Portrit de Benoît Cœuré par Laurent Simon

Benoît Cœuré (87), un homme de convictions

Dossier : TrajectoiresMagazine N°709 Novembre 2015
Par Pierre LASZLO

Benoît Cœuré allie la jeunesse d’esprit, la réflex­ion lucide et l’expression claire, out­re les qual­ités habituelles aux X, for­més à l’analyse et au raison­nement logique. Comme nom­bre d’autres X, il hési­ta entre les let­tres et les sci­ences, avant de choisir l’économie, par esprit citoyen et incli­na­tion vers la poli­tique, au sens fort, celui d’une bonne organ­i­sa­tion de la société.

Une tribu de littéraires

Ses orig­ines famil­iales le por­taient plutôt vers la rue d’Ulm, avec un grand-père nor­malien et ger­man­iste, une mère nor­mali­enne et com­para­tiste, une sœur aînée nor­mali­enne et historienne.

Autre mem­bre de cette tribu de lit­téraires, sa tante Véronique Schiltz, avec laque­lle il traduisit et pub­lia Acqua alta de Joseph Brodsky.

“ Il aime le questionnement des étudiants, que le respect n’étouffe pas ”

De ces uni­ver­si­taires, il héri­ta plus qu’un tal­ent, une voca­tion d’enseignant. Ce qu’il en aime ? Le ques­tion­nement des étu­di­ants, que le respect n’étouffe pas et qui soulèvent les bonnes ques­tions, de fond. Le rafraîchisse­ment, le réex­a­m­en de ce qu’on croy­ait savoir.

Son père, Philippe, était ingénieur au Cen­tre d’études nucléaires de Greno­ble, où il ter­mi­na sa car­rière en dirigeant la divi­sion Nucléart, exper­ti­sant des objets en bois, dont les fameuses pirogues de Bercy.

Sa mère, Cather­ine, enseignait à l’université Stendhal.

L’appel de la montagne

Benoît Cœuré eut ain­si une enfance grenobloise, suiv­ant les cours du lycée Cham­pol­lion, éprou­vant les joies de la mon­tagne, restée pour lui « essen­tielle », le plaisir de l’effort physique durant la ran­don­née, l’émerveillement devant la beauté du milieu naturel, celle des fleurs dans une prairie d’altitude.

Tous plaisirs aigu­isés dans la rési­dence sec­ondaire famil­iale, proche de La Mure, puis s’enracinant en des besoins durables.

Maths, mécanique et physique

Ses années de pré­pa, à Greno­ble donc, furent mar­quées par Jacques Odoux, un prof de maths exceptionnel.

De ses années sub­séquentes à Palaiseau, Benoît Cœuré garde un excel­lent sou­venir des cours de mécanique de Jean Salençon, et s’enthousiasma pour ceux de Roger Balian, en physique sta­tis­tique, qui lui firent admir­er la fécon­da­tion de la physique par les maths.

Il fut près d’en faire son miel, mais ne se sen­tit pas suff­isam­ment fort en maths pour une car­rière de chercheur en physique théorique.

Du japonais médieval

Les math­é­ma­tiques appliquées lui étant moins ardues, il opta donc pour l’économie.

Avant d’y venir, un dernier mot de ses études à Palaiseau, son ini­ti­a­tion au japon­ais, Mme Ishii Yoko fut son enseignante, puis Mau­rice Coy­aud. Il pour­suiv­it cette for­ma­tion à Paris-VII-Diderot, avec Jacque­line Pigeot et Jean- Noël Robert, aux cours « lumineux » de japon­ais médié­val, jusqu’à la licence obtenue en 1991.

Benoît Cœuré a le Japon en affec­tion, une société pour lui « d’entraide et de gen­til­lesse » ; il estime la cul­ture nip­ponne proche de la nôtre.

Une tradition française

En 1992, il entra à l’INSEE, où il pas­sa trois ans et demi, écon­o­miste en charge de la poli­tique macroé­conomique et de crois­sance. Il y eut comme maître Paul Champ­saur, autre X lui aus­si grenoblois d’origine, qui s’inscrit dans la tra­di­tion française (Alfred Sauvy) d’une économie instru­ite par la démo­gra­phie et la statistique.

“ Il a horreur des intrigants, de ceux qui ne se privent pas de manipuler la vérité ”

Puis ce fut, de 1995 à 1997, la direc­tion du Tré­sor. Benoît Cœuré s’y plut, et son goût mar­qué pour la dis­cus­sion, le débat et la con­tro­verse, la négo­ci­a­tion aus­si, put s’y don­ner libre cours. Dans les années ultérieures, il fut l’un des sher­pas du G20, en 2008–2009, qui lui laisse un excel­lent souvenir.

Il fit une ascen­sion rapi­de des éch­e­lons de son admin­is­tra­tion, où il devint en 2009 directeur général adjoint. Depuis 2012, Benoît Cœuré fait par­tie du direc­toire de la Banque cen­trale européenne.

Le calme dans la tempête

C’est un homme de con­vic­tions, attachant par la richesse de sa per­son­nal­ité, bien infor­mée des arts et des let­tres, fer­vente de poésie (Pierre- Jean Jou­ve) –, et par la con­ti­nu­ité de son par­cours depuis l’X.

La prin­ci­pale qual­ité de Benoît Cœuré, homme ouvert, chaleureux, d’une grande richesse intérieure, est de son pro­pre aveu le calme qu’il con­serve, même dans les moments les plus intenses.

Par con­tre, il a hor­reur des intri­g­ants, de ceux qui ne se privent pas de manip­uler la vérité à des fins personnelles.


Pour en savoir plus :

Avec Agnès Bénassy-Quéré, Économie de l’euro, 3e éd., Paris, La Décou­verte, coll. « Repères », 2014.


RETOUCHE

arti­cle mis à jour le 14 mai 2020

Benoît Cœuré (87) a quit­té ses fonc­tions de directeur de la Banque cen­trale européenne à Franc­fort fin décem­bre 2019. À présent que Chris­tine Lagarde a suc­cédé à Mario Draghi à la tête de la BCE, et comme deux ressor­tis­sants du même pays ne peu­vent coex­is­ter dans sa direc­tion, il est appelé à d’autres fonc­tions. Le gou­verne­ment français l’a d’ores et déjà placé à la tête d’une task force sur la thé­ma­tique des cryp­toac­t­ifs. Le sauve­tage de la Grèce peut lui être crédité.

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