Analyses pointues en biologie

Un domaine interdisciplinaire pour les X

Dossier : BiotechnologiesMagazine N°726 Juin/Juillet 2017
Par Élodie BRIENT-LITZLER (01)

Un pro­grès en biolo­gie s’appuie force­ment sur une tech­nique inno­vante. C’est un domaine où la pluridis­ci­pli­nar­ité du poly­tech­ni­cien fait mer­veille, mais le développe­ment de la car­rière passe par un chem­ine­ment exigeant, qui exige une réflex­ion sur le sens des valeurs. La thèse est oblig­a­toire, il faut aller à l’é­tranger mais penser à en revenir, faire ses choix en adéqua­tion avec ses valeurs. 

Aujourd’hui, il est dif­fi­cile de con­cevoir un pro­grès en biolo­gie qui ne s’appuierait pas sur une tech­nique inno­vante : séquençage d’ADN, spec­trométrie de masse pour l’analyse des micro-organ­ismes et pro­téines, micro­scopie de super­ré­so­lu­tion, imagerie mul­ti­modale des tissus… 

“ Les nouvelles techniques vont avoir un impact sur notre manière d’envisager la médecine ”

Syd­ney Bren­ner, prix Nobel de phys­i­olo­gie ou médecine en 2002, a affir­mé en 1980 : « Progress in sci­ence depends on new tech­niques, new dis­cov­er­ies and new ideas, prob­a­bly in that order. » 

Force est de con­stater que c’est tou­jours le cas au XXIe siè­cle en biolo­gie, et que ces nou­velles tech­niques vont avoir un impact sur notre manière d’envisager la médecine. 

À titre d’illustration, la MIT Tech­nol­o­gy Review a sélec­tion­né en 2015, par­mi son pal­marès annuel de dix break­through tech­nolo­gies, qua­tre tech­nolo­gies sus­cep­ti­bles de révo­lu­tion­ner la recherche bio­médi­cale : l’imagerie 3D, la nanoar­chi­tec­ture, la biop­sie liq­uide et les organoïdes. 

REPÈRES

De 2016 à 2021, on estime à 6,8 % le taux de croissance moyen annuel du marché de l’instrumentation pour les sciences de la vie, pour un volume de 64,52 Mds$ projeté en 2021 hors applications médicales (source : MarketResearch).
Ces technologies soutiennent la recherche, font avancer in fine la médecine, et ont un impact sociétal important.

« INTÈGRE DE MULTIPLES TECHNOLOGIES »

Asso­ciées à ce type de tech­niques, un ensem­ble de tech­nolo­gies issues de la physique, chimie et sci­ences de l’information jouent un rôle crucial. 

Le développe­ment d’une nou­velle tech­nolo­gie pour les sci­ences de la vie néces­site sou­vent l’intégration : de biotech­nolo­gies (ingénierie des sys­tèmes et molécules biologiques), de physique, de chimie et physic­ochimie (molécules organiques, matéri­aux, col­loïdes…) et de traite­ment du signal. 

La tech­nolo­gie Illu­mi­na, à titre d’exemple, com­bine une réac­tion de séquençage, une sur­face nanos­truc­turée pour den­si­fi­er le nom­bre de réac­tions, des cir­cuits microflu­idiques, une imagerie de la sur­face en flu­o­res­cence mul­ti­couleur, et l’analyse de ces images per­me­t­tant de les con­ver­tir en infor­ma­tion génétique. 

On peut égale­ment not­er que le récent prix Nobel pour la micro­scopie super­ré­so­lu­tive STED était… un prix Nobel de chimie ! Cette tech­nolo­gie ne pour­rait en effet exis­ter sans les son­des flu­o­res­centes asso­ciées, même si c’est leur com­bi­nai­son avec l’optique qui a per­mis d’imager des molécules uniques. 

« PARLE PLUSIEURS LANGAGES »

La R & D dans le domaine des tech­nolo­gies pour les sci­ences de la vie sont extrême­ment pluridis­ci­plinaires. Pour innover dans ce domaine, il faut assem­bler des équipes com­prenant des experts de divers­es com­pé­tences. Les poly­tech­ni­ciens ont cette capac­ité de « par­ler plusieurs lan­gages tech­niques » de par leur solide for­ma­tion ini­tiale pluridis­ci­plinaire, d’excellent niveau et assez unique inter­na­tionale­ment, et leur rapid­ité à appren­dre au con­tact de nou­veaux sujets. 

“ Le polytechnicien n’est rien dans ce domaine sans un PhD au niveau international ”

Ils peu­vent de ce fait devenir des élé­ments moteurs au sein de ces équipes, après une spé­cial­i­sa­tion dans un domaine sci­en­tifique acquise lors d’une thèse. 

Pour résumer rapi­de­ment mon par­cours, après un mas­ter de biochimie et un dou­ble diplôme Chimie Paris, j’ai fait une thèse en ingénierie des pro­téines. J’ai ensuite tra­vail­lé en R & D chez Bertin Tech­nolo­gies puis à l’ESPCI sur des thé­ma­tiques liées à la biodé­tec­tion et la microfluidique. 

Je suis main­tenant core­spon­s­able du Cen­tre d’innovation et recherche tech­nologique de l’Institut Pas­teur. J’ai par­ticipé à des équipes de R & D en tant qu’experte en biochimie, mais j’ai pu con­stater à quel point la com­préhen­sion de phénomènes de physique ou bien de sta­tis­tiques per­me­t­tait de mieux inter­a­gir avec le reste de l’équipe pour opti­miser l’approche tech­nique globale. 

L’expérience de cette vraie com­plé­men­tar­ité, quand elle fait naître des idées et réal­i­sa­tions col­lec­tives, a été pour moi l’une de mes plus grandes sat­is­fac­tions professionnelles. 

« FAIS UNE THÈSE »

J’ai, déjà à l’époque, reçu et suivi cer­tains des con­seils suiv­ants. Quinze ans après, leur impor­tance est d’autant plus grande. D’abord : « Fais une thèse ». Je con­seille à tous les élèves poly­tech­ni­ciens de faire une thèse de manière générale. Mais si vous voulez tra­vailler dans le domaine des sci­ences de la vie, ce n’est plus une option. N’étant ni MD, ni Phar­mD, ni MBA, le poly­tech­ni­cien n’est rien dans ce domaine sans un PhD au niveau international. 

UNE R & D ESSENTIELLEMENT ÉTRANGÈRE

Les leaders du marché sont principalement nord-américains (Illumina, GE, Bio-Rad, Thermo Fisher Scientific…), et quasi absents du territoire français, du moins dans leur activité R & D. Un passage à l’étranger pendant les études ou après peut donc être bénéfique, voire simplement nécessaire pour trouver un emploi.

Dans tous les domaines, la thèse est un pas­sage obligé pour tra­vailler en R & D, mais dans les sci­ences de la vie/la san­té, elle l’est même pour d’autres types de métiers. 

Ensuite : « Tu apportes une plus-val­ue à la biolo­gie par ta for­ma­tion en math­é­ma­tiques et en physique ». 

Aujourd’hui, on étudie les sys­tèmes vivants avec des tech­nolo­gies plus com­plex­es, qui génèrent des don­nées plus rich­es, qui se parta­gent inter­na­tionale­ment plus facile­ment. Il faut gér­er des inter­faces avec la physique/chimie en début de chaîne ana­ly­tique et avec les math­é­ma­tiques appliquées, les sta­tis­tiques et l’informatique pour analyser les don­nées en bout de chaîne. 

La place de la pail­lasse de biolo­gie dans tout cela dimin­ue. La biolo­gie a plus besoin que jamais d’étudiants venant des sci­ences « dures ». Vous appren­drez le reste sur le tas sans problème. 

« VA À L’ÉTRANGER ? MAIS PENSE À REVENIR »


Aujourd’hui, on étudie les sys­tèmes vivants avec des tech­nolo­gies plus com­plex­es, qui génèrent des don­nées plus rich­es, qui se parta­gent inter­na­tionale­ment plus facilement.

Le tis­su indus­triel français dans le domaine des tech­nolo­gies pour la biolo­gie est actuelle­ment assez clairsemé et majori­taire­ment com­posé de TPE – PME, certes très inno­vantes, mais posi­tion­nées sur des niches. 

Cepen­dant, il y a une oppor­tu­nité de con­tin­uer à dévelop­per cette indus­trie en France, où les com­pé­tences sont présentes (lab­o­ra­toires académiques, ingénieurs…). Si nous créons autant d’entreprises d’instrumentation en sci­ences de la vie qu’aux États-Unis, nous aurons aus­si notre Illu­mi­na national. 

« CONSTRUIS EN ADÉQUATION AVEC TES VALEURS »

La quête du sens nous rat­trape tôt ou tard. Bercés par le courant, cer­tains amis poly­tech­ni­ciens de ma généra­tion se réveil­lent après dix ans de car­rière en se posant la ques­tion de leur place et con­tri­bu­tion dans la société. 

La R & D autour des sci­ences du vivant pou­vant trou­ver directe­ment des appli­ca­tions en médecine, le sens est plus prég­nant que dans d’autres types de car­rières. Il y a de nom­breuses autres pos­si­bil­ités, mais n’oubliez pas de faire vos choix en gar­dant ce recul.

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