Un Chapeau de paille d’Italie

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°616 Juin/Juillet 2006Par : mise en scène de J.-D. LAVALRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Ayant écou­té, ou lu, les nou­velles du jour, et sur­tout les com­men­taires qui les accom­pagnent, il doit bien vous arri­ver, amis lec­teurs, de pen­ser qu’une frac­tion impor­tante de vos contem­po­rains marche sur la tête. Et de vous en affli­ger. Dans ce cas, le meilleur conseil que je puisse vous don­ner, si vous sou­hai­tez vous désaf­fli­ger, sera d’aller voir jouer du Labiche. Cela est sou­ve­rain. J’ai, pour ma part, pra­ti­qué récem­ment avec suc­cès cette thé­ra­pie. J’en avais bien besoin, émer­geant d’intéressantes pages consa­crées au deve­nir de notre Édu­ca­tion (?) nationale.

J’ai pro­fi­té de l’idée de J.-D. Laval de mon­ter et mettre en scène Un Cha­peau de paille d’Italie dans son théâtre Mon­tan­sier, à Ver­sailles. Une excel­lente idée, car le Cha­peau est peut-être la pièce la plus déli­rante et la plus far­fe­lue du grand Labiche, et Dieu sait s’il s’y connaît en la matière. Il l’a écrite, comme d’ailleurs presque toute son œuvre, en col­la­bo­ra­tion, cette fois avec Marc-Michel et elle fut créée sur le théâtre de La Mon­tan­sier – celui de Paris, deve­nu par la suite le Palais-Royal – le 11 août 1851, c’est-à-dire quelques mois avant le coup d’État du 2 décembre, coup de force approu­vé trois semaines après par le suf­frage uni­ver­sel, avec sept mil­lions de oui contre six cent mille non, à l’indignation de Vic­tor Hugo qui n’avait rien com­pris à la situa­tion, ce qui ne sau­rait sur­prendre de la part de ce gran­di­lo­quent bavard.

Mais ras­su­rons-nous. Il n’est en rien ques­tion de poli­tique, ni de près ni de loin, dans le Cha­peau, pas même d’actualité. Tout au plus y voit-on le comp­table Tar­di­veau faire encore par­tie de la Garde natio­nale à soixante-deux ans, non par dévoue­ment à la chose publique mais tout bon­ne­ment pour le plai­sir d’y retrou­ver son copain Trouille­bert, pro­fes­seur de clarinette.

Si donc l’actualité est tota­le­ment absente du Cha­peau, du moins y nageons-nous dans une com­bi­nai­son toute labi­chienne de per­son­nages par­fai­te­ment nor­maux et plau­sibles dans leurs réac­tions et leur com­por­te­ment, mais empor­tés par les cir­cons­tances dans des situa­tions tota­le­ment invrai­sem­blables, où l’on voit le mal­heu­reux Fadi­nard contraint de par­tir à la quête d’un cha­peau de paille d’un modèle raris­sime en igno­rant qu’il en pos­sède un, cela le jour même de son mariage et, de ce fait, flan­qué d’une noce au grand com­plet qui le suit sans rien com­prendre, entas­sée dans huit fiacres, col­lant sans défaillir à cha­cune de ses péré­gri­na­tions, dans une bou­tique de modiste qu’elle prend pour la mai­rie, dans les salons d’une com­tesse musi­cienne où elle s’empiffre en se croyant au , res­tau­rant où devait avoir lieu le déjeu­ner, au domi­cile d’un vieux ron­chon enfin, tout occu­pé à prendre un bain de pieds bien chaud pour se conso­ler de son pré­su­mé cocuage, domi­cile où elle cherche la chambre nup­tiale en criant “ vive la mariée ”.

Au dix-neu­vième siècle, on pou­vait se payer une grande abon­dance de per­son­nages. Dix-sept en l’occurrence, plus de nom­breux figu­rants : toute la paren­tèle du pépi­nié­riste Nonan­court, le père de la mariée, qui a défer­lé de Cha­ren­ton­neau et d’ailleurs. De nos jours, de pareils pla­teaux sont deve­nus inabor­dables. M. Laval a sup­pri­mé trois rôles subal­ternes et appor­tant peu, rem­pla­çant donc cer­tains dia­logues pure­ment expli­ca­tifs par de simples mono­logues, et sur­tout fait dis­pa­raître la paren­tèle, en y sub­sti­tuant tout bon­ne­ment trois musi­ciens (accor­déon, gui­tare, flûte tra­ver­sière), qui font du bruit comme quinze et har­cèlent le pauvre Fadi­nard en un bur­lesque et inces­sant bal­let, évo­quant fort bien l’encombrant cor­tège nup­tial conçu par Labiche.

Une idée géniale de met­teur en scène, qu’il convient de saluer très bas, parce que d’aussi heu­reuses trou­vailles ne sont pas si fré­quentes de nos jours.

Un grand spec­tacle, digne du Mon­tan­sier ver­saillais, tout repeint de frais, où flottent encore entre Rue des Réser­voirs et Bas­sin de Nep­tune les mânes de Thier­ry Maul­nier et sur­tout de son épouse Mar­celle Tas­sen­court. Elle diri­gea long­temps ce théâtre, où lui suc­cé­da Fran­cis Per­rin, que la grande Tata appe­lait “ le petit con ”, mar­quant ain­si, à sa manière, l’affection admi­ra­tive qu’elle por­tait à son sur­doué pupille.

Quoi qu’il en soit, cette repré­sen­ta­tion du Cha­peau nous aura mon­tré que le Mon­tan­sier demeure sous la hou­lette de M. Laval un très haut lieu de théâtre, et c’est tant mieux.

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