Jean-Pierre CHANGEUX

La science procède aussi de l’imaginaire

Dossier : À quoi sert la science ?Magazine N°696 Juin/Juillet 2014
Par Philippe LAZAR (56)
Par Catherine CESARSKY
Par Maurice MOURIER
Par Jean-Pierre CHANGEUX
Par Alexandre MOATTI (78)

REPÈRES

Le débat rapporté ici a réuni :
  • Cather­ine Cesarsky, astro­physi­ci­enne, ancien haut-com­mis­saire à l’énergie atomique,
  • Jean-Pierre Changeux, biol­o­giste, pro­fesseur émérite au Col­lège de France,
  • Thomas Grenon (83), directeur général du Muséum nation­al d’histoire naturelle,
  • Mau­rice Mouri­er, écrivain, mem­bre du con­seil d’administration de la Société des Amis du Palais de la découverte,
  • Alexan­dre Moat­ti (78), ingénieur en chef des Mines, auteur sci­en­tifique, prési­dent de la Sabix.

L’IMAGINAIRE AU CŒUR DE LA DÉMARCHE SCIENTIFIQUE

Jean-Pierre Changeux : La ques­tion de l’articulation entre la sci­ence et l’imaginaire est selon moi tout à fait per­ti­nente, elle est même au cœur de la sci­ence ou plus spé­ci­fique­ment de la recherche sci­en­tifique, ce mou­ve­ment per­ma­nent qui vise à acquérir des con­nais­sances objec­tives sur le monde mais aus­si à les faire progresser.

Mais qu’appelle-t-on con­nais­sances objec­tives ? Depuis Claude Bernard et Louis Pas­teur, on s’entend très large­ment sur les modal­ités qui per­me­t­tent d’établir cette objec­tiv­ité en artic­u­lant théorie et expéri­ences. Les hypothès­es, on le sait, ne pren­nent de réelle valeur que si des expéri­ences per­me­t­tent d’en affirmer la validité.

Louis Pasteur


Louis PASTEUR

L’objectivité en sci­ence repose sur la com­plé­men­tar­ité entre théorie et expériences.

Philippe Lazar : En par­lant d’expériences, je sup­pose que vous n’excluez pas les obser­va­tions en tant que modal­ités de légiti­ma­tion des théories ?

J‑P.C. : Cela va de soi. Faute de quoi les géo­logues ou les astronomes ne seraient pas des sci­en­tifiques. « Faire une expéri­ence », c’est pour moi met­tre une théorie à l’épreuve en la con­frontant à la réal­ité par des méth­odes adéquates.

L’imaginaire est à la source du progrès des connaissances

Mais où se situe l’imaginaire dans ce proces­sus ? Eh bien, il est partout. Il est évidem­ment d’abord dans la genèse des­dites hypothès­es, pour autant bien sûr qu’elles soient réelle­ment nou­velles. Mais il est aus­si dans les inno­va­tions tech­niques dont par­fois seules l’audace et l’inventivité per­me­t­tent de con­cevoir les moyens per­ti­nents pour les valid­er. Faire appel à l’imaginaire (ou à l’imagination, faut-il vrai­ment faire la dif­férence entre ces deux mots ?) est donc une con­di­tion stricte­ment néces­saire au pro­grès des connaissances.

Catherine CESARSKYCather­ine Cesarsky : Et les véri­ta­bles bonds en avant se font à par­tir d’intuitions ful­gu­rantes dont nous ne savons pas exacte­ment d’où elles proviennent.

J‑P.C. : On peut penser qu’elles sont engen­drées par le tra­vail que fait notre cerveau sans que nous en soyons néces­saire­ment conscients.

Maurice MOURIERMau­rice Mouri­er : Est-ce que le mot imag­i­naire implique dans votre esprit l’idée d’image ?

J‑P.C. : Oui, bien sûr, le tra­vail que je viens d’évoquer prend incon­testable­ment appui, con­traire­ment à beau­coup d’idées reçues, sur d’authentiques images.

Ain­si Jacques Mon­od a bien décrit la façon dont il voy­ait, dans son espace con­scient, une pro­téine tourn­er. Pour moi, qui suis de tem­péra­ment imag­i­natif, je suis égale­ment habité de la sorte mais peut-être par­fois de façon plus abstraite.

Le math­é­mati­cien Alain Connes, lui, va encore plus loin : il a le sen­ti­ment que sa dis­ci­pline lui per­met de pénétr­er par la pen­sée dans un monde peu­plé d’objets préex­is­tants qu’en tant qu’explorateur il découvrirait.

M.M. : Votre réponse va à l’encontre de ce qu’habituellement croient les lit­téraires, per­suadés que les sci­en­tifiques ne fonc­tion­nent pas par images, surtout les math­é­mati­ciens, c’est-à- dire les acteurs des sci­ences les plus abstraites qui soient. Ce ne peut être qu’une heureuse décou­verte que ce rap­proche­ment, pour eux inattendu.

Les littéraires sont persuadés que les scientifiques ne fonctionnent pas par images

Voir les protéines tourner
Jacques Mon­od voy­ait les pro­téines tourn­er. © ISTOCK

J‑P.C. : D’autres fac­teurs inter­vi­en­nent aus­si bien sûr dans la dynamique évo­lu­tive qu’est la recherche pour lui per­me­t­tre d’aboutir, à cer­taines étapes, à met­tre en évi­dence de ces « sin­gu­lar­ités » de la ratio­nal­ité qu’on appelle des « décou­vertes » (un terme que per­son­nelle­ment je n’aime pas beaucoup).

À ce pro­pos, je veux insis­ter sur un point qui est pour moi majeur : tout ce que nous pen­sons « décou­vrir » résulte en fait de l’activité de notre cerveau, de ce cerveau humain qui éti­quette un monde qui, lui, n’est pas « naturelle­ment » éti­queté. L’une des pro­priétés du cerveau, assez récem­ment mise en évi­dence, est qu’il fonc­tionne non pas comme un ordi­na­teur nour­ri par un pro­gramme pré­paré à l’avance mais bien de façon pro­jec­tive : il se pro­jette en per­ma­nence sur ce qui va se pass­er. Il engen­dre donc de façon spon­tanée ce que j’ai appelé des préreprésen­ta­tions où l’imaginaire joue un rôle primordial.

Tout cela peut par­fois con­duire à de grands écarts par rap­port à la ratio­nal­ité, mais c’est à ce niveau qu’intervient un proces­sus très puis­sant de con­trôle : le con­cept de « sci­ence » est stricte­ment indis­so­cia­ble de celui de l’existence d’une « com­mu­nauté sci­en­tifique ». Seule cette dernière est à même de recon­naître le bien-fondé d’une décou­verte poten­tielle. Et cette règle, sévère, qui peut induire des con­tro­ver­s­es, s’impose néces­saire­ment à tous.

J’ajoute qu’il arrive aus­si que des décou­vertes débouchent sur des réal­i­sa­tions con­crètes, et c’est bien sûr une con­fir­ma­tion com­plé­men­taire (à laque­lle je suis per­son­nelle­ment très attaché) de leur valid­ité et par là même de l’objectivité des con­nais­sances en question.

LES MATHÉMATIQUES, UNE SCIENCE « À PART » ?

Alexandre MOATTI (78)Alexan­dre Moat­ti : Je ne sais plus qui a dit qu’une théorie qui ne s’appuie pas sur des faits n’a pas de valeur, mais que des faits sans théorie organ­isatrice n’en ont pas plus. Je vous rejoins donc com­plète­ment, s’agissant des sci­ences en général, sur la ques­tion de la com­plé­men­tar­ité forte entre théorie et expériences.

Mais il me sem­ble que les math­é­ma­tiques échap­pent à cette règle et qu’une démon­stra­tion a valeur en soi. Une con­jec­ture ne serait en quelque sorte qu’un appel à démon­stra­tion ultérieure.

Il y aurait donc une dif­férence de nature entre les math­é­ma­tiques, sci­ence cumu­la­tive (une démon­stra­tion acquise le reste), et les autres sci­ences, sub­sti­tu­tives (une théorie peut en chas­s­er une autre).

J‑P.C. : Qu’est-ce qui per­met, à votre avis, d’affirmer qu’une démon­stra­tion est con­va­in­cante ? Suf­fit-il, comme cer­tains le font, d’évoquer à son pro­pos un critère de « beauté » ? Il est évidem­ment per­mis d’en douter.

C.C. : Il y a un mot qui s’applique par­ti­c­ulière­ment bien au regard cri­tique qu’on peut porter sur l’activité des math­é­mati­ciens : c’est celui de rigueur. Et ce mot les insère, eux aus­si, dans une com­mu­nauté, celle qui est capa­ble d’apprécier cette rigueur et donc de garan­tir l’authenticité d’une démonstration.

J‑P.C. : Oui, mais il y a quand même une dif­férence de nature avec les autres sci­ences : au lieu de met­tre ses idées à l’épreuve dans le monde extérieur, on le fait essen­tielle­ment dans son monde intérieur.

Alain Connes, mathématicien


Alain CONNES

explo­rateur de l’univers des mathématiques.

Bien sûr, la démon­stra­tion a un rôle cru­cial, mais encore faut-il démon­tr­er quelque chose et que ce quelque chose résulte bien d’une hypothèse – une hypothèse qu’en math­é­ma­tiques on appelle habituelle­ment con­jec­ture –, et l’on ne peut pas faire l’impasse sur la genèse de cette hypothèse et sur son rôle. Le math­é­mati­cien la con­fronte pour ce faire avec tout l’acquis des math­é­ma­tiques qui est dans sa pro­pre mémoire, et ce qui est remar­quable est que cela fonctionne.

J’ai beau­coup dis­cuté de tout cela avec Alain Connes. Lui, comme je le dis­ais à l’instant, a l’impression que son cerveau lui per­met de nav­iguer dans un monde autre, qui exis­terait en quelque sorte en soi, et il n’a jamais voulu accepter l’idée qu’il fonc­tion­nait, de ce point de vue, avec sa sub­jec­tiv­ité. Ce qui ne l’empêche évidem­ment pas d’être un excel­lent mathématicien.

LE PROGRÈS

J‑P.C. : Ce qui me sem­ble vrai­ment faire la dif­férence entre les sci­ences et l’ensemble des activ­ités lit­téraires ou artis­tiques, c’est le con­cept de pro­grès. Je le dis­ais d’entrée de jeu, l’objectif de la sci­ence est non seule­ment de met­tre en lumière des con­nais­sances nou­velles mais aus­si et fon­da­men­tale­ment de les faire progresser.

Le concept de progrès a‑t-il un sens en art ?

P.L. : Les con­nais­sances sci­en­tifiques dont nous dis­posons aujourd’hui sont d’acquisition récente et de nature à boule­vers­er nos représen­ta­tions du monde, leur « pro­grès » me paraît évi­dent, n’est-ce pas ?

J‑P.C. : Bien sûr, et je ne suis pas du tout con­va­in­cu qu’il en soit de même en art. Une évo­lu­tion, oui, mais un progrès ?

Thomas GRENONThomas Grenon : Je défends pour ma part l’idée qu’il s’agit véri­ta­ble­ment d’un pro­grès, le cas échéant fondé sur des amélio­ra­tions d’ordre tech­nique, qu’on peut de sur­croît dater.

J‑P.C. : Il est évi­dent que l’évolution de l’art a béné­fi­cié des pro­grès des tech­niques. Mais quand je com­pare par exem­ple le Parthénon à un chef‑d’oeuvre de l’architecture moderne…

P.L. : L’église de la Madeleine par exem­ple ! (Rires.)

J‑P.C. : Je par­le d’un chef‑d’oeuvre. On est bien sûr frap­pé de l’évolution d’un mon­u­ment à l’autre, mais il s’agit d’un renou­velle­ment plutôt que véri­ta­ble­ment d’un pro­grès. En quoi pour­rait-on par­ler en l’occurrence d’une « amélio­ra­tion », au sens où l’on peut employ­er ce terme par exem­ple lorsqu’on trou­ve un médica­ment plus effi­cace que ceux dont on dis­po­sait auparavant ?

M.M. : Je pense moi aus­si que le con­cept de pro­grès n’a pas de sens en art. Les artistes con­tem­po­rains puisent loin dans le passé les sources de leur inspi­ra­tion, et cela est tout aus­si vrai pour la lit­téra­ture. Mais je ne vois absol­u­ment pas com­ment on pour­rait par­ler de pro­grès entre François Vil­lon et Claude Simon.

Être artiste ou lit­téra­teur aujourd’hui, c’est con­naître tout ce passé, c’est être capa­ble, d’une cer­taine façon, de le réu­tilis­er, de le renou­vel­er comme vous le disiez à l’instant, mais sans avoir la pré­ten­tion de « l’améliorer ».

T.G. : Tout dépend du sens que l’on donne aux mots. Si l’on attribue une valeur morale au mot « pro­grès », je ne peux qu’être d’accord avec ce qui vient d’être dit. Mais si, en pro­duisant une oeu­vre, on ne s’est pas con­tenté d’imiter celles qui ont précédé mais qu’à par­tir de l’existant on a créé du neuf, je pense qu’on peut légitime­ment par­ler de pro­grès, c’est-à-dire d’avancée.

A.M. : Il faut s’entendre sur les mots : est-ce « pro­gress­er » que de se con­tenter de faire du nouveau ?

Grotte de Lascaux
Peut-on pro­gress­er par rap­port à la perfection ?

P.L. : Il me sem­ble dif­fi­cile de par­ler de pro­grès sans faire explicite­ment ou implicite­ment appel à un juge­ment com­para­tif de valeur, il ne peut s’agir de sim­ple­ment con­stater l’existence d’une dif­férence. La grotte de Las­caux – pour qui a eu la chance de la vis­iter – est absol­u­ment boulever­sante de beauté ; com­ment pour­rait-on « pro­gress­er » par rap­port à elle ? En matière de sci­ence en revanche, les con­nais­sances dont nous dis­posons aujourd’hui sont évidem­ment sans com­mune mesure avec ce qu’étaient les représen­ta­tions de l’univers ou de la matière du temps de Cro-Magnon : le « pro­grès » est là manifeste.

N’y a‑t-il pas une sorte de per­fec­tion poten­tielle dans toutes les réal­i­sa­tions réussies de la lit­téra­ture ou de l’art – je veux dire par là un authen­tique achève­ment chaque fois atteint par les chefs‑d’oeuvre suc­ces­sifs –, alors que la sci­ence est par nature en per­ma­nence inachevée, ouverte sur l’avenir, et donc néces­saire­ment en pro­grès continu ?

J‑P.C. : Je voudrais pour ma part soulign­er l’importance d’un mot qui vient d’être pronon­cé : celui de morale. Je pense qu’il est dif­fi­cile de par­ler de la sci­ence sans évo­quer ses dimen­sions éthiques et de la notion de pro­grès sans s’interroger sur ce que sont les visées sociales et poli­tiques de nos sociétés. Mais ce serait un autre débat que d’aller aujourd’hui plus loin dans le développe­ment de ces concepts.

RÊVER OU RÉFLÉCHIR ?

C.C. : En tant qu’astrophysicienne, j’ai eu sou­vent l’occasion de par­ler du ciel, des astres, de l’univers et de son évo­lu­tion. Lorsque j’annonce à l’auditoire auquel je m’adresse que je vais abor­der ces sujets, on me répond : « Vous allez nous faire rêver. » Et moi de rétor­quer : « Mais non, je vais vous faire réfléchir. »

Galaxies
La beauté du ciel est objec­tive.

Mon but pre­mier est en effet de faire com­pren­dre au pub­lic ce qu’est un raison­nement sci­en­tifique : com­ment nous for­mu­lons des ques­tions et com­ment nous essayons d’y répon­dre. Nous ne savons pas encore très bien, par exem­ple, com­ment se sont for­mées les galax­ies. Y a‑t-il eu d’abord un grand nuage de gaz qui se serait effon­dré sous l’effet de sa pro­pre grav­ité et qui aurait ain­si pro­duit ultérieure­ment des étoiles ? Ou bien n’y aurait-il eu au départ que de petites galax­ies qui seraient entrées en coa­les­cence et auraient fini par for­mer les grandes, telles que la Voie lactée ?

Pour étudi­er ces prob­lèmes, et ten­ter de répon­dre à ces ques­tions, les astro­physi­ciens font des obser­va­tions détail­lées et pointues avec leurs téle­scopes au sol et dans l’espace. En par­al­lèle, ils conçoivent des mod­èles numériques des galax­ies qui inclu­ent gaz et étoiles, et aus­si l’invisible matière sombre.

Quand je racon­te tout cela, une par­tie de mon esprit est occupée à se sou­venir des équa­tions qui régis­sent ces proces­sus, des ordres de grandeur en jeu, etc., pen­dant qu’une autre est le témoin émer­veil­lé de toutes ces étoiles, les voit s’allumer ou s’éteindre, est fascinée par la danse des galax­ies qui se défor­ment, s’étreignent, se fondent les unes dans les autres pour finir par devenir des boules un peu déformées.

– Vous allez nous faire rêver.
– Non, je vais vous faire réfléchir

Alors que mon but n’est pas de faire rêver l’auditoire, voilà que moi-même je rêve. Quand je reviens à mon ordi­na­teur je rêve d’une façon plus con­struc­tive. Je m’interroge sur la rai­son des dif­férences entre les pré­dic­tions des mod­èles et les obser­va­tions. Je me demande ce qui a pu être oublié, ce qu’il faudrait mod­i­fi­er, et me racon­te à moi-même divers­es ver­sions de l’histoire de l’évolution des galaxies.

J’imagine, j’invente, et je réfléchis. Je demeure roseau pen­sant, par­tie prenante des aven­tures du cosmos.

J‑P.C. : Par­ler de la beauté des galax­ies qui s’effilochent, comme vous le faites si joli­ment, me sem­ble toute­fois un peu dan­gereux : je pense à William Paley (1743–1805), auteur de Nat­ur­al The­ol­o­gy : or, Evi­dences of the Exis­tence and Attrib­ut­es of the Deity, que Charles Dar­win a lu lorsqu’il était étu­di­ant et à laque­lle il s’est vigoureuse­ment opposé par la suite. Paley s’extasiait sur la beauté du monde, de façon évidem­ment sub­jec­tive, ce qui le menait à une con­cep­tion totale­ment erronée de la réal­ité de l’univers et de l’évolution des êtres vivants.

Une multitude d’univers qui n’obéissent pas nécessairement aux mêmes lois de la physique que le nôtre

En fait, Dar­win nous apprend que les choses ne sont pas si belles, qu’il y a des erreurs, et des imper­fec­tions partout. Ne prenez-vous pas le risque de vous rap­procher des visions anthropiques de l’univers ?

C.C. : Pas le moins du monde. La beauté du ciel est objective.

J‑P.C. : Mais ce n’est pas en sci­en­tifique que vous pou­vez l’affirmer.

C.C. : Je veux bien, mais ce que je peux vous dire, c’est que, mes col­lègues et moi, avant d’aller nous enfer­mer dans la salle de con­trôle du téle­scope, nous pas­sons un moment à regarder le ciel et les étoiles avec nos yeux et à admir­er le spec­ta­cle. Et je ne peux m’empêcher de penser que nos recherch­es n’en seront que plus fructueuses.

Le Sinaï
Le mont Sinaï. La beauté du monde peut jouer sur notre sen­si­bil­ité mais pas sur la ratio­nal­ité de notre esprit. © Daniel Fafard

J‑P.C. : Il m’est sou­vent arrivé à moi-même de tra­vailler dans des paysages grandios­es (je pense notam­ment à des arti­cles que j’ai écrits au pied du mont Sinaï). Il est tout à fait pos­si­ble que mon tra­vail sci­en­tifique ait béné­fi­cié de l’état men­tal que ce spec­ta­cle a ain­si induit en moi, mais je ne pense pas qu’il ait été de quelque façon que ce soit influ­encé en pro­fondeur par mon opin­ion sur la beauté du monde.

Or, la théolo­gie naturelle est pré­cisé­ment fondée sur le ressen­ti de cette beauté et c’est la rai­son pour laque­lle je suis un peu gêné qu’on l’évoque en par­lant d’activité scientifique.

C.C. : Je peux quand même vous ras­sur­er en ce qui me con­cerne per­son­nelle­ment : mes pro­pres con­vic­tions sont stricte­ment à l’opposé de toute con­cep­tion anthropique de l’univers, de cette forme par­ti­c­ulière du créa­tion­nisme par­tant du principe que l’univers aurait été créé tel qu’il est pour que nous puis­sions le comprendre.

Ce que je dis est beau­coup plus sim­ple : il aurait suf­fi d’une très petite vari­a­tion des con­stantes de la physique pour que la vie telle que nous la con­nais­sons, et en par­ti­c­uli­er la nôtre, fût impos­si­ble. Et la thèse à laque­lle beau­coup de mes col­lègues aujourd’hui adhèrent est qu’il existe sans doute une mul­ti­tude d’univers – dont le nôtre – qui n’obéissent pas néces­saire­ment aux mêmes lois de la physique.

L’ÉVOLUTION DE LA SCIENCE, UN LONG FLEUVE TRANQUILLE ?

A.M. : Il me sem­ble dif­fi­cile de porter un juge­ment sur les sci­en­tifiques d’une autre époque à par­tir des con­nais­sances que nous avons aujourd’hui. Des gens comme Cuvi­er ont fait de la sci­ence à leur manière, dans un cer­tain par­a­digme, en l’occurrence celui de la Création.

J‑P.C. : Certes. Mais il n’empêche que c’est à par­tir du point de vue de Dar­win que la sci­ence s’est enrichie, et pas de celui de Paley.

P.L. : Une remar­que qui nous ren­voie très directe­ment à la ques­tion du pro­grès : on con­serve Dar­win, mais on a oublié Paley.

J‑P.C. : Évidem­ment. Il y a eu un pro­grès absol­u­ment con­sid­érable avec Dar­win, qui n’efface pas le rôle inter­mé­di­aire de Cuvi­er (auquel son engage­ment luthérien ne per­me­t­tait toute­fois pas d’aller jusqu’au stade de l’appréhension de l’Évolution, ce qu’a osé faire Lamar­ck avant lui).

Georges Cuvier
Cuvi­er, père de la paléon­tolo­gie moderne

P.L. : L’exemple de Cuvi­er, si je vous suis bien, illus­tr­erait donc le fait que le pro­grès sci­en­tifique peut par­fois être porté par des acteurs dont l’imaginaire s’écarte résol­u­ment de ce qui va devenir le courant dom­i­nant ultérieur d’une con­nais­sance validée.

Mais, cela étant et quelles que soient les cir­con­stances, on ne peut par­ler de « mieux » que s’il y a une authen­tique amélio­ra­tion des con­nais­sances que nous appelons « rationnelles ».

J‑P.C. : Le prob­lème du mot « mieux », c’est qu’il a une col­oration d’ordre éthique ; j’ai bien com­pris que ce n’était pas dans ce sens que vous l’utilisiez mais l’ambiguïté demeure.

C.C. : Il s’agit d’une amélio­ra­tion de la compréhension.

P.L. : Qui entraîne l’adhésion.

J‑P.C. : Mais pour entraîn­er réelle­ment l’adhésion, encore faut-il que les faits qu’on ajoute au stock des con­nais­sances per­me­t­tent d’établir des cohérences nou­velles, en par­ti­c­uli­er par le croise­ment de dis­ci­plines dif­férentes qui con­ver­gent dans leurs conclusions.

Ain­si, la théorie de l’Évolution a été con­fortée par des rap­proche­ments sin­guliers entre la biolo­gie molécu­laire et la paléontologie.

LA SCIENCE-FICTION, UN AUTRE MONDE PARFOIS SI PROCHE

M.M. : La sci­ence-fic­tion con­siste à par­tir d’un cer­tain état de la sci­ence pour don­ner un pro­longe­ment imag­i­naire aux résul­tats acquis. Elle fonc­tionne comme une espèce d’à côté de la décou­verte sci­en­tifique en fan­tas­mant un risque ou en antic­i­pant l’une de ses con­séquences poten­tielles, par exem­ple la pos­si­bil­ité (évidem­ment illu­soire) de redonner vie à des dinosaures grâce au séquençage de leur ADN.

Elle se nour­rit donc d’extrapolations sec­ondaires à la sci­ence. S’agit-il pour autant d’une activ­ité pure­ment ludique ? Pas du tout. Elle peut par exem­ple être source de créa­tions lit­téraires comme vient de le mon­tr­er bril­lam­ment l’écrivain Pierre Bayard dans son Il existe d’autres mon­des, où il joue avec le chat de Schrödinger et où il explique pourquoi Raskol­nikov agit de façon aus­si étrange : « tout sim­ple­ment » parce qu’il existe à la fois dans deux univers parallèles !

La science-fiction constitue un formidable inducteur de curiosité

Mais la sci­ence-fic­tion peut aus­si se situer de façon fort intéres­sante très en amont de la démarche sci­en­tifique. Tout homme qui s’intéresse à la sci­ence a pu être cet enfant amoureux non pas seule­ment « de cartes et d’estampes » dont par­le Baude­laire, mais bien de la con­nais­sance sus­cep­ti­ble d’être acquise, c’est-à-dire du monde et de ses mys­tères. Et c’est là que la sci­ence-fic­tion – et peut-être plus par­ti­c­ulière­ment l’une de ses formes, l’anticipation – peut jouer un rôle d’initiateur pré­sci­en­tifique fondamental.

Sauf voca­tion pré­coce d’un esprit qui ne serait « bon qu’à ça » comme le dis­ait Beck­ett à quelqu’un lui deman­dant pourquoi il écrivait, l’intérêt pour la sci­ence peut com­mencer très tôt hors de toute voca­tion pro­fes­sion­nelle. J’en fus moi-même un exem­ple quand, enfant pas­sion­né que j’étais par la lec­ture de textes para­sci­en­tifiques, je me plongeais dans L’Univers et l’Humanité, cette espèce d’énorme « machin » qui voulait retrac­er la con­nais­sance de A à Z, ou dans les oeu­vres du bon abbé Moreux, ou encore dans l’Astronomie pop­u­laire de Flam­mar­i­on.

Bouvard et Pecuchet
Com­ment com­pren­dre Flaubert en étant totale­ment inculte sur la science ?

L’appétit – je ne dirai pas sci­en­tifique car celui-ci réclame sans doute des con­nex­ions neu­ronales spé­ci­fiques – mais sim­ple­ment l’appétit pour la con­nais­sance des avancées sci­en­tifiques passe prob­a­ble­ment plus aisé­ment par la con­struc­tion romanesque ou par l’image ciné­matographique, qui pos­sè­dent un pou­voir plus évi­dent de séduc­tion, que par un arti­cle même extrême­ment clair et bien pensé.

La sci­ence-fic­tion con­stitue ain­si un for­mi­da­ble induc­teur de curiosité et, comme la démarche sci­en­tifique est elle-même d’abord pro­duit de la curiosité, elle pré­pare le ter­rain chez l’enfant par ce que j’appellerai une fièvre de con­naître. En d’autres ter­mes, je pense que la sci­ence-fic­tion devrait faire par­tie des matières oblig­a­toires de tout cur­sus afin d’éviter de mourir idiot, ce qui est quand même gênant, mais aus­si de mal­traiter la plu­part des grands textes de l’humanité qui se sont presque tou­jours intéressés à la ques­tion des con­fins de la connaissance.

J’ai trop con­nu de col­lègues lit­téraires pour qui toute sci­ence était let­tre morte, trou noir, et cela me rendait le dia­logue avec eux par­ti­c­ulière­ment dif­fi­cile sur cer­tains aspects de la lit­téra­ture elle-même : com­ment com­pren­dre Flaubert et La Ten­ta­tion de saint Antoine – ce fab­uleux voy­age imag­i­naire dans l’infini – ou Bou­vard et Pécuchet – qui est encore plus extra­or­di­naire parce que s’attaquant à toutes les sci­ences en essayant de com­pren­dre ce qu’elles veu­lent dire – en étant totale­ment inculte sur la science ?

Au por­trait lau­da­teur que j’ai tracé de la sci­ence-fic­tion il faut toute­fois ajouter qu’un nom­bre très impor­tant de ses pro­duc­tions ali­mente de fait les approches mys­ti­coïdes qui sont celles de l’intel­li­gent design et autres fari­boles : elle est donc aus­si une forme de lit­téra­ture de con­som­ma­tion courante qui a sans doute au moins autant de retombées néga­tives que positives.

C.C. : Je suis moi-même très sen­si­ble à la bonne sci­ence-fic­tion et j’adhère à tout ce que vous avez dit, Mau­rice Mouri­er, à ce sujet mais, s’agissant de l’astrophysique, je crois qu’aujourd’hui on pour­rait si j’ose dire s’en pass­er, tant la réal­ité dépasse la fic­tion. L’expérience que j’ai des con­tacts avec des class­es en témoigne clairement.

L’ALTERSCIENCE AUX MARGES DE LA SCIENCE

A.M. : Ce qui est intéres­sant dans les fauss­es sci­ences ou ce que j’ai appelé l’alter­science est la part de ratio­nal­ité au sein de leur irra­tional­ité (ce que Claude Lévi-Strauss a appelé la pen­sée sauvage), mais aus­si leur foi­son­nement imag­i­naire – je pense par exem­ple au fan­tasme de « l’énergie libre » – cette énergie du vide dont l’existence même nous serait dis­simulée par les grands trusts pétroliers.

Faut-il vrai­ment s’indigner de leur exis­tence ou en avoir peur ? J’aurais ten­dance pour ma part à faire con­fi­ance en la matière à la capac­ité de dis­cerne­ment de mes semblables.

Le matin des magiciens
Un rôle (pour le moins ambigu) d’entraînement ?

Et j’irai même jusqu’à dire, quitte à être un peu provo­cant, que cer­tains réc­its d’alter­science (qu’on songe par exem­ple à Planète et au Matin des magi­ciens, dans les années 1960) peu­vent avoir jusqu’à un cer­tain point un rôle posi­tif d’entraînement en jouant plus sur l’imaginaire que les sci­ences elles-mêmes, très sou­vent arides dans leur présen­ta­tion au public.

Par ailleurs, nous sommes à une époque où le mot « pro­grès » passe plus dif­fi­cile­ment et où un sci­en­tisme trop affir­mé peut se révéler con­tre-pro­duc­tif. J’évite aus­si d’employer le mot « obscu­ran­tisme », qui est por­teur d’une dis­qual­i­fi­ca­tion méprisante.

Cette posi­tion peut évidem­ment sur­pren­dre et ne fait pas néces­saire­ment l’unanimité, mais, au fur et à mesure que j’ai étudié tout ce qui est hyper­tro­phie sci­en­tiste, j’en suis venu à me dire qu’il fal­lait sans doute se méfi­er de tels dis­cours, qui par ailleurs font le lit du climato-scepticisme.

Comme Mau­rice Mouri­er, je voudrais par­ler de la sci­ence-fic­tion, notam­ment de ces dystopies ou con­tre-utopies que sont par exem­ple 1984 ou Le Meilleur des mon­des. Dans le pre­mier de ces livres, la sci­ence a presque cessé d’exister dans le pays évo­qué parce que « dépen­dant de formes de pen­sée empiriques qui ne pou­vaient sub­sis­ter dans une société stricte­ment régle­men­tée ». Dans le sec­ond ouvrage, elle est con­sid­érée comme dan­gereuse, « nous sommes oblig­és de la tenir muselée », dis­ent les dirigeants, ajoutant : « Cela n’a pas été une bonne chose pour la vérité, mais ce fut excel­lent pour le bonheur. »

Que les sociétés en ques­tion soient fausse­ment iréniques ou total­i­taires, elles ont pour ambi­tion de se pass­er de la sci­ence et nous pou­vons nous deman­der si nous ne sommes pas en train de nous pré­par­er un meilleur des mon­des de cette nature en mul­ti­pli­ant en toute occa­sion les « précautions ».

Un scientisme trop affirmé ne peut être que contre-productif

On peut aus­si citer un bel exem­ple de recours à l’imaginaire chez les créa­tion­nistes – une totale aber­ra­tion, bien sûr, du point de vue sci­en­tifique – en l’occurrence l’affirmation que la Terre a bien 6 000 ans mais que Dieu l’a créée avec une « apparence de vieil­lesse », les 13,7 mil­liards d’années qu’évoquent les astro­physi­ciens étant en fait inté­grés dans ce qui a précédé cette Créa­tion effective.

Une idée qu’on trou­ve déjà chez Chateaubriand, dans Génie du chris­tian­isme (1802). Aus­si peut-on dire que la sci­ence avance, et que l’alter­science ne fait que se répéter en la parasitant.

P.L. : Mer­ci de cette bril­lante démon­stra­tion d’une intense présence de l’imaginaire chez les ten­ants de l’alter­science. Cepen­dant le sujet de notre débat ne porte pas sur la seule ques­tion de l’imaginaire, mais bien sur son artic­u­la­tion avec ce qu’on appelle la sci­ence ou les sci­ences, c’est-à-dire en fin de compte, me sem­ble-t-il, sur l’utilisation con­jointe de notre capac­ité d’imagination et de la ratio­nal­ité de notre esprit.

L’idéologie sur laque­lle se fondent les pseu­do­sciences ne masque-t-elle pas com­plète­ment la néces­sité d’apporter une démon­stra­tion, au sens clas­sique du terme, de ce que l’on affirme ?

A.M. : Vous avez rai­son de rap­pel­er que la sci­ence se nour­rit con­join­te­ment d’imaginaire et de rai­son, mais ce que j’essaie de dire est que l’alter­science tente d’une cer­taine façon d’introduire de la ratio­nal­ité dans l’irrationnel, notam­ment quand elle émane d’ingénieurs ou de sci­en­tifiques, « d’hommes de sci­ence » dis­ait Lévi-Strauss ; c’est en soi un phénomène intéres­sant, que je me suis attaché à étudier.

P.L. : Il n’empêche que sub­siste une dif­férence majeure entre les sci­ences et l’alter­science : les pre­mières acceptent par déf­i­ni­tion que les faits observés puis­sent remet­tre en ques­tion les plus belles théories, alors que les sec­on­des par­tent d’une vérité qu’elles croient absolue et ten­tent par tous les moyens d’adapter les faits observés à cet a pri­ori.

J‑P.C. : La sci­ence est en effet, en per­ma­nence, un débat cri­tique, ce qui n’est évidem­ment pas le cas des fauss­es sciences.

M.M. : Et la sci­ence a le droit de se tromper, ce qui n’est pas non plus le cas des fauss­es sciences.

RAPPROCHER ARTS ET SCIENCES, UNE VUE DE L’ESPRIT ?

P.L. : Tout ce qui s’est dit au cours de cette table ronde con­duit en par­ti­c­uli­er à se deman­der si les bar­rières entre arts et sci­ences sont aus­si étanch­es qu’on pour­rait a pri­ori le penser.

L’art et la science sont deux regards portés sur le monde que rapproche leur recours à l’imaginaire

T.G. : Je n’aime pas beau­coup pour ma part ni le mot « étanchéité » ni le mot « fron­tière » et j’ai aus­si quelque mal avec le mot « pro­grès », sauf si on le prend dans son sens descrip­tif le plus banal, dépourvu de tout juge­ment de valeur.

Plus fon­da­men­tale­ment, et c’est pour cela que je pense qu’il y a en fait com­mu­nauté de démarche entre eux, l’art et la sci­ence sont deux regards portés sur le monde, traduits dans l’un et l’autre cas par des lan­gages spé­ci­fiques. Com­pren­dre, ren­dre compte, faire partager à d’autres sa façon d’appréhender ce que l’on ne con­naît pas, cette part de mys­tère que nous voudri­ons pour par­tie lever, et peut-être pour par­tie conserver.

La com­plex­ité crois­sante, au cours du temps, des lan­gages en ques­tion rend évidem­ment plus dif­fi­ciles les échanges, or cela vaut non seule­ment pour ce qui con­cerne le dia­logue entre les sci­ences et les arts mais aus­si au sein même des arts d’une part, et surtout des sci­ences d’autre part du fait de leur intense spécialisation.

Cette dif­fi­culté ne peut toute­fois que stim­uler un désir de com­mu­ni­ca­tion et de coopéra­tion entre ces deux formes essen­tielles de l’activité créa­trice humaine, certes dis­tinctes mais dont nous avons bien mon­tré qu’elles avaient aus­si d’importants traits communs.

BIBLIOGRAPHIE

  • Jean-Pierre CHANGEUX, Le Cerveau et l’art, Paris, De Vive Voix, 2010 ; Du vrai, du beau, du bien : une nou­velle approche neu­ronale, Paris, Éd. Odile Jacob, 2008 (derniers ouvrages parus).
  • Jean-Pierre CHANGEUX et Alain CONNES, Matière à pen­sée, Paris, Éd. Odile Jacob, 2000.
  • Mau­rice MOURIER, L’Ivre de bor­ds, poèmes, Paris, Éd. Car­ac­tères, 2013 (dernier ouvrage paru).
  • Pierre BAYARD, Il existe d’autres mon­des, Paris, Les Édi­tions de Minu­it, 2014.
  • Alexan­dre MOATTI, Alter­science, pos­tures, dogmes, idéolo­gies, Paris, Éd. Odile Jacob, 2013.
  • Claude LÉVI-STRAUSS, La Pen­sée sauvage, Paris, Édi­tions Plon, 1962.

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