Portrait de Sophie BOURZEIX (87)

Sophie Bourzeix (87), la recherche appliquée n’est pas sans risques

Dossier : TrajectoiresMagazine N°724 Avril 2017
Par Pierre LASZLO

J’ai eu quelques fois (rares) la sen­sa­tion d’avoir une VRAIE idée. La pre­mière fois, j’étais encore à l’X et je fai­sais un stage de trois mois à l’Institut Poin­ca­ré, dans un labo de rela­ti­vi­té géné­rale. J’étais dans le RER et je réflé­chis­sais. Tout à coup, j’ai eu une illu­mi­na­tion : je savais com­ment faire le cal­cul sur lequel je tra­vaillais depuis plu­sieurs semaines.

J’ai res­sen­ti une joie vive. Du coup, nous avons publié un article. Il s’agissait de mesu­rer la dis­tance (abso­lue) à une étoile binaire en coa­les­cence, grâce à une signa­ture spé­ci­fique des ondes gra­vi­ta­tion­nelles émises.

Ça m’est arri­vé une autre fois dans le RER. J’étais jeune ingé­nieur à Pho­to­ne­tics. J’avais un pro­blème avec notre laser accor­dable : il sau­tait de mode quand on le balayait en lon­gueur d’onde.

Et là… paf ! J’ai su com­ment résoudre cette ques­tion, en asser­vis­sant – para­doxa­le­ment – la courbe de gain sur la lon­gueur de cavi­té du laser. On a dépo­sé un bre­vet et on s’est mis à en vendre beau­coup plus.

Chaque fois, c’était une cris­tal­li­sa­tion de ce que j’avais appris, de ce que les autres avaient fait avant moi. Ça venait “de dehors”. Je ser­vais juste de creu­set », ana­lyse avec luci­di­té Sophie Bourzeix.

Après l’École, elle se don­na un doc­to­rat en phy­sique quan­tique expé­ri­men­tale, dans le labo­ra­toire Kast­ler Bros­sel, à l’École nor­male supé­rieure. Pour mesu­rer le dépla­ce­ment de Lamb du niveau 1 S de l’hydrogène, elle construi­sit un jet d’hydrogène ato­mique et réa­li­sa une source laser conti­nue dans l’ultraviolet (à 205 nm), en dou­blant deux fois la fré­quence d’un laser titane-saphir.

DESSIN : LAURENT SIMON

La grande pré­ci­sion des mesures per­mit de tran­cher entre deux mesures diver­gentes du rayon du pro­ton réa­li­sées anté­rieu­re­ment par dif­fu­sion d’électrons, et d’annoncer une valeur de 0,861 ± 0,020 fm.

Elle défen­dit son doc­to­rat début 1995, et publia ses résul­tats l’année sui­vante dans Phy­si­cal Review Let­ters. Après sa thèse, elle tra­vailla au CNET de Bagneux, à la mise au point d’un micro­scope optique en champ proche. Jusqu’à ce qu’en 1997 le direc­teur du CNET décide la fer­me­ture du labo, affir­mant : « Les com­po­sants, c’est bon pour les Coréens. »

Entière, ne se lais­sant pas abattre, se rele­vant au contraire, pour un nou­veau départ. Sou­hai­tant « fabri­quer des choses » et ayant à sur­mon­ter une tra­gé­die fami­liale, elle fit le siège du direc­teur scien­ti­fique de Pho­to­ne­tics, jusqu’à ce qu’il l’embauche en sep­tembre 1997.

« Et j’ai fabri­qué (conçu), ce que je savais fabri­quer. Des lasers, puis des com­po­sants pour les télé­coms tout optique. Nous étions une tren­taine. En 2000, nous étions 500. Ça a été la période la plus exal­tante de ma vie. Le patron de Hew­lett-Packard, qui vou­lait nous rache­ter, me fai­sait la cour (dans le domaine professionnel !).

Fina­le­ment, nous nous sommes ven­dus pour un mil­liard de dol­lars à un groupe danois : Great Nor­dic. Nous avons fait la une du Wall Street Jour­nal. Nous nous sen­tions les maîtres du monde. Main­te­nant, il ne reste rien de cette entre­prise, de ses 200 bre­vets, de ses 500 employés. Rien de ces années de tra­vail, de recherche, de créa­ti­vi­té. Nous équi­pions les usines et les labos des équi­pe­men­tiers télé­coms. Nous étions donc sen­sibles non aux varia­tions du volume du mar­ché des télé­coms, mais à sa déri­vée seconde.

Du jour au len­de­main, à l’éclatement de la bulle Inter­net : plus de com­mande. Les acteurs du métier avaient tel­le­ment anti­ci­pé une énorme crois­sance qu’ils avaient des stocks : des machines, des ins­tru­ments, même pas sor­tis de leurs car­tons. Nous avons licen­cié. Un plan social, puis un autre, puis un autre. Nos nou­veaux patrons danois étaient plus des finan­ciers que des indus­triels. Ils ont reven­du notre por­te­feuille de bre­vets pour 1€ sym­bo­lique et ont jeté l’éponge. Ça a été la plus grosse perte bour­sière de toute l’histoire du Danemark. »

C’est en potière qu’elle se recon­ver­tit. En pote­rie, point d’École nor­male supé­rieure ! L’initiation se fait tou­jours sui­vant le modèle maître-appren­ti : Sophie Bour­zeix apprit son nou­veau métier auprès de la céra­miste tchèque Jana Bed­nar­ko­va, puis de la Japo­naise Yoshi­mi Futa­mu­ra, qui lui ensei­gna la méthode japo­naise tra­di­tion­nelle de tournage.

Éprise de beaux émaux, elle sui­vit de 2007 à 2009 les cours d’Helena Klug à Paris, où elle se for­ma à la chi­mie et à la recherche des émaux de grès à haute température.

En 2009, Sophie Bour­zeix quit­ta la ville pour ins­tal­ler son ate­lier en Dor­dogne : la céra­mique fut pour elle une école de patience. « Le tra­vail de la terre néces­site d’accepter la len­teur du temps. D’abord, celui de la matière : ne pas bru­ta­li­ser l’argile. Mais aus­si la len­teur du potier : ses doutes, ses tâton­ne­ments, ses allers-retours pour trou­ver sa voie. »

Quel tem­pé­ra­ment ! La com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne n’est pas épar­gnée par les épreuves de toutes sortes, Sophie Bour­zeix est de ceux et celles qui font face !

2 Commentaires

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denisrépondre
17 avril 2017 à 13 h 31 min

bra­vo, féli­ci­ta­tions à ces
bra­vo, féli­ci­ta­tions à ces per­sonnes qui avancent pas­sion­né­ment, votre article est vrai­ment bien

Alainrépondre
1 mai 2017 à 13 h 34 min

iti­né­raires
A l’ap­proche des 30 ans de la pro­mo­tion, c’est éton­nant de décou­vrir les che­mins qu’on pris les uns ou les autres.
L’i­ti­né­raire de Sophie ne manque pas d’originalité !
Content d’a­voir eu de ses nouvelles.

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