Un grand système sociotechnique, le système électrique

Dossier : À quoi sert la science ?Magazine N°696 Juin/Juillet 2014
Par Yves BAMBERGER (66)

Faisons une rapi­de prom­e­nade à la décou­verte du sys­tème élec­trique. Nous par­tirons de la pro­duc­tion cen­tral­isée, puis, pas­sant par le réseau de trans­port et celui de la dis­tri­b­u­tion, nous en parvien­drons aux usages.

C’est là l’héritage du XXe siè­cle. L’arrivée de la pro­duc­tion dis­tribuée, des NTIC et de la dérégu­la­tion en induit une trans­for­ma­tion plus ou moins bien maîtrisée.

REPÈRES

Lorsque nous appuyons sur un interrupteur, nous ne pensons pas aux millions d’éléments du système, qui, depuis les barrages ou les centrales et via les réseaux, font que la lumière s’allume. Nous ne pensons pas aux dizaines de milliers de personnes qui travaillent pour faire fonctionner ce système.
Nous ne pensons pas non plus que ce système est le fruit des découvertes et des réalisations de nombreux savants, inventeurs et ingénieurs. Ni qu’il mobilise l’électromagnétisme, la thermodynamique, la mécanique des solides et des fluides, la neutronique, la chimie, la science des matériaux et les mathématiques, et bien sûr l’économie.

Produire et transporter

Les cen­trales hydroélec­triques au fil de l’eau ou avec un réser­voir sont le roy­aume de la mécanique des flu­ides incom­press­ibles et du génie civ­il, même si les par­ties mécaniques et élec­triques sont évidem­ment indispensables.

Dans les cen­trales ther­miques clas­siques, la physique et la chimie de la com­bus­tion con­stituent le point de départ. La ther­mo­dy­namique appa­raît pour gér­er les ren­de­ments. Le génie mécanique joue ensuite le rôle principal.

Dans les cen­trales nucléaires, la physique nucléaire, les cou­plages irra­di­a­tion-ther­mique- mécanique (des écoule­ments et des struc­tures) s’ajoutent aux prob­lé­ma­tiques des cen­trales clas­siques. Leur con­cep­tion a néces­sité nom­bre d’expérimentations et de simulations.

L’opérateur de réseau sait assurer jusqu’en bout de ligne une alimentation de qualité

Pour toutes les cen­trales, comme pour tout ce que l’homme fab­rique, les développe­ments de la sci­ence des matéri­aux et des tech­niques de fab­ri­ca­tion et de con­struc­tion jouent un rôle clé.

Le réseau de trans­port à très haute ten­sion est le sup­port de la mutu­al­i­sa­tion de la pro­duc­tion et de la con­som­ma­tion, il garan­tit la sûreté de notre ali­men­ta­tion en élec­tric­ité et l’optimisation de nos fac­tures. Mail­lé, il trans­porte l’électricité vers les grandes zones de con­som­ma­tion ; une vente d’électricité de la France à l’Allemagne passe par­fois par la Bel­gique ou la Suisse.

Le réseau de dis­tri­b­u­tion, arbores­cent à par­tir de postes de trans­for­ma­tion du réseau de trans­port, con­duit le courant jusqu’aux comp­teurs de nos loge­ments et de nos bureaux. Grâce aux lois de l’électrotechnique et mal­gré les vari­a­tions de la con­som­ma­tion, l’opérateur de réseau sait, sauf excep­tion, assur­er jusqu’en bout de ligne une ali­men­ta­tion de qual­ité en ter­mes de ten­sion et d’intensité, et cela de manière sécurisée.

De l’éclairage à la climatisation

Le pre­mier usage de l’électricité fut l’éclairage, pub­lic et privé, avec l’invention et le déploiement de la lampe élec­trique, large­ment dus à Edi­son. C’est l’effet Joule qui le rend pos­si­ble, par le ray­on­nement qu’il provoque lors de l’incandescence du fil­a­ment chauf­fé par le courant.

Le chauffage élec­trique utilise lui aus­si cet effet, soit grâce à des con­vecteurs qui élèvent la tem­péra­ture de l’air, soit par l’intermédiaire de pan­neaux qui ray­on­nent en infrarouge.

Prévoir la veille pour le lendemain en prenant en compte la vie du pays

La fameuse « pointe élec­trique » des soirs d’hiver, dénon­cée par cer­tains, large­ment due en fait aux chauffages d’appoint des maisons non chauf­fées à l’électricité, va être dépassée par les pointes aléa­toires liées à l’usage des éner­gies renou­ve­lables (éoli­ennes, pho­to­voltaïque) pro­mues par les mêmes.

Enfin, les pom­pes à chaleur, de plus en plus util­isées dans le monde pour le chauffage et la cli­ma­ti­sa­tion, et pour la récupéra­tion de chaleur dans l’industrie, sont fondées sur des cycles ther­mo­dy­namiques de flu­ides qui changent de phase.

Les cen­trales hydroélec­triques sont le roy­aume de la mécanique des flu­ides. © Olivi­er White

Un défi permanent

L’une des spé­ci­ficités du sys­tème élec­trique est qu’il con­tient peu de moyens de stock­age. Il faut donc assur­er à chaque instant l’équilibre entre pro­duc­tion et con­som­ma­tion de manière sûre (avoir des marges sur les capac­ités des lignes, avoir des réserves de pro­duc­tion à la hausse et à la baisse) et sta­ble (éviter des sit­u­a­tions où l’indisponibilité imprévue d’une ligne ou d’une cen­trale provo­querait un écroule­ment en cascade).

Stocker et turbiner

L’outil dominant de stockage dans le monde est constitué par les stations de pompage-turbinage (STEP) qui sont des centrales hydrauliques où l’eau est pompée d’un lac inférieur vers un lac supérieur lorsque l’électricité est peu chère puis turbinée ensuite.

Cela néces­site des prévi­sions pluri­an­nuelles pour met­tre en place les moyens néces­saires, mais aus­si des prévi­sions de la veille pour le lende­main prenant en compte la vie du pays, le dis­cours à venir du prési­dent de la République ou le match au Stade de France en pas­sant par la météo et les prix de pro­duc­tion. Il y a là, pour les afi­ciona­dos du genre, de beaux mod­èles de sim­u­la­tion et d’optimisation sous con­traintes, avec des échelles de temps et d’espace (Europe, France) diversifiées.

Les actions en temps réel sont de la respon­s­abil­ité de l’opérateur du sys­tème (en France, le Cen­tre nation­al d’exploitation du sys­tème du réseau de trans­port d’électricité) qui dis­pose de téléin­for­ma­tions et de télé­com­man­des, mais aus­si d’outils per­for­mants de simulation.

En France, la puis­sance totale des STEP est env­i­ron 5 GW, soit un peu moins de 5 % de la puis­sance totale du système.

Un progrès permanent

En ce début du XXIe siè­cle, tous les sous-sys­tèmes du sys­tème élec­trique clas­sique voient leurs per­for­mances pro­gress­er. Les tur­bines hydrauliques dépassent des ren­de­ments de 90 %, les cen­trales à gaz des ren­de­ments de 60 %, les pom­pes à chaleur atteignent des per­for­mances à faire rétro­spec­tive­ment frémir Carnot.

Par ailleurs, les éner­gies renou­ve­lables, solaires, éoli­ennes et marines, vont faire pass­er le nom­bre de points de pro­duc­tion en Europe de quelques mil­liers à des cen­taines de mil­lions, et, bien maîtrisées, elles pour­raient con­tribuer à traiter les prob­lé­ma­tiques du développe­ment durable. Les nou­veaux usages, notam­ment celui des véhicules hybrides, recharge­ables ou élec­triques, peu­vent per­me­t­tre de réduire les émis­sions de gaz à effet de serre, la pol­lu­tion aux par­tic­ules fines ain­si que les impor­ta­tions de pro­duits pétroliers.

Investir dans les réseaux

Pour aller plus loin, il s’agit d’abord d’investir dans les réseaux, en par­ti­c­uli­er dans le réseau de dis­tri­b­u­tion qui devient un réseau de cir­cu­la­tion de l’électricité, la pro­duc­tion pho­to­voltaïque sur les toits pou­vant à cer­taines heures de la journée invers­er le sens du courant. Il faut donc mod­i­fi­er les pro­tec­tions de ces réseaux, intro­duire de nou­veaux cap­teurs (pour que l’opérateur du réseau de dis­tri­b­u­tion puisse jouer son rôle au ser­vice des con­som­ma­teurs), bref met­tre en place ce qu’on appelle aujourd’hui dans le jar­gon inter­na­tion­al des smartgrids.

Onze millions de cumulus

Un des leviers peu coûteux pour influencer la courbe de consommation est de mobiliser les chauffe-eau à accumulation. EDF le fait depuis plus de cinquante ans en faisant fonctionner automatiquement aux heures creuses plus de 11 millions de cumulus dans nos logements pour ceux qui ont choisi l’option correspondante. Cela mobilise plus de 10 GW pendant plusieurs heures (plus que les STEP) et utilise sur l’année près de 5% de la consommation.
Il est paradoxal que la réglementation thermique dans le neuf, la RT2012, interdise de facto l’installation de nouveaux cumulus, donc d’une capacité de stockage supplémentaire « gratuite », qui pourrait être couplée à la production des renouvelables, obligeant par là même à installer des chauffe-eau au gaz plus de cinq fois plus émetteurs de CO2.

Renforcer le stockage

Il faut ensuite ren­forcer la robustesse de fonc­tion­nement d’ensemble du sys­tème pour qu’il puisse assur­er un rôle tou­jours plus effi­cace, que ce soit en ter­mes d’équilibre entre pro­duc­tion et con­som­ma­tion ou de prise en compte des mod­i­fi­ca­tions rapi­des de la pro­duc­tion renou­ve­lable intermittente.

On peut assur­er tout ou par­tie de ces régu­la­tions grâce aux cen­trales hydrauliques, fos­siles ou nucléaires.

Chauffe-eau à accumulation
Chauffe-eau à accu­mu­la­tion, une capac­ité de stock­age à domicile.

On peut aus­si choisir d’effacer la pro­duc­tion renou­ve­lable si elle trop forte et si elle met le sys­tème en dan­ger, ou de ren­forcer la flex­i­bil­ité ou la capac­ité d’effacement d’une par­tie de la con­som­ma­tion pour dif­férentes durées, ou de ren­forcer la capac­ité de stock­age cen­tral­isée ou décentralisée.

Ces divers­es solu­tions tech­niques ont des coûts spé­ci­fiques et elles con­cer­nent des acteurs différents.

Des choix politiques

Le choix, ou plutôt l’équilibre entre ces solu­tions, est la con­séquence de choix poli­tiques et néces­site une vision sys­témique non seule­ment nationale mais aus­si européenne.

En Europe, on observe depuis plus de dix ans une crois­sance des prix de l’électricité pour le citoyen, l’affichage d’un marché de l’électricité et la créa­tion de tar­ifs de rachat, la mise sur le même plan d’une final­ité (– 20 % d’émissions de CO2) et de deux moyens (20% d’énergies renou­ve­lables et 20 % d’amélioration de l’efficacité énergé­tique) et enfin l’instabilité des régu­la­tions du domaine de l’électricité (qui empêche les pro­jets et la créa­tion d’emplois). N’y a‑t-il pas des leçons à tir­er des suc­cès et des erreurs des vingt ans de dérégulation ?

Une vision systémique nationale et européenne

Depuis bien­tôt un siè­cle, le pour­cent­age de l’électricité dans l’énergie finale util­isée par les hommes aug­mente : nous en sommes à 25 % en France, à 16 % en moyenne dans le monde même si plus d’un mil­liard de per­son­nes n’y ont pas encore accès.

Le développe­ment d’un sys­tème élec­trique « décar­boné » est un moyen (le seul peut-être en l’état actuel des sci­ences et des tech­niques) de répon­dre aux enjeux du développe­ment durable dans le domaine de l’énergie.

La pri­or­ité pour la « tran­si­tion énergé­tique » en France n’est-elle pas d’agir à tous les niveaux, dans la mai­son et dans l’industrie comme dans les trans­ports, pour accélér­er l’électrification de notre pays en ren­forçant un mix élec­trique « décar­boné », et cela au moin­dre coût pour nous tous ?

Claudie Haigneré
Claudie Haign­eré, ancien min­istre, prési­dente d’Universcience

Remettre en culture non seulement la science, mais aussi les techniques, leurs applications et l’innovation

Asso­ciant « sci­ence en train de se faire », « sci­ence en cul­ture », « sci­ence et tech­niques au quo­ti­di­en », « sci­ence et tech­nique pour tous », Uni­ver­science et ses deux sites1 s’efforcent de réin­ven­ter les cul­tures sci­en­tifique, tech­nique, indus­trielle et de l’innovation.

UNE GRANDE DIVERSITÉ DE PUBLICS

Depuis vingt-huit ans que s’est ouverte, dans le parc de la Vil­lette, la Cité des sci­ences et de l’industrie CSI, voici venue « la pre­mière généra­tion CSI » à fréquenter les espaces de la Cité des Enfants avec ses enfants, accueil­lis à par­tir de l’âge de deux ans. Un éveil aux sci­ences et aux tech­nolo­gies (le « fameux chantier » entre autres) par le plaisir du jeu pour ces derniers, avec par­fois l’éveil de voca­tions pour leurs parents.

La cité des SciencesLes deux mil­lions de vis­i­teurs annuels de la CSI y décou­vrent, à côté du « Grand Réc­it de l’Univers » ou des pro­grès des math­é­ma­tiques, ou de l’exploration du cerveau, ce qu’on peut atten­dre de la sci­ence au ser­vice du quo­ti­di­en, qu’il s’agisse de l’espace, de l’énergie ou des trans­ports, ou encore des apports des inno­va­tions tech­nologiques au sein de l’observatoire qui les actu­alise en per­ma­nence. Asso­ciant com­préhen­sion et émo­tion, nos expo­si­tions tem­po­raires et les con­férences et médi­a­tions asso­ciées leur per­me­t­tent de s’interroger sur la voix, de remet­tre en ques­tion ce qu’ils pensent con­naître des Gaulois, de s’approprier le B.A. BA de l’économie, de s’initier à la façon dont l’art robo­t­ique peut trans­former la créa­tion artis­tique, de s’étonner de la com­plex­ité de créa­tion des jeux vidéo.

Quelque 700 000 enfants du pri­maire et du sec­ondaire vien­nent chaque année à la Cité avec leurs pro­fesseurs béné­fici­er de médi­a­tions adap­tées à leurs pro­grammes, en quête du déclic et de l’inspiration leur per­me­t­tant de con­stru­ire en groupe un pro­jet expérimental.

DES LIEUX INNOVANTS D’EXALTATION DE LA CRÉATIVITÉ

Dans ce siè­cle où l’information est partout acces­si­ble et par­fois en excès, où le développe­ment accéléré des tech­nolo­gies est sou­vent décon­cer­tant, où cha­cun doit être en capac­ité d’exercer son esprit cri­tique et créatif pour être un citoyen engagé et respon­s­able, notre mis­sion d’établissement cul­turel s’est sen­si­ble­ment trans­for­mée. Au-delà du partage des savoirs sci­en­tifiques et des savoir-faire tech­niques, nous pro­posons désor­mais des lieux ouverts, véri­ta­bles plate­formes de vie et de créa­tiv­ité, col­lab­o­rat­ifs, conçus en com­mu­nauté d’intérêt pour des ado­les­cents, des posta­do­les­cents, des familles, des amis, des groupes sco­laires accom­pa­g­nés par des tuteurs.

Ces lieux se situent, au sein de la nou­velle Zone 3, dans la salle immer­sive Cal­lis­to ou dans le Car­refour numérique puis­sance 2 où émer­gent mille réal­i­sa­tions tech­niques et numériques favorisant les ren­con­tres et les coopérations.

À côté de ses ressources doc­u­men­taires et « trans­mé­dia », la bib­lio­thèque BSI se trans­forme en liv­ing cen­ter et met main­tenant à la dis­po­si­tion de nos vis­i­teurs des ser­vices inno­vants dans la con­vivi­al­ité, allant du tutorat à l’accompagnement par la Cité des métiers en pas­sant par le do it your­self dans une nou­velle cul­ture de l’innovation et de la créa­tiv­ité. Au car­refour des mon­des sci­en­tifique, édu­catif, cul­turel et indus­triel, dans ce lieu exigeant mais de con­fi­ance et d’heureuse neu­tral­ité qu’est Uni­ver­science, nous exerçons avec pas­sion notre mis­sion de médi­a­tion et de passeurs, pour aigu­is­er le désir et le plaisir d’apprendre et d’entreprendre.

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1. L’établissement pub­lic Uni­ver­science regroupe depuis 2010 le Palais de la décou­verte et la Cité des sci­ences et de l’industrie (CSI).

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