Faire comprendre la science, la technique et l’industrie, une histoire polytechnicienne

Dossier : À quoi sert la science ?Magazine N°696 Juin/Juillet 2014
Par Christian MARBACH (56)

Leçons de choses

Depuis 1877, l’apprentissage de la lecture se faisait à partir du livre Le Tour de la France par deux enfants. Les jeunes écoliers y apprenaient grammaire et orthographe, morale et hygiène, géographie et histoire, mais ils y étaient également conviés à comprendre « ce que sont les choses » : hauts-fourneaux, chemins de fer, sériciculture, etc. Ou à admirer les figures de Buffon ou de Jacquard.
On avait parfaitement perçu qu’il était bon de leur fournir des modèles, et de les faire réfléchir aux conditions et aux conséquences des théories scientifiques et des inventions.

Nous sommes en 1894, l’année du pre­mier cen­te­naire de l’École. Le général Louis Joseph Nico­las André (1857), qui la dirige, est très influ­encé par la reli­gion pos­i­tiviste, mais ce n’est qu’en 1902 que, min­istre de la Guerre, il pour­ra enfin inau­gur­er la stat­ue de son maître à penser, Isidore Auguste Marie François Xavier Comte (1814), sur la place de la Sor­bonne à Paris.

Et cela trois ans avant que ne dis­paraisse Jules Verne, ce mer­veilleux pio­nnier de la sci­ence-fic­tion qui expli­quait bien volon­tiers la dette qu’il avait envers son voisin d’Amiens, Jean Paul Albert Badoureau (1872). Major de sa pro­mo­tion, cet ingénieur des Mines, en ser­vice dit « ordi­naire » en Picardie, aus­si excel­lent math­é­mati­cien, servit sou­vent de cor­recteur et par­fois d’inspirateur à l’écrivain, notam­ment pour l’étonnant roman Sans dessus dessous paru en 1889 dans lequel Jules Verne, lui-même adepte du pos­i­tivisme, avait cepen­dant fini par pren­dre quelque dis­tance avec ses excès.

REPÈRES

De nombreux polytechniciens, souvent illustres, ont partagé une véritable foi dans le progrès nourri par la science : dans la nécessité de perfectionnements techniques continuels pour dessiner et fabriquer des objets toujours plus utiles et aussi moins onéreux, dans la certitude que ce sont les savoirs, et notamment les savoirs scientifiques et techniques, qui sont la base de ces avancées.

À l’âge de la religion positiviste

Immense savant, Jules Hen­ri Poin­caré (1873), le con­scrit de Badoureau, était aus­si pro­fondé­ment con­va­in­cu de l’importance d’une large dif­fu­sion du savoir sci­en­tifique. Allant jusqu’au bout de sa pen­sée, il écrit, en 1911, peu de temps avant sa mort, un ouvrage des­tiné aux jeunes : Ce que dis­ent les choses.

Le plan de Paris reste marqué par les interventions d’Adolphe Alphand (1835)

Le plan de Paris reste mar­qué pour longtemps par les inter­ven­tions de ce grand urban­iste et « jar­dinier » que fut Jean-Charles Adolphe Alp­hand (1835), mort en 1891. Mal­gré son grand âge n’at- il pas encore été le maître d’œuvre de l’exposition uni­verselle de 1889 ? Une man­i­fes­ta­tion des­tinée à chanter la beauté et l’utilité de la tech­nique et de l’industrie français­es, inau­gurée par le prési­dent Marie François Sadi Carnot (1857), dit l’ingénieur de la République.

Une passion commune pour le progrès

La néces­sité d’une accul­tur­a­tion à la sci­ence, aux tech­niques, aux apports de l’industrie, dev­enue évi­dente en cette fin du XIXe siè­cle pour le corps enseignant et d’abord pour les insti­tu­teurs, ne l’était pas moins depuis longtemps pour bien des poly­tech­ni­ciens. Ceux-ci n’ont jamais cessé de soutenir cette mis­sion de leurs encour­age­ments et de leurs inter­ven­tions, con­va­in­cus qu’ils étaient que l’éducation, notam­ment sci­en­tifique, était l’une des bases essen­tielles du con­trat social. Ils l’ont affir­mé dans les doc­trines qu’ils ont définies ou appliquées : le pos­i­tivisme déjà cité ou le saint-simonisme.

Les X ont toujours été convaincus que l’éducation était l’une des bases du contrat social

Et ils en ont été les acteurs et les enseignants. Mais pas seule­ment. Ils ont aus­si écrit des ouvrages théoriques, des romans de sci­ence-fic­tion (comme Spitz, 19 S), des livres d’histoire des sci­ences (comme Biot, 1794). Ils ont aus­si joué un rôle moteur dans la créa­tion de nom­breuses grandes écoles : Olivi­er (1811) avec Cen­trale, Lam­bert-Pacha (1822) en Égypte, ou encore Daubrée (1832), à Ouro Pre­to au Brésil. Ils ont osé des expéri­ences orig­i­nales « d’enseignement mutuel » (Chabrol, Fran­coeur, Jomard, tous de la 1794). Ils ont fondé des jour­naux sci­en­tifiques (comme Liou­ville, 1825, avec le Jour­nal de math­é­ma­tiques pures et appliquées) ou des maisons d’édition spé­cial­isées, comme Gau­thi­er-Vil­lars (1881).

En don­nant des « leçons » pour le grand pub­lic, dans un joyeux mou­ve­ment non dépourvu d’utopie : Ara­go (1803) se plai­sait ain­si à racon­ter l’astronomie dans un amphithéâtre de l’Observatoire ouvert à tout un cha­cun. Et Guieysse (1887) n’a jamais cessé de pro­mou­voir les uni­ver­sités populaires.

De nom­breux X con­tem­po­rains s’impliquent eux aus­si dans des organ­i­sa­tions de ce type, depuis les uni­ver­sités pop­u­laires régionales jusqu’au pres­tigieux Col­lège de France. Ils sont trop nom­breux pour que je les cite sans ris­quer de faire de regret­ta­bles omissions.

L’hommage émouvant de Gustave Eiffel

Ce grand ingénieur, grippé ce jour-là, avait raté l’oral du concours d’entrée à l’X. Peu rancunier, il fit graver en 1889, au premier étage de « sa » tour, les noms de pas moins de cinquante polytechniciens parmi les soixante-douze savants et techniciens auxquels il voulut rendre hommage pour leur œuvre, ainsi mise en valeur vis-à-vis du public dans un lieu alors emblématique du progrès. N’y a‑t-il pas lieu d’en être fier et d’y trouver encouragement pour se projeter dans l’avenir ?

Rendre accessibles la science et la technique dans des lieux dédiés

L’encouragement à la cul­ture sci­en­tifique ou tech­nique peut pren­dre d’autres formes que l’écrit ou l’enseignement. L’une d’elles con­siste à ouvrir au grand pub­lic des usines et des lab­o­ra­toires, actuels ou anciens ; ain­si Laf­fitte (44), à l’occasion du bicen­te­naire de l’École des Mines de Paris, célébré en 1983, sut organ­is­er avec suc­cès une grande opéra­tion de présen­ta­tion de mon­u­ments d’archéologie industrielle.

Autres lieux de présen­ta­tion de la sci­ence, de la tech­nique, de l’industrie et de leurs enjeux : les « musées », qui, avec un large spec­tre de modal­ités opéra­toires, présen­tent aux plus jeunes des rudi­ments sci­en­tifiques et tech­niques et font réfléchir les moins jeunes aux con­séquences économiques et sociales des décou­vertes et des inven­tions. En France, les X ont été nom­breux à jouer un rôle essen­tiel dans le sou­tien au Palais de la décou­verte, au musée des Arts et Métiers, au Muséum nation­al d’histoire naturelle, à l’Espace des sci­ences de Rennes et bien sûr à la Cité des sci­ences et de l’industrie. Des cama­rades étrangers ont eu cette même voca­tion dans d’autres pays : ain­si Zirakzadeh (30), après avoir eu des respon­s­abil­ités min­istérielles et indus­trielles en Iran, a pro­mu la créa­tion d’une Fon­da­tion dont l’objectif était de créer des « cen­tres de prop­a­ga­tion de la sci­ence et de la tech­nolo­gie », ce qui fut réal­isé à par­tir de 1993 dans une demi-douzaine de villes, de Téhéran à Isfahan.

Depuis celle de 1889, les poly­tech­ni­ciens ont tou­jours été appelés à con­tribuer à l’organisation des expo­si­tions uni­verselles, à la déf­i­ni­tion de leurs final­ités ou à la sélec­tion des « objets » présen­tés. Citons par exem­ple Pon­celet (1807), Alp­hand (1835), Le Play (1825), Bel­lom (1884) ou, beau­coup plus récem­ment, Attali (63).

Deux autres X encore méri­tent absol­u­ment d’être cités, tant leur apport orig­i­nal a con­tribué à réen­chanter la sci­ence et la tech­nique. Dautry (1900), respon­s­able du Palais des chemins de fer de l’exposition de Paris en 1937, a eu la mer­veilleuse ini­tia­tive de faire appel à Robert et Sonia Delau­nay pour des grandes pein­tures murales titrées Voy­ages loin­tains. Malé­garie (1905), alors en charge de la Com­pag­nie parisi­enne de dis­tri­b­u­tion d’électricité de Paris, la fameuse CPDE, a su con­va­in­cre Raoul Dufy de réalis­er, pour le Palais de la lumière, l’extraordinaire fresque de la Fée Élec­tric­ité, désor­mais instal­lée au Musée d’art mod­erne de la ville de Paris ; on y trou­ve bien sûr beau­coup d’X.

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