Landry Bretheau

Landry Bretheau (2005) Heureux et accompli

Dossier : TrajectoiresMagazine N°771 Janvier 2022
Par Pierre LASZLO

La famille de Lan­dry Bre­theau est d’origine modeste : grands-pères ouvrier et menui­sier et grands-mères au foyer. Via leurs études supé­rieures, l’ascenseur social his­sa ses parents, sa mère, Fran­çoise, ingé­nieure (CEA puis IRSN) en sûre­té nucléaire ; son père, Thier­ry (1949−2012), mort trop jeune, cher­cheur CNRS en méca­nique des solides, auteur de deux livres sur les maté­riaux. Sa sœur Lucile, de cinq ans son aînée, est gyné­co­logue obstétricienne.

Un être social

Lan­dry Bre­theau est rede­vable à son père de son atti­rance pour la science : « J’étais un petit gar­çon très curieux, et j’avais la chance que mon papa essaye de répondre à toutes mes ques­tions, avec bien­veillance et amour. Même quand ce n’était pas évident : Papa, pour­quoi le ciel est bleu ? » Autre sou­ve­nir d’enfance : « Le pre­mier métier que j’ai vou­lu faire petit, c’était roi. Mes parents m’ont expli­qué que ça n’allait pas être pos­sible. Je me suis alors rabat­tu sur magi­cien (avec des vrais pou­voirs). Encore un peu com­pli­qué. J’ai ensuite vou­lu être vété­ri­naire, puis archéo­logue. J’ai d’ailleurs par­ti­ci­pé à des fouilles en colo­nie de vacances à l’âge de 10 ans, et on a trou­vé un dinosaure ! »

Sa sco­la­ri­té (pri­maire et secon­daire) se fit à Sèvres, en ban­lieue, dans un milieu non com­pé­ti­tif, avec une vie tour­nant autour des copains, des bandes des­si­nées, du sport (vol­ley) et des jeux vidéo et de rôle. La pré­pa en MP au lycée Hoche, à Ver­sailles, fut une période intense et mémo­rable : « J’avais l’avantage d’aimer vrai­ment les maths et la phy­sique, ce qui ren­dait la charge de tra­vail accep­table ; à cette époque, j’avais une pré­fé­rence pour les maths, du fait de la beau­té, de la cohé­rence et de la rigueur de cette science construite et autoportée. »

Il intègre l’X en 2005. Vie sociale très riche et une abon­dance de cours pas­sion­nants. Ren­contre de Ioa­na, étu­diante à l’X venue de Rou­ma­nie (M2008). Ils s’épouseront en 2015 et auront deux petits gar­çons pétillants.

Séduction par la physique quantique

Il fut conquis par l’École : « J’étais inté­res­sé par des cours très divers, des maths à la méca­nique et bien sûr la phy­sique. Mais j’ai eu un véri­table coup de cœur pour la phy­sique quan­tique. » À quoi cela tient-il ? À Jean Dali­bard, en pre­mière ligne : « Je lui dois mes pre­miers émois quan­tiques. Il me fit tom­ber amou­reux de cette science. Je me sou­viens notam­ment du cours sur la RMN : il nous avait par­lé d’IRM, uti­li­sée sur les cer­veaux de jeunes mamans. Une zone spé­ci­fique s’allumait lorsqu’on leur mon­trait une pho­to de leurs propres enfants. La zone de l’amour mater­nel peut-être ? Quel prof génial ! »

Une phrase, écrite au dos du livre de Bas­de­vant et Dali­bard, le marque for­te­ment, don­nant sens à son par­cours : « La méca­nique quan­tique est une des très grandes aven­tures intel­lec­tuelles de l’histoire de l’humanité. […] Elle est incon­tour­nable : toute la phy­sique est quan­tique. […] Cette théo­rie est sub­tile et l’on n’arrive pas vrai­ment à l’expliquer sans le lan­gage mathé­ma­tique. C’est une chance de pos­sé­der le bagage tech­nique pour la comprendre. »

Il pour­suit par un mas­ter 2 en phy­sique fon­da­men­tale entre Orsay et l’ENS, puis décide de ten­ter l’aventure de la recherche. « J’ai vite eu l’intuition qu’il était cru­cial de faire de la recherche expé­ri­men­tale, car la phy­sique est une science, obser­va­tion­nelle et ancrée dans le réel. C’est en mesu­rant qu’on fait pro­gres­ser les choses. » Il effec­tue donc un doc­to­rat au CEA, au sein du groupe Quan­tro­nique, équipe pion­nière dans le domaine de la phy­sique méso­sco­pique et des cir­cuits quan­tiques. « J’en res­sors avec la convic­tion de vou­loir pour­suivre dans la recherche, en conti­nuant à la pra­ti­quer comme un sport collectif. »

Il pour­suit par deux post­doc­to­rats consé­cu­tifs à l’ENS puis au MIT à Bos­ton : « Des expé­riences de vie incroyables, à la fois sur le plan intel­lec­tuel et humain. » Lan­dry Bre­theau est embau­ché en 2017 à l’X, avec son col­lègue et ami d’enfance Jean-Damien Pillet (ENS Ulm 2005), pour démar­rer une recherche sur les cir­cuits quan­tiques hybrides supra­con­duc­teurs. Il y est pro­fes­seur, ensei­gnant aux jeunes X la beau­té de la phy­sique quan­tique et effec­tue sa recherche au sein du labo­ra­toire de phy­sique de la matière conden­sée (où tra­vailla entre autres Clau­dine Her­mann, qui hélas vient de nous quitter).

“En physique quantique, il est indispensable
d’inclure l’observateur comme partie intégrante du modèle.”

Lui qui vou­lait être roi devint prince seule­ment ! Prince de la phy­sique quan­tique expé­ri­men­tale, par d’impressionnantes réa­li­sa­tions. Ain­si, d’une contri­bu­tion de 2015, publiée dans Science : « En phy­sique quan­tique, il est indis­pen­sable d’inclure l’observateur comme par­tie inté­grante du modèle. La mesure induit néces­sai­re­ment une rétro­ac­tion sur le sys­tème étu­dié. Lorsque cette der­nière est forte, elle peut conduire à une modi­fi­ca­tion totale de l’évolution d’un système.

C’est ce qu’on appelle l’effet Zénon quan­tique, du nom du phi­lo­sophe grec qui s’interrogeait sur le mou­ve­ment d’une flèche et for­mu­lait le para­doxe qu’elle était immo­bile à un ins­tant don­né. Zénon ne connais­sait pas la notion de déri­vée infi­ni­té­si­male. Mais ce faux para­doxe prend tout son sens dans le monde quan­tique, dû à la rétro­ac­tion de la mesure. Nous avons pu mettre en œuvre cet effet en effec­tuant une expé­rience avec des cir­cuits supra­con­duc­teurs et des signaux micro-ondes, réso­lus au niveau du pho­ton unique.

Ain­si, à l’aide d’un qubit, nous avons mesu­ré conti­nû­ment le nombre de pho­tons pré­sents dans une cavi­té, tout en exci­tant cette der­nière à réso­nance. Due à cette mesure forte, la cavi­té ne se com­por­tait plus comme un oscil­la­teur clas­sique, mais comme un spin à N niveaux, pré­sen­tant des oscil­la­tions de Rabi cohérentes. »

Lan­dry Bre­theau est fervent de la beau­té sous ses formes cano­niques, la vue depuis un som­met après une ran­don­née en mon­tagne, l’émotion à l’écoute d’une chan­son, l’évasion à la lec­ture d’un grand roman ou plus sim­ple­ment l’identité d’Euler, 1 + ei∏ = 0. Il s’émeut de plus quant à « l’importance dans ma vie de l’amour, de la pen­sée, de l’imaginaire, de la décou­verte, des ren­contres, de la cui­sine, des jeux et de l’art sous toutes ses formes ». Et cite ce moment d’émotion indes­crip­tible « lorsque mon fils qui vient de naître tient mon doigt dans sa petite main ».

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