Daniel Suchet

Daniel Suchet (2008) Bâtisseur de connaissances

Dossier : TrajectoiresMagazine N°754 Avril 2020
Par Pierre LASZLO

C’est un bâtis­seur ; au sens de Rabelais (Quart Livre) : « Je ne bâtis que pier­res vives, ce sont hommes. » D’où son appé­tence à enseign­er, au sens large, la médi­a­tion : com­mu­ni­quer non pas les avancées de la sci­ence, mais surtout la démarche sci­en­tifique en ses méth­odes. Ce faisant, il s’est forgé une iden­tité per­son­nelle forte.

Un héritage cosmopolite

Il est issu d’une famille juive cul­turelle­ment, mais non pra­ti­quante ; un grand-père aus­tro-hon­grois, une grand-mère tchèque. Ses par­ents, lui con­cep­teur de pro­jets dans l’élaboration de matières plas­tiques, elle psy­ch­an­a­lyste, lui don­nèrent le goût de la dis­cus­sion, le besoin de la réflex­ion. Il trou­va à y enracin­er son autonomie intellectuelle.

Il est resté extrême­ment proche de sa sœur aînée Myr­i­am : lit­téraire, agrégée de let­tres mod­ernes, maître de con­férences à Paris-III, pio­nnière de l’hétérolinguistique et de l’indiscipline. Le frère et la sœur, en inter­ac­tion forte, ont des par­cours en miroir : ils se veu­lent ou se retrou­vent le reflet l’un de l’autre.

La physique comme vocation

De son côté, ce fut, très jeune, la physique. Épris de ce qui l’amuse, motivé par le plaisir de jouer avec les idées, il fut influ­encé dans sa prime ado­les­cence tant par les his­toires de Pic­sou de Don Rosa que par des livres comme Le can­tique des quan­tiques de Sven Ortoli ou L’Univers élé­gant de Bri­an Green. Il fit ses études de pré­pa au lycée Saint-Louis, à Paris, un choix dic­té par son ambiance peu com­péti­tive, com­paré à d’autres étab­lisse­ments. Il y fut avide d’enseignements, « appren­dre le plus pos­si­ble, le plus vite pos­si­ble ». Pour son tra­vail de fin d’études (tou­jours en pré­pa), son choix se por­ta sur l’Observatoire de Paris. Il y inté­gra le groupe de Jean Souchay. Son tra­vail por­ta sur les quasars, dont surtout leur cat­a­logue astrométrique lui don­na un goût pronon­cé pour la recherche. À l’École, il fut redev­able de sa for­ma­tion en physique des par­tic­ules à Frédéric Fleuret, tan­dis qu’Olivier Drapi­er et Michel Gonin l’initièrent à l’analyse des don­nées, cet art important.

Sa thèse de doc­tor­at, pré­parée au Lab­o­ra­toire Kastler Brossel de la rue d’Ulm, défendue en juil­let 2016, por­ta sur des atom­es de divers élé­ments. Il les étu­dia à des tem­péra­tures ultra­bass­es, à quelques mil­liardièmes de degrés au-dessus du zéro absolu. Il fut attiré au LKB par « l’élégance de la physique quan­tique et par la capac­ité des atom­es froids, à mi-chemin entre expéri­ence et théorie, à ouvrir des fenêtres sur un large spec­tre de prob­lèmes très dif­férents les uns des autres en apparence ».

À la sug­ges­tion d’Yves Bréchet, il lut le livre de David MacK­ay, Sus­tain­able Ener­gy – with­out the hot air (2009). Cette lec­ture le con­va­in­quit de se con­sacr­er à l’environnement et à son amélio­ra­tion. Son stage post­doc­tor­al se fit en 2016–2017, à l’université de Tokyo, sous la super­vi­sion de Yoshi­ta­ka Oka­da et Jean-François Guille­moles. Il por­ta sur les proces­sus quan­tiques de con­ver­sion d’énergie. Il par­tit pour le Japon « pour opér­er ma pro­pre tran­si­tion énergé­tique et voir si je pou­vais met­tre les com­pé­tences que j’avais acquis­es au ser­vice des sujets qui me préoccupent ».

“Mettre les compétences que j’ai acquises
au service des sujets
qui me préoccupent.

Recherche-enseignement-médiation

Depuis plus d’un an, maître de con­férences à l’X, il rejoint le 23e lab­o­ra­toire de l’École, con­sacré au pho­to­voltaïque. Ce secteur est en évo­lu­tion hyper­rapi­de, infir­mant les idées reçues. Depuis quar­ante ans, le coût de pro­duc­tion des pan­neaux décroît de 23 % par an ! Ils ont à présent vingt-cinq à trente ans de durée de vie effi­cace. Le pho­to­voltaïque assure 2 % de la pro­duc­tion d’énergie en France. Le prob­lème majeur, comme d’ailleurs pour le parc éolien, reste l’intégration au réseau.

Durant sa sco­lar­ité sur le Plateau, lors du mas­ter, Daniel Suchet suiv­it les cours de l’astrophysicien Roland Lehoucq, l’une des grandes fig­ures de la vul­gar­i­sa­tion sci­en­tifique à la française. Cela le con­va­in­quit de s’y inve­stir : mis­sion doc­tor­ale au palais de la Décou­verte pen­dant un an, con­férences grand pub­lic inter­ro­geant les liens entre sci­ence et fic­tion, chroniques d’actualité sci­en­tifique pour le site ActuSF ; antholo­gie de sci­ence et de fic­tion dédiée à l’imaginaire du change­ment cli­ma­tique (Nos Futurs, paru­tion prévue à l’été 2020). Il fait par­tie de la com­mis­sion Jeunes de la Société française de physique et il intro­duisit en France en 2013 le Tournoi ­inter­na­tion­al des physi­ciens. En out­re, il est rédac­teur en chef d’Emer­gent ­Sci­en­tist, une revue en accès libre pro­posant aux étu­di­ants une pre­mière expéri­ence de pub­li­ca­tion revue par les pairs. Cela com­plète les som­mets du tri­an­gle (recherche-enseigne­ment-médi­a­tion), pour Daniel Suchet une règle morale forte dans son méti­er de physicien.

Avec son épouse Aline Aurias, dev­enue agricul­trice pour répon­dre à ses pro­pres préoc­cu­pa­tions envi­ron­nemen­tales, ils habitent Bures-sur-Yvette. Daniel Suchet, depuis un an, s’y adonne à la clarinette.

Un par­cours bien rempli !

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