tra­verse une zone de tur­bu­lences : les mod­èles économiques sont remis en cause, cer­tains mod­èles de ser­vice se révè­lent inadap­tés, la con­cur­rence s’in­ten­si­fie… À moyen terme, le marché de la ges­tion de for­tune devrait cepen­dant se remet­tre à croître. Cer­tains acteurs met­tront la péri­ode actuelle à prof­it pour adapter leurs mod­èles de ser­vice aux clients qu’ils ciblent, réduire leurs coûts, repenser l’or­gan­i­sa­tion de leurs réseaux de con­seillers, faire évoluer leurs gammes de pro­duits et leurs tarifs…

Ils sor­tiront ren­for­cés de la phase de con­sol­i­da­tion qui s’an­nonce et seront les mieux placés pour béné­fici­er de la reprise du marché. 

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